Actuel / Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes
Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.
Urs P. Gasche, article publié sur Infosperber le 5 décembre 2024, traduit par Bon Pour La Tête
Parmi de nombreux autres médias, la NZZ et le Tages-Anzeiger ont diffusé à plusieurs reprises des révélations du réseau international de journalistes Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ce faisant, ils n'ont pas rendu transparent le fait que les services gouvernementaux américains paient la moitié du budget de l'OCCRP. L'UE et les Etats membres de l'UE financent les 20 % restants.
Avec un budget annuel de 20 millions d'euros et plus de 150 journalistes sur tous les continents, l'OCCRP − en partie en collaboration avec le Réseau international des journalistes d'investigation ICIJ − a lancé les plus grands projets internationaux de journalisme d'investigation de ces dernières années. Parmi eux, The Panama Papers, Pandora Papers, Suisse Secrets, Narco Files, Pegasus Project, Cyprus Confidential et la série Laundromat, qui a révélé les systèmes de blanchiment d'argent des élites dirigeantes en Azerbaïdjan et en Russie.
Non sans conditions
Les agences gouvernementales américaines ne financent pas l'OCCRP sans contrepartie: l' U.S. Agency for International Development dispose d'un droit de veto sur la nomination des dirigeants de l'OCCRP. De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.
Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'Agence pour le développement international (USAID) a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».
Le journal en ligne français indépendant « Mediapart » en a parlé le 2 décembre 2024 .
Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé de Rockwell devenu journaliste: Drew Sullivan. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.
L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.
L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.
Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.
Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore
Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». Confronté aux dernières découvertes, il a finalement reconnu l'importance du financement de Washington: «C'est le plus grand bailleur de fonds de l'OCCRP, oui, et ce depuis presque le début de notre histoire. [...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»
Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.
Conditions posées
Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»
L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»
Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.
L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les hommes d'affaires qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour fournir des armes à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un contrat entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.
Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (US Foreign Assistance Act).
Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP
«NZZ» du 19 juillet 2023
«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»
«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023
«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont Der Standard en Autriche et Der Spiegel en Allemagne. Pour la Suisse, le bureau de recherche de Tamedia et Paper Trail Media était de la partie.»
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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@willoft 07.12.2024 | 09h06
«On s'en doutait, mais sidérant de voir le nombre de personnes mises à l'oeuvre...
Merci de l'info »
@willoft 07.12.2024 | 22h20
«On s'en doutait, mais sidérant de voir le nombre de personnes mises à l'oeuvre...
Merci de l'info
Et si ce petit hebdo de retraités pense pouvoir publiquer les commentaires deux jours après, avec ses journalistes... expérimentés, on verra...!»