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Actuel / Le fossé est-ouest du Nutella

Antoine Thibaut

29 juin 2018

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Dans un reportage en Slovaquie, «Le Monde» nous apprend que les amateurs de Nutella à Bratislava vont l’acheter en Autriche, toute proche, parce que la pâte aux noisettes y serait meilleure que chez eux. Affaire d’Etat. Le gouvernement, associé à celui de Hongrie qui se plaint du même souci, a interpellé l’Union européenne. Elle se penche sur le problème. Plus sérieux qu’il n’y paraît. Parce que tous les pays dits de l’est constatent un «double standard». Les multinationales y refilent des produits de moindre qualité. Un malaise entre les anciens et les nouveaux membres de l’Union qui n’a rien à voir avec les migrants et avec les normes démocratiques. Juste un sentiment d’être considérés en général comme des citoyens de deuxième zone. Une histoire qui remonte loin dans le temps comme le soulignait déjà Bronislaw Geremek avant l’entrée de son pays dans l’UE.



Une amie polonaise nous le confirme: «Nous constatons cela depuis des années. Et pas seulement avec le Nutella. Avec le Coca-Cola, le chocolat, les produits de nettoyage, les vêtements, et même avec le thé en sachets!» Cette consommatrice attentive qui voyage beaucoup entre la Grande-Bretagne et la Pologne en est sûre: les marques les plus prestigieuses, comme Lipton, profitent d’économiser sur la marchandise dans les marchés de l’est.

Dans toutes les villes, à côté des centres commerciaux classiques, sont apparus des petits marchés parallèles, avec des produits locaux, des fringues… et des produits de marque importés d’Allemagne. A l’intention des acheteurs qui ont remarqué les différences de qualité sous les mêmes labels. Ils sont de plus en plus nombreux car les Polonais voyagent beaucoup, émigrent et reviennent.

Alors? Fantasme paranoïaque ou pas? Plusieurs analyses de laboratoires indépendants ont bel et bien constaté des différences entre les recettes des mêmes produits de marque. Et les fabricants ne le nient pas. Ils ont un argument-béton. «Nous nous adaptons aux goûts particuliers de chaque pays.» Ainsi, les Tchèques voudraient un Coca-Cola plus sucré qu’en Suède ou en Allemagne. La crème à tartiner de la même marque devrait être plus onctueuse en France qu’en Slovaquie parce qu’on l’appliquerait sur du pain blanc et non pas noir… Etc.

Ce que ne disent pas les multinationales, c’est qu’elles jonglent aussi avec les prix et les quantités pour un emballage semblable partout. A la défaveur des consommateurs de l’est, jugés moins vigilants qu’à l’ouest.

Nestlé, mis en cause en Hongrie, rejette tout reproche. Son Nesquik Opti-start, est fabriqué dans ce pays pour plusieurs marchés européens de l’ouest comme de l’est. Il est admis cependant que certains produits sont adaptés aux goûts particuliers des uns et des autres. Ainsi le potage Maggi aux boulettes de foie en contiendrait davantage en Hongrie qu’ailleurs. Le comptage est très controversé en Slovaquie!

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@Lagom 06.07.2018 | 09h20

«Le peu de commentaires que suscite votre excellent article me donne l'impression que tout le monde savait. L'adaptation des prix et des produits au pouvoirs d'achat des pays s'étend à tous les secteurs, même celui de l'automobile. Il n'y a pas de mystère. »


@Aliki 07.07.2018 | 16h14

«Effectivement. Quoi de neuf, docteur ? Par contre il est bon de savoir qu’on adresse cette problématique. Je me souviens que dans les années 90, seuls les Européens étaient vraiment conscients de ces différences car la plupart des habitants des pays de l’Est n’avaient pas encore accès au marché de l’Europe de l’Ouest, beaucoup trop cher et en terre inconnue pour ces gens qui avaient vécu derrière un rideau de fer. »


@vladm 08.07.2018 | 13h34

«Il est aussi probable que les marques profitent de ces pays, où les prix sont probablement au plancher (pouvoir d'achat moindre) pour y liquider leur deuxième choix. C'est un élément dont on ne parle que très peu. Les produits industriels ont un goût constant et standardisé, qui implique de trier les maitères premières naturelles (heureusement toute notre alimentation ne sort pas encore de laboratoires !). Il faut alors recycler les arrivages hors du standard, et les pays "export" sont un excellent débouché... Même si la période sovitétique est loin derrière, par rapport à cette époque, cette qualtié est largement supérieure.»


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