Actuel / Le drame a commencé avant Bolsonaro, mais il s’aggrave
Les incendies de l’Amazonie élèvent des clameurs indignées en Europe. A juste titre? Dans l’exagération? Comment y voir clair dans la fumée?
Jean-Marc von der Weid. © DR
Des fausses photos circulent, des chiffres se contredisent. Les coups de gueule se multiplient de part et d’autre de l’Atlantique. Entretien à Rio de Janeiro avec un spécialiste: Jean-Marc von der Weid, Brésilien et Suisse, agroéconomiste, fondateur d’un organisme d’aide et de formation auprès des petits agriculteurs (ASPTA). Le drame amazonien a commencé bien avant Bolsonaro. Et il s’accélère.
BPLT: Certaines informations, jusque dans le journal Libération, peu suspect de sympathie avec Bolsonaro, relativisent la gravité des incendies. Il n’y en aurait pas plus que d’habitude. Qu’en penser?
J-M.W: Le nombre des incendies n’est en effet pas plus élevé que dans le passé. Mais leur intensité et leur étendue, cette année, sont d’une ampleur exceptionnelle. La sécheresse n’y est pour rien. La forêt amazonienne ne s’enflamme pas toute seule, à la différence des zones de savanes. Le processus de destruction est le suivant: on extirpe d’abord les bois précieux, puis on coupe les arbres et quand ils ont séché, on les brûle. Sur les surface ainsi gagnées, on fait paître des troupeaux un certain temps puis on y plante du soja. Ce qui est d’ailleurs une absurdité parce que le sol amazonien est pauvre. Au printemps, des exploitants souvent illégaux, en pleine Amazonie, ont défriché des pans de forêt avec des moyens techniques puissants, des chaînes, des tracteurs. Un plan concerté et annoncé dans la presse locale, en écho aux encouragements du président Bolsonaro à tirer parti économiquement de l’Amazonie. C’est ce qui a provoqué le «week-end de feu» (le 10 août, ndlr) dont on a parlé dans le monde. Il a beaucoup été question des fumées. Mais il y a pire. La destruction de la forêt a des conséquences climatiques. Elle constitue une immense zone humide qui émet ce que l’on appelle les «fleuves aériens» qui filent vers le sud-est et amènent la pluie notamment sur les grandes cultures. Ce qui inquiète jusqu’aux grands producteurs agricoles!
Les pressions internationales ont-elles un effet?
Sans doute. D’ailleurs Bolsonaro a tenté une marche arrière. Après avoir nié le problème de la déforestation, allant jusqu’à limoger le directeur de l’institut officiel INPE qui donnait des informations alarmantes. Il vient de lire une déclaration qui ne correspondait pas au ton de ses propos antérieurs. Il a annoncé l’envoi de l’armée dont on se demande bien d’ailleurs ce qu’elle pourrait faire, et promis des mesures de contrôle. Il faut dire que de nombreuses personnalités se sont inquiétées, notamment un ancien ministre, Blairo Maggi, ex-gouverneur du Mato Grosso, qui possède 100'000 hectares de soja. A leurs yeux, ce laxisme en Amazonie risque de tuer la poule aux œufs d’or si les Européens réagissent en freinant ou bloquant leurs importations de viande et de soja. Le poids de ces lobbies agricoles est important. Il a pesé sur le revirement formel de Bolsonaro.
Il a pourtant une part de responsabilité…
D’autant plus que son ministre de l’environnement, ces derniers mois, a amputé d’un tiers les crédits aux organismes publics chargés de veiller à l’application du «code forestier» datant de l’époque de Dilma Rousseff. Ce texte, pourtant très «compréhensif» à l’endroit des exploitants, prévoit qu’une part des zones défrichées doivent être reboisées.
Replanter la forêt, c’est réaliste?
Certainement. On en a l’illustration avec la forêt tropicale sur la côte atlantique qui, notamment autour de Rio, a été largement replantée après avoir été détruite au 19e siècle. Il faut dire que c’est une vielle tradition au Brésil, déjà au temps des Portugais, on gagne la terre en coupant et brûlant la forêt. Mais la reforestation doit se faire quand il y a encore dans le sol les composantes biologiques nécessaires. Et il faut aussi qu’il subsiste des arbres autour des zones à replanter. On n’en prend pas le chemin. L’Allemagne et la Norvège ont des projets ambitieux pour la reforestation. Ils ont été stoppés. Bolsonaro a même dit aux Allemands qu’ils feraient mieux de reboiser leur propre pays! Le risque, c’est que ces terres, après leur utilisation pendant un certain temps, s’appauvrissent et se transforment en savanes. En imaginant le pire, une partie de l’Amazonie peut devenir une sorte de Sahel!
Les dirigeants réunis au G7 de Biarritz ont promis 25 millions de dollars pour aider le Brésil à éteindre les feux, avec des avions, et pour le reforestation… Une plaisanterie?
Il faudrait des sommes d’une toute autre ampleur pour inciter les exploitants de ces terres conquises sur la forêt à replanter des arbres. Et il faudrait à ceux-ci environ 80 ans pour qu’ils retrouvent leur grandeur initiale. Les grands propriétaires sont relativement prudents, conscients des enjeux internationaux, mais il y a dans le nord du Brésil une foule de paysans, petits et moyens, qui vivent de ces espaces défrichés. Ils ne sont pas prêts à renoncer…
Malgré les contrôles s’ils sont instaurés?
Bolsonaro, dans ces discours, incite en fait les Brésiliens à se foutre de la loi, des ordonnances et règlements. Les fonctionnaires chargés de les appliqués sont sans cesse vilipendés comme des bons à rien. On le voit avec la pratique de ce gouvernement face à la surveillance de l’emploi des pesticides. Mais c’est une autre question…
Les Européens doivent-ils dès lors renoncer aux accords avec le Mercosur?
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