Actuel / Le coup d’Etat en Roumanie et la dérive de l’UE
L’annulation d’une élection présidentielle, aux résultats pourtant incontestés, dans un pays membre de l’UE, aurait de quoi choquer. Or la Commission européenne ne bronche pas, trop satisfaite, sans doute, de la tournure que prennent les événements anti-démocratiques en Roumanie. Car les opinions de Călin Georgescu, le candidat indépendant vainqueur du premier tour, dérangent à bien des niveaux. Cette tactique du «deux poids deux mesures» ne fait toutefois que discréditer un peu plus l’UE.
Le bouleversement en Syrie détourne les regards. Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.
Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. Tout comme la rivale du vainqueur, arrivée en deuxième position, Elena Lasconi, qui voit là «un retour des jours sombres du communisme». Mme von der Leyen croit bon au contraire d’appuyer le président roumain sortant qui réclame une enquête sur les ingérences hypothétiques de la Russie lors de la campagne, largement menée sur les réseaux sociaux.
Qui veut la peau de Călin Georgescu ?
C’est piquant si l’on songe que sur l’autre bord, l’influence américaine pèse lourd sur ce pays. Son commandant en chef, le général Vlad, a été formé dans la plus haute école militaire aux USA et a même participé à l’opération menée contre l’Irak en 2003. Depuis la guerre en Ukraine, la pression de l’OTAN et des lobbies de l’armement est énorme. Le budget de la défense roumaine a augmenté de 53 %, il représente 3 % du PIB. Une grande base est en construction à la frontière avec la Russie. Des contingents étrangers sont sur place, notamment avec environ 1000 soldats français.
Alors évidemment Georgescu est un gêneur. Il ne veut pas quitter l’OTAN, mais considère que l’intérêt de la Roumanie, c’est l’arrêt au plus vite de la guerre. Ce qui lui vaut aussitôt chez nous l’étiquette de pro-russe. Il s’oppose aussi à une dépense prévue de 6,5 milliards de dollars pour l’achat d’une flotte de FA-35 dans un pays où le quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. On voit dès lors qui veut sa peau, au-delà des appareils politiques locaux accrochés à leurs pouvoirs et leurs privilèges.
L’impertinent aggrave encore son cas avec sa revendication d’un meilleur contrôle et d’une plus forte imposition des sociétés internationales (notamment américaines, françaises, autrichiennes, kazakhs, émiratis... et russes) qui exploitent les considérables ressources minières de la Roumanie, pétrole et gaz en tête. Le discours nationaliste passe bien ailleurs et fort mal là… A noter qu’il ne souhaite nullement la sortie de l’UE mais souhaite y défendre mieux les intérêts de son pays. Comme à peu près tous.
Portrait d’un personnage peu banal
L’image caricaturale qui nous est proposée de ce personnage peu banal est à côté de la plaque. Cet ingénieur agronome écologiste a fait carrière dans les institutions de son pays et aux Nations Unies (avec un passage à Genève). Il maîtrise son propos, plutôt mesuré. Mais avec le sens de la formule. Par exemple, à propos des partis traditionnels qui ont connu bien des cas de magouilles et de corruptions: «ils essuient leurs bottes sales sur le visage de la démocratie!»
C’est un conservateur comme on en trouve en France, en Allemagne. Avec en plus des préoccupations sociales, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la condition paysanne. Et aussi des manies, il est vrai, une fixation sur l’affreux Davos, le redoutable Soros. Un penchant religieux aussi et même mystique. Grand défenseur de la famille traditionnelle, mais pas opposé à l’avortement et aux couples homosexuels. Attentif, et c’est rare, aux minorités, tels les Hongrois sur sol roumain ou les Roms. Ses refrains préférés tournent autour de la défense du peuple roumain, du rassemblement de tous, du redressement d’un pays resté pauvre malgré de réels progrès économiques aux bénéfices trop inégalement répartis. On apprécie ou pas le bonhomme, mais pas de quoi le maudire… ou l’enfermer, ou l’exiler comme en rêvent les plus exaltés de ses adversaires. Certains sont allés jusqu’à couper l’eau et l’électricité de son domicile. A quoi Georgescu réagit avec le sourire et rassure, il restera sur internet et le débat, le combat continueront. Plus inquiétant pour lui: divers services s’activent pour trouver quelques charges à son encontre qui permettraient d’écarter une nouvelle candidature. «Comme il n’y a rien à me reprocher, il leur faut du temps pour fabriquer des preuves…», commente l’intéressé. Il appelle de ses vœux des enquêteurs internationaux, européens, américains. Ajoutant: «Nous respectons nos partenaires démocratiques, mais j’ai le sentiment qu’ils nous lâchent, j’espère me tromper.»
L’Union européenne discréditée
Il y a bien lâchage du côté de Mme von der Leyen et ses gens. Soucieux d’abord de s’aligner sur la ligne de l’OTAN et de l’administration Biden, entraînant tant de médias dans ce sillage. Il s’agit là d’une dérive de l’UE et de ses principes. Une fois de plus, la tactique du «deux poids deux mesures». On tance un Erdogan, un Fico (le président slovaque), mais pas un mot sur le président roumain Iohannis qui prolonge son mandat en cassant une élection. Bien sûr pas un froncement de sourcils non plus lorsqu’en France le gouvernement tente d’imposer sa volonté à coups de «49.3» contre la majorité du parlement.
La «maison commune» se remettra-t-elle du discrédit ainsi démontré à la face du monde? Pas de si tôt, c’est à craindre.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
5 Commentaires
@Bob28 13.12.2024 | 09h06
«Mme von der Leyen mériterait un avatar en massepain qu'on pourrait s'offrir à Noël, afin de recouvrer une bienveillance induite par sa douce mastication...
JJ L'Epée »
@Eggi 13.12.2024 | 16h38
«Petit rappel à Monsieur Pilet, dont l'opinion sur la situation en Roumanie est, comme souvent, en rupture de bienséance, mais qui méconnaît un des principes fondamentaux de la démocratie: la séparation des pouvoirs.
Or, c'est la Cour constitutionnelle, organe judiciaire, qui a annulé le résultat de l'élection, décision juridiquement fondée sur le droit roumain (la lecture du jugement est indispensable pour s'en convaincre), qui s'impose donc aux pouvoirs politiques (exécutif et législatif).
Toute critique de ce principe de séparation s'étend au fonctionnement même de la démocratie.
Reste donc une organisation équitable de l'élection présidentielle à venir; et là, c'est un tout autre problème (l'influence néfaste des réseaux sociaux sur la formation de l'opinion pourrait faire l'objet d'un excellent article)...»
@markefrem 14.12.2024 | 12h59
«Chassez la russophilie... elle revient au galop ?
Ainsi donc le scrutin annulé n'a jamais été entaché de manipulation de Moscou ? Ben non, voyons, les Russes ne font jamais ça, ils en sont bien incapables... Ce qui s'est passé récemment en Moldavie n'est que fable et mensonge !
Cessez donc de prendre vos lecteurs pour des demeurés ! Les Roumains ont suffisamment souffert de la tyrannie de Ceausescu pour ne pas en redemander, et surtout pas pour tomber sous la dictature de Poutine.»
@Logonaute 14.12.2024 | 20h24
«Petit rappel à M. Eggi, si prompt à attribuer des bons et mauvais points : la CCR n’est pas un organe judiciaire au sens classique, mais plutôt un organe constitutionnel, garant (en principe) de la Constitution. Sans doute le mot « Cour » est responsable de cette méprise. L’espace manque ici pour expliquer cela dans le détail. En bref, comme ses décisions ne sont pas facilement attaquables (à moins de quelques contorsions capilotractées) elle est aussi potentiellement sujette à toutes sortes de pressions, ce qui est chose assez courante en Roumanie. Il suffit de se rappeler ses antécédents au cours des 15 dernières années, notamment le renversement du référendum de destitution de l’ancien président Traian Băsescu.»
@Logonaute 15.12.2024 | 15h43
«Monsieur Efrem, vous avez raison, les Roumains ont suffisamment souffert de la dictature - du moins ceux qui sont encore en âge de se rappeler - pour savoir en reconnaître une. Et vous savez quoi? Ils craignent actuellement bien plus les dictats de Bruxelles (OTAN et UE), qui les dépouillent de leurs ressources, que la Russie de Poutine. J’en veux pour preuve le rabâchage intentionnellement anxiogène mais apparemment inutile du mot « russe » et de son champ sémantique qu’à fait Mme Lăsconi, la candidate «pro-UE» - comme elle s’auto-intitule, de même que les gentils médias (alors que le candidat pseudo russophile M. Georgescu n’a pourtant jamais évoqué l’idée d’un Roxit), qui est si peu qualifiée qu’elle n’a même pas pu nommer, interrogée à ce sujet, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.
J’ajouterais que si la Russie se mêle des élections (ce qui en l’occurrence n’a toujours pas été prouvé), l’UE et les Etats-Unis le font aussi, et beaucoup plus ouvertement, à coups de menaces et d’accusations peu étayées. Comme toujours, lorsque le peuple vote « juste » (autrement dit pro-UE, une organisation gouvernée par des commissaires sans légitimité démocratique ), il exprime sa voix librement. Si c’est le contraire, alors il s’agit d’un vote populiste, russophile et, bien sûr, d’extrême-droite.»