Actuel / « Le bal des illusions » en France. Et dans le monde ?
Richard Werly, le célèbre journaliste de Blick.fr, assidu des plateaux télé français, nous dit où en est la France et comment le monde la voit (1). Qui pourrait mieux le faire ? Franco-suisse, Parisien toujours en route, il a séjourné dans de nombreux pays. Il est allé interroger d’éminents journalistes, des figures politiques, des experts à la fibre francophone, partout en Europe, en Amérique, en Asie. Résultat des courses: beaucoup d’interlocuteurs frustrés, parfois même atterrés. Visions trop sombres. Ou encore trop optimistes ?
Le tableau est dressé avec le plus grand sérieux, des données fiables. Avec en plus, de pertinentes questions. Nostalgique de son passé riche d’influences, la France n’en revient pas de se voir reléguée en ligue inférieure. Et pour cause. Follement endettée, elle voit son économie blessée au coeur. Encore performante ici et là, mais les chiffres ne trompent pas: sa balance commerciale s’enfonce dans le rouge.
L’armée ? Forte, polyvalente, mais au bord de ses limites. OK, elle a la bombe nucléaire. Mais cet horrible joujou a pour destin, heureusement, de rester au placard. Et la grande politique dans les fracas actuels ? Les coups de menton, une fois dans un sens, une fois dans l’autre, n’impressionnent plus guère les grandes puissances. Et de toute façon, l’alignement sur l’OTAN, sur les États-Unis, ne laisse plus guère d’espaces. Au sein même de l’Union européenne, où notre voisine a joué un rôle clé, le poids n’est plus le même. Notamment en raison d’une brouille durable et multiple avec l’Allemagne. Quand ces deux-là se boudent, tout l’édifice vacille.
L’image du château à la belle allure est adéquate. Les voyageurs l’admirent de loin. Mais savent bien qu’à l’intérieur, tout se craquelle. Comme tant de belles demeures historiques bradées sur le marché immobilier. Et pour cause.
Richard Werly et le cosignataire de l’ouvrage, François d’Alençon, se sont basés, pour établir ce diagnostic et cerner ce qu’il inspire à l’étranger, sur des évaluations autorisées… mais limitées à ce qu’il faut bien appeler les élites politico-médiatiques. Que décrient des pans entiers de la société, en France et pas seulement elle. Plonger dans les réseaux sociaux, de Tiktok à X, donne une image plus sombre encore. On y perçoit, certes formulés dans le chaos et l’outrance, des cris de colère, des faisceaux d’angoisses, dont les politiciens et les journalistes « main stream » se font peu, ou mollement, l’écho.
Tel le rejet du « mondialisme ». Notion floue qui recouvre la détestation de « Bruxelles », d’un pouvoir supranational issu, croit-on, d’un monstre bureaucratique hors contrôles qui interfère dans la vie des nations et des citoyens. Ce qui n’est ni tout à fait faux ni tout à fait vrai. Par exemple le fait passe très mal que la moitié du poulet consommé en France provienne des usines d’Ukraine, hors de tout quota et de toutes les exigences sanitaires imposées aux paysans locaux. Cela sur décision de la Commission européenne prête à tout pour aider le malheureux pays qu’elle souhaite intégrer. Malgré les avertissements et les réticences.
Mais l’anti-mondialisme va bien au-delà: c’est le commerce mondial qui est vu comme une calamité. Voilà que ce pays rêve de protectionnisme alors qu’il doit une bonne part de ses succès économiques à l’exportation. Des articles de luxe… aux produits agricoles. Vu de Suisse, où l’on salue tous les accords de libre-échange possibles, c’est impensable. Il est vrai qu’ici, on sait pratiquer l’ouverture à géométrie variable, l’importation des fruits et légumes notamment est strictement régulée, en dépit des clameurs paysannes. C’est d’ailleurs pourquoi l’accord avec les États-Unis reste dans les limbes.
Werly se souvient que « Le salaire de la peur » de Gorges Arnaud, mis au cinéma par Clouzot avec Charles Vanel et Yves Montand, fut un énorme succès. La France en est là: au bord de la crise de nerfs. À la place de la nitroglycérine qui menaçait le camion de l’histoire, le doute identitaire. La peur de l’immigration, la peur de l’islam. Ajoutée à la dénatalité, elle alimente l’idéologie des dénonciateurs du « grand remplacement ». La France n’est pas seule dans ce trip noir. Plusieurs pays, à leurs façons, emboîtent le même pas. Notamment en Europe de l’Est, comme l’explique bien le démographe Ivan Krastev à Vienne. Partout ce faisceau de trouilles plus ou moins fondées conduit au repli. Pas la meilleure position pour trouver des solutions.
Dès lors la grande question, pour les Européens, effleurée dans le livre, est de savoir sur quels atouts ils pourront miser pour rebondir, une fois les nettoyages institutionnels effectués. Il en est un dont on ne parlera jamais assez: leur culture. Faite de diversités, nourrie d’aspirations démocratiques. Il ne s’agit pas de la brandir en moralistes sous le nez des peuples du monde. Mais la faire dialoguer au contraire avec les autres, même celles qui nous paraissent si éloignées de nos convictions. L’écoute, ça aide. Mieux que les bras de fer. Et tellement mieux que la guerre.
(1) « Le bal des illusions ». Ce que la France croit, ce que le monde voit. De Richard Werly et François d’Alençon. Ed. Grasset. 330 pages.
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