Actuel / Le 13 novembre, cinq ans après
Un documentaire de Mustapha Kessous revient sur la nuit du 13 novembre 2015 à Paris. Un récit humain intense.
Où étiez-vous le soir du 13 novembre 2015? Les Parisiens, comme moi, s’en souviennent soit avec douleur dans leur chair et leur âme, soit avec l’effroi qui suit la conscience d’avoir échappé au pire, à quelques mètres, quelques minutes près.
Myriam Gottraux, une Vaudoise alors en week-end à Paris, s’en souvient aussi, raconte-t-elle ce mardi 3 novembre dans les colonnes du Temps et dans un livre à paraître. Rescapée, elle veut alerter, prévenir: «La Suisse n’est pas prête». Myriam Gottraux parle de ses démêlés avec son assurance, de l'absence de prise en charge psychologique, de l'impossibilité pour elle d'avoir accès à une aide fédérale aux victimes. Mais au-delà de cela... Prête à quoi, au juste?
A voir surgir la guerre au coin d’une rue? A mourir en civil sous les balles d’un ennemi dont nous ne pouvons qu’ignorer la déclaration de guerre? A croiser la mort, n’importe où, n’importe comment, tout en vivant une vie presque normale depuis cinq ans? A la cruauté de n'être victime que du hasard d'être ici, ou là, de recevoir une balle ou un coup de couteau là, ou ici.
On ne peut pas s’y préparer.
C’est le sujet d’un film qui sera diffusé ce 4 novembre sur France 3. 22h01 de Mustapha Kessous n’est pas un énième documentaire plein de sirènes de police, de discours martiaux contre l'islamisme et de violons hommages. Le film est centré sur une seule histoire, un seul homme, mon ami Daniel Psenny, journaliste au Monde, qui habitait depuis quarante ans passage Amelot, la rue étroite et interminable qui longe le Bataclan.
Ce 13 novembre, il est seul chez lui et regarde un film d’un œil. Un peu avant 22 heures, les coups de feu factices du cinéma traversent l’écran et crépitent dans la rue. Incrédulité. Et très vite, un réflexe de journaliste: Daniel photographie les premiers rescapés quittant en courant la salle de concert en hurlant qu’il y «des types qui tirent», ou quelque chose dans le genre, quelque chose qu’on ne peut pas saisir. Les rafales d’arme automatique s’intensifient. Daniel appelle Le Monde, qui ne sait encore rien. Et passe en mode vidéo. Témoignage unique, scoop incroyable, ses images feront le tour des médias internationaux.
En fait de reconstitution «jouée», Mustapha Kessous a opté pour l’animation, un récit à la première personne des quelques protagonistes, les voisins de Daniel, et surtout, pas de musique pour appuyer l’émotion. Le résultat est une démonstration dépouillée, géométrique, d’une violence de déflagration. «Nous vivons donc dans ce monde, dans cette ville».
«J’ai voulu raconter ce huis clos intense et invraisemblable, l’effroi et la peur qui ont été, cette nuit-là, supplantés par le courage et l’entraide», explique le réalisateur. Un récit à hauteur d’homme, loin des grands concepts fumeux; une narration patiente et à l’écoute, vis-à-vis de ce «héros malgré lui» du 13 novembre, dont il partageait alors le bureau au Monde.
Le souci de Mustapha Kessous est juste et terriblement humain: retrouver l’un, l’individu, la solitude dans le chaos, les questions «qu’aurions-nous fait?», «qu’aurais-je fait?». La guerre n’est pas un gros mot, mais dans celle qui nous oppose, comme un bruit de fond sourd, au terrorisme, elle n’est surtout pas, aujourd’hui, malheureusement, un mot collectif. Lorsqu’elle frappe, on est seul.
Agir, c’est ce qu’a fait Daniel. Alors que les tirs semblent perdre en intensité, dans le silence du passage, il remarque un homme couché face contre terre à seulement dix mètres de l’entrée de son immeuble, en t-shirt rouge. Matthew, un jeune américain venu assister au concert des Eagles of Death Metal, est à peine conscient. Touché à la jambe, il perd beaucoup de sang. Daniel le traine à l’intérieur du hall. Une balle l’atteint à son tour à l’épaule.
Pendant plusieurs heures, jusqu’à l’assaut final de la police («les murs tremblaient»), au cœur de la nuit, Matthew et Daniel, réfugiés dans l’appartement des voisins, luttent pour rester en vie. Les enfants dorment. Puis ils se retrouvent, quelques jours plus tard, sauvés et voisins de chambre à l’hôpital. On est seul, oui, mais notre humanité nous rend solidaires.
Humain, trop humain.
Malgré l’avant-dernier plan, qui s’attarde sur la plaque de marbre posée en hommage aux 90 morts du Bataclan, en lit les noms, en silence, 22h01 n’est pas un film «pour les victimes». Il y en a eu d’autres, il y en aura d’autres. Le projet de Mustapha Kessous est de montrer qu’après cela, après les larmes, après la sidération, nous avons aussi gagné.
La fusillade du Bataclan, celles des terrasses des cafés des XIème et Xème arrondissements et l’attentat du Stade de France, 130 morts au total, ce que l’on appelle maintenant, d’une étiquette englobante et aveuglante «le 13 novembre» sont, à ce jour, l’attaque terroriste la plus sanglante perpétrée sur le sol français.
Mais des «petits» 13 novembre, en France, à Paris, dans le monde, il y en a chaque mois, chaque semaine de nouveaux.
A quoi donc devons-nous être prêts? A ce que la guerre soit dans nos têtes. A ne jamais l’oublier. A regarder autour de nous dans les couloirs du métro, à chercher la porte de sortie des yeux quand nous entrons dans un endroit inconnu et fréquenté... «S’habituer à vivre avec le terrorisme», comme l’avait dit Manuel Valls après l’attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015, n’est pas un aveu de défaite, c’est un effort pour rester humains. Le verbe le plus fort de cette formule n’est pas «s’habituer» mais «vivre».
En générique de fin, le bœuf de Daniel, qui est aussi guitariste et dont la blessure l’a longtemps privé de jouer, et de ses amis lors de la fête qu’il a donnée passage Amelot avant son déménagement. Ils ont conclu par la chanson des Rolling Stones, Sympathy for the Devil, comme un exorcisme.
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