Actuel / La guerre qui n’en finit pas
S’il y a un abcès belliqueux, pas si loin de l’Europe, dont on préfère détourner le regard, c’est bien celui qui ronge depuis une dizaine années tout le sud du Sahara. En 2020, l’impasse est apparue plus crûment que jamais, malgré les appels au sursaut de la France à la conférence de Pau, dite du G5 Sahel. Les groupes rebelles restent actifs et déstabilisent les fragiles Etats. La meurtrissure s’ajoute à la détresse économique, encore accrue par la crise sanitaire mondiale.
Le Mali est le plus touché, mais aussi la Mauritanie, le Niger, le Burkina et le Tchad. Que s’est-il passé? Tout s’est emballé avec l’intervention franco-britannique en Libye contre Khadafi: des quantités d’armes ont filé vers le sud, vers plusieurs groupes rebelles. Les uns animés par de vieux conflits (entre populations arabes et noires, sédentaires et nomades, réunies dans des frontières artificielles), les autres aspirés par les mouvances islamistes, proches de Al Qaida et de l’Etat islamique replié pour une part en Afrique après avoir été chassés de Syrie. Tous jouant la carte du refus du «néo-colonialisme» occidental.
La France est venue en appui militaire aux Etats visés. Les alliés? Les Etats-Unis fournissent des informations à partir de leurs satellites. Des Européens se joignent à l’opération en prenant soin de ne pas trop exposer leurs soldats. Un peu de logistique allemande. Les Britanniques, les Estoniens, les Danois, les Suédois, les Tchèques sont aussi présents avec quelques commandos et des hélicoptères. Quant à la «Force conjointe du G5 Sahel» des Nations unies, elle est sensée, avec ses 13 000 hommes, venir en appoint pour stabiliser les régions pacifiées.
Des populations abandonnées
Car c’est bien là le nœud du drame. Il ne suffit pas de pourchasser les groupes rebelles, de «neutraliser» quelques-uns de leurs leaders. Lorsque les armées locales, françaises et internationales parviennent à libérer des territoires des assauts islamistes, la situation des populations ne s’améliore guère. Loin des capitales, elles restent abandonnées par les Etats, sans guère d’écoles et d’hôpitaux, sans véritable structure administrative. La plupart des gouvernements concernés sont coupés de ces réalités, souvent corrompus, soucieux d’abord de se perpétuer au pouvoir.
Si l’on ajoute à cela que la présence militaire étrangère − surtout française, la plus visible − est perçue par beaucoup comme un retour de la puissance coloniale, on imagine la difficulté de l’opération. A la guerre des armes s’ajoute maintenant celle des tweets, des propagandes croisées.
Comment sortir de l’impasse? Par l’aide au développement bien sûr. Mais celle-ci est dispersée, souvent peu efficace, et tant que des structures publiques solides font défaut, les résultats restent décevants.
De nombreuses convoitises
A cette triste image de l’Afrique sahélienne (et au-delà, du Nigeria, rongé aussi par la sédition et la criminalité dans le nord), il faut ajouter que la zone est l’objet de convoitises internationales diverses. La Turquie, encore elle, avance ses pions partout dans ces pays, au nom de la protection de l’islam (non de l’islamisme). L’Arabie saoudite construit des mosquées. Même la Russie s’en mêle, en particulier en Centre-Afrique, pays auquel elle fournit des armes et des conseillers militaires. La Chine, elle, conforte sa présence économique, toujours à la recherche de matières premières, et continue de construire des infrastructures au prix d’endettements faramineux.
Ce drame sahélien concerne l’Europe bien qu’elle en ait si peu conscience. Le chaos provoque l’exode d’une jeunesse sans espoirs. Il est loin d’être massif. D’une façon générale, les migrations africaines se font à l’intérieur du continent. Mais si le pourrissement dure, les fuites vers le nord, vers la Méditerranée seront de plus en plus nombreuses.
Il est facile de critiquer les limites et les effets pervers de l’opération Barkhane. Le réalisme pousse plutôt à reconnaître que la France, avec ses modestes alliés européens et les Africains eux-mêmes, tente courageusement d’empêcher la débâcle de tout un pan du continent noir. Les armes n’y suffiront pas. Il y faudra des aides financières beaucoup plus massives. Et surtout, un dialogue plus étroit, plus exigeant, entre les Européens et les Etats concernés. Pour cela, il s’agit d’abord d’ouvrir les yeux sur les réalités. Même par temps d’obsession sanitaire et nombriliste.
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