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Aux yeux de l’organisation GRAIN, la COP28 qui s’est tenue en décembre 2023 à Dubaï ressemblait davantage à une rencontre du Forum économique mondial de Davos (WEF) qu’à une conférence de l’ONU sur le climat. Comme Davos, c’est le lieu où désormais «milliardaires, PDG et hommes politiques de haut niveau se réunissent avec une poignée d’"experts", pour élaborer des agendas communs et serrer des mains».



«La “Davos-isation” de la COP climat» est d’ailleurs le titre du rapport explosif que vient de publier cette organisation, spécialisée dans les questions liées au climat, à l’agriculture, à l’alimentation. Laquelle estime que la prise de pouvoir des entreprises au sein de la COP représente «une évolution dangereuse, qui conduit vers des solutions privées à des problèmes publics».

Des lobbyistes deux fois plus nombreux

Si d’une COP (Conférence des Parties) à l’autre, la présence croissante du secteur privé, à l’affût de nouvelles opportunités d’affaires, était perceptible, celle de Dubaï a battu tous les records. Les lobbyistes représentant les intérêts de l’agrobusiness ainsi que des industries pétrolières et gazières furent en tout cas deux fois plus nombreux que lors de la COP précédente. Y compris au sein des délégations nationales, ce qui leur a permis d’avoir un accès direct à l’information et aux salles de négociations. Mais les multinationales ne cherchent pas seulement à peser sur les négociations. Ces rencontres internationales représentent également une opportunité de donner une belle visibilité à leurs initiatives en faveur du climat; avec la possibilité de bénéficier d’articles positifs dans de nombreux médias, sans être exposées à un examen approfondi. GRAIN note qu’outre les géants de l’alimentation et de l’agroalimentaire, le lobby des engrais s’est montré particulièrement actif, en coorganisant et en participant à de nombreux événements.  

Noyée sous des annonces spectaculaires, sans effet contraignant, la COP de Dubaï n’a cependant guère connu d’avancées sur des dossiers cruciaux. Ainsi, les négociateurs ne sont-ils pas parvenus à se mettre d’accord sur des règles communes – pourtant très attendues par les organisations de la société civile – visant à encadrer des marchés carbone qui attirent un nombre croissant d’investisseurs. Fait piquant: tandis que les experts étaient plongés dans des négociations ardues sur cette question, les entreprises et les gouvernements profitaient de l’absence d’un cadre international pour signer en coulisses de nouveaux accords. Et ce, rappelle l’organisation GRAIN, malgré le fait que tout au long de l’année 2023, des études universitaires, des enquêtes menées par les médias et la société civile, ont toutes dénoncé les pratiques frauduleuses, l’accaparement des terres et les préjudices causés aux communautés locales par de nombreux projets de «compensation carbone» – qui consiste, pour un pays pollueur ou une entreprise à compenser ses propres émissions par le financement de projets de réduction de CO2 ailleurs dans le monde.

La compensation carbone d'Amazon en Amazonie

Le patron d’Amazon, Jeff Bezos, est, lui, devenu en quelques années un acteur influent dans le business très porteur de la compensation carbone. Et le Bezos Earth Fund a joué un rôle moteur dans plusieurs des initiatives annoncées lors de la COP28. «Des initiatives privées, en dehors du processus multilatéral officiel», relève le rapport de GRAIN. Et pour compenser l’énorme empreinte carbone du groupe, Amazon gère désormais des projets – par ailleurs très controversés – dans le bassin amazonien, dont trois au Pérou, couvrant 210’000 hectares.

Mais ce sont les entreprises des Emirats arabes unis, pays hôte, et d’autres Etats du Golfe, qui constituent désormais une force majeure dans la promotion des compensations carbone à l’échelle mondiale. Parmi les entreprises émiraties qui ont profité de la COP pour signer des contrats, figure la très contestée société Blue Carbon, fondée et présidée par un membre de la famille royale, le cheikh Ahmed Dalmook Al Maktoum. Avant et pendant la COP28, cette société a signé des contrats de compensation carbone avec plusieurs pays africains, ainsi qu’avec la Papouaise-Nouvelle Guinée, couvrant au total plus de 25 millions d’hectares. Le contrat signé avec le Liberia accorde aux Emirats arabes unis le contrôle de 10% de leurs forêts pour une période de 30 ans.

Prochaines COP à Bakou et à Bélem

Selon GRAIN, «les entreprises et les gouvernements veulent perpétuer une vision de la COP “à la Davos”, dans laquelle le pétrole et les accords de compensation progressent sous la bannière de l’action climatique». Les négociations annuelles de l’ONU sur le climat sont pourtant censées être des espaces dans lesquels est élaborée une réponse internationale à la crise climatique, dont dépend la survie de notre planète. Faut-il s’en réjouir? La COP29 se tiendra en novembre 2024 à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, un pays dont l’économie dépend elle aussi fortement des exportations de gaz et de pétrole.

Pour la COP de 2025, le choix s’est porté sur Bélem au Brésil. Au regard des liens étroits qui unissent le gouvernement brésilien avec l’agrobusiness et les compagnies pétrolières, il n’est pas certain qu’après Dubaï et Bakou, on aille vers le beau. Dans son rapport sur la «Davos-isation de la COP climat», GRAIN rappelle que la délégation brésilienne s’est rendue à Dubaï avec un plan visant à régénérer 40 millions d’hectares de pâturages en encourageant l’agrobusiness et les investisseurs étrangers. Ce fut également l’occasion pour le gouvernement Lula de mettre aux enchères un nombre record de concessions de forages gaziers et pétroliers.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@anneberguerand 23.02.2024 | 08h32

«Désespérant! Merci pour cet éclairage!»


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