Actuel / L’Afrique, terrain de jeu des entreprises de désinformation
Les élections présidentielles sont régulièrement des périodes de grande tension sur le continent africain, avec des citoyens qui redoutent tricheries et manipulations de la part d’une classe politique désireuse de se maintenir au pouvoir. Mais les «traditionnels» bourrages d’urnes ou les «cafouillages» au niveau des bureaux de vote sembleraient presque bon enfant au regard des révélations du collectif de journalistes Forbidden Stories, qui a mis à jour des manipulations de l’opinion publique à un niveau quasiment industriel.
Après des mois d’investigation, cette plateforme internationale a en effet révélé mi-février qu’une entreprise israélienne avait mené des campagnes de désinformation de grande ampleur, dans le but d’influencer les électeurs lors de quelque 33 élections présidentielles, dont les deux tiers en Afrique francophone et anglophone; et que 27 de ces opérations ont été courronnées de succès! Entre autres pays, le Nigeria est nommément cité comme ayant fait l’objet de manipulations lors des élections de 2015, qui s’étaient soldées par la victoire de Muhammadu Buhari. Lequel, après deux mandats de 4 ans, s’apprête à quitter le pouvoir, dans la foulée des présidentielles qui se sont déroulées samedi 25 février, dans un climat tendu.
Les réseaux sociaux, première source d'information
Le modus operandi des officines israéliennes qui proposent leurs services pour influencer des élections consiste, entre autres, à inonder les réseaux sociaux de faux messages, véhiculés par de faux profils. Or, lorsqu’on sait que ceux-ci sont devenus les premières sources d’information, ce sont les fondements même de la démocratie qui sont atteints. Ainsi, au Nigeria, une étude récente du Centre pour la démocratie et le développement basé dans la capitale Abuja estime que le nombre d’utilisateurs actifs des médias sociaux dans ce pays est passé de 27 millions en 2019 à 36 millions actuellement. C’est dire si lors des récentes élections qui se sont déroulées dans le pays le plus peuplé d’Afrique, les utilisateurs de Facebook, Twitter, WhatsApp ou Instagram ont été inondés d’informations difficilement vérifiables. Il conviendra d'enquêter pour identifier si, à nouveau, comme en 2015, des opérations de désinformation de grande ampleur ont été commandées auprès d’officines basées en Israël ou ailleurs pour faire pencher la balance en faveur de l’un ou l’autre candidat.
Reste que les révélations du réseau Forbidden Stories augmentent encore davantage le climat de suspicion qui entoure les scrutins de ces dernières années sur le continent africain, mais aussi ceux à venir. Car outre le Nigeria, cinq autres pays organisent des élections présidentielles en 2023: le Sierra Leone, le Liberia, Madagascar, la République démocratique du Congo et le Gabon. Durant les campagnes électorales qui s’annoncent, les citoyens de ces pays, les journalistes, les organisations de la société civile auront fort à faire pour démêler le vrai du faux, vérifier les rumeurs et autres fake news qui inondent les circuits de l’information; et tenter de démasquer d’éventuelles opérations d’envergure menées par des sociétés payées pour peser sur le scrutin, mettant ainsi encore davantage en péril des processus démocratiques à la peine.
Des campagnes de désinformation clé en main
Car en Afrique comme ailleurs, nous sommes désormais entrés dans une nouvelle ère, un véritable far-west de l’information, avec son lot de mercenaires prêts à tout pour parvenir à leurs fins, ou satisfaire leurs clients. Car il ne s’agit plus là de ces agences de communication auxquelles les présidents font appel lors d’échéances électorales, mais de structures disposant des techniques les plus pointues pour mener des cyberarnaques, créer des milliers de faux comptes sur les réseaux sociaux, ou encore corrompre des journalistes mal payés, rémunérer des «influenceurs» de pacotille, prêts à se vendre au plus offrant. Des campagnes de désinformation clé en main en quelque sorte, pour lesquelles des entreprises, des responsables politiques sont prêts à payer des sommes colossales.
Les médias qui recourent volontiers à des contributeurs extérieurs devraient également faire preuve d’une grande prudence. Le résultat d’une des enquêtes menées par le réseau de journalistes Forbidden Stories le démontre en effet clairement: c’est bien une tribune publiée en août 2020 par un «consultant» dans les colonnes de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, intitulée «Le Comité international de la Croix-Rouge, parrain involontaire du terrorisme au Burkina Faso?» – aussitôt reprise par les très populaires sites d’information Faso.net et Burkinfo 24 – qui a terni la réputation de l’organisation humanitaire, et mis ses collaborateurs et collaboratrices en danger. Cette chronique avait été «suggérée» à son auteur par la firme israélienne Percepto, pour le compte de la présidence du Burkina Faso qui lui avait confié le mandat de décrédibiliser le CICR, agacée qu’elle était par ses critiques dénonçant arrestations arbitraires et mauvais traitements des prisonniers dans le pays. Bien qu’étant à la tête d’un des Etats les plus pauvres du monde, l’ex-président Roch Marc Kaboré, renversé en janvier 2022 par un putsch de l’armée, n’avait ainsi pas hésité à payer des montants faramineux à une officine spécialisée dans les campagnes de dénigrement pour décrédibiliser une organisation internationale.
La France visée, la Russie marque des points
Un cas d’école vertigineux, dans un environnement où des campagnes de dénigrement visant la France en particulier, et, plus globalement, l’Occident et ses organisations internationales, ont le vent en poupe. Dans ce contexte, la Russie est en pole position et marque sans conteste des points face à la France, surfant sur le rejet de l’ex-puissance coloniale, dû, entre autres, à son appui à des régimes autoritaires et corrompus. Gageons en tout cas que l’écrasante majorité des dirigeants du continent africain seront présents lors du deuxième sommet Russie-Afrique qui se tiendra en juillet 2023 à Saint-Pétersbourg, malgré l’agression de l’Ukraine par la Russie, que de nombreux pays du continent en dépit des pressions se refusent toujours à condamner.
En République centrafricaine, où la Russie est désormais bien implantée via le groupe de mercenaires Wagner, une campagne de désinformation s’est récemment attaquée à la bière Castel du groupe français du même nom. Un tract distribué dans la capitale Bangui, relayé sur les réseaux sociaux, accuse Castel de financer les groupes armés rebelles qui sévissent dans le pays, et donc le terrorisme. But de la manœuvre pilotée par la cellule propagande de Wagner en République centrafricaine? Vendre leur propre bière, baptisée Africa Ti L’Or, illustrant ainsi la diversification du groupe de mercenaires. Et le fait que dans tous les secteurs, la bonne vieille propagande russe, style KGB de la belle époque, est toujours d’actualité.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@markefrem 08.03.2023 | 11h36
«est-ce vraiment surprenant ? le réveil des Africains risque d'être douloureux... tout ceci sans parler de l'influence chinoise, aussi perfide que les autres !»
@stef 26.03.2023 | 15h43
«Les Africains doivent parvenir à de débarrasser de TOUTES les influences extérieures à leur continent.»