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Actuel / Francisco Guevara, le retraité qui régale des Genevois en galère

Isabel Jan-Hess

16 juillet 2017

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A 73 ans, le Péruvien offre chaque mercredi, de sa poche, un repas à une cinquantaine de personnes défavorisées à Genève. D’origine péruvienne, cet ancien compagnon d’Emmaüs, père de de cinq enfants a passé sa vie à soutenir et aider ses contemporains.



La salle est lumineuse, malgré sa situation à l’entresol d’un vieil immeuble de la rue du Vieux-Billard à Genève. La lumière ne jaillit pas seulement des ouvertures vétustes donnant sur le préau de l’école Gourgas. Elle brille ici dans la générosité et l’altruisme de Francisco Guevara, 73 ans, au sourire rayonnant. Boc, barbichette et cheveux mi-longs blancs, ce disciple de l’Abbé Pierre, arrivé en Suisse il y a plus de 50 ans, offre depuis quatre ans un repas les mercredis midi à des gens de passage ou à des fidèles.

Comme chaque semaine, il est sur le pont depuis 7 heures du matin. Après avoir arpenté les rayons d’un supermarché de gros mais aussi de petits commerces, Francisco se met au fourneau. «Il arrive que des gens m’apportent des légumes et d'autres aliments, je complète alors le menu, précise ce philanthrope au calme rassurant. J’ai un peu d’aide pour décharger les provisions et préparer les tables.»

«Ces gens? Je ne cherche pas à savoir qui ils sont»

Le menu est copieux, entièrement financé par la petite rente AVS de cet immigré péruvien. «On me dit souvent que je devrais demander de l’aide, mais je ne suis pas très bon pour ça, plaisante-t-il. Je pourrais proposer plusieurs repas dans la semaine.» Oui, il pourrait! En trois ans son initiative est passée de 15 couverts à plus de 50. «Tout le monde est le bienvenu, je ne cherche pas à savoir qui sont ces gens ni ce qu’ils vivent. S’ils sont là, c’est pour manger un repas chaud.»

Des hommes, des femmes, des enfants même parfois, se réunissent autour des cinq ou six tables dressées. Ce mercredi, c’est salade mêlée en entrée, ragoût, polenta et, comme dessert, bananes ou yaourt. Des carafes d’eau, du thé et du café sont à disposition. «C’est magnifique ce que fait Francisco, lance Patrice, membre du Parti du Travail (PTD) qui met la salle à disposition. Il fait du bien à l’âme de toutes ces personnes et répond présent à chaque manifestation ou dès qu’on le sollicite pour cuisiner.»

Le chef indien veille

Les habitués le surnomment affectueusement Pancho, un diminutif de Francisco qui lui sied à merveille. En bon chef indien, il porte un regard protecteur sur sa drôle de tribu. Retraités, migrants, sans papiers, anciens toxicomanes, chômeurs de longue durée, familles monoparentales, puciers, voisins…. Ici se croisent les multiples visages de la précarité genevoise.

Casquette vissée sur la tête, un rédacteur de Gauche hebdo, dont les bureaux se trouvent à l’étage, partage le repas des visiteurs du jour. Un petit groupe en réinsertion vient chaque semaine depuis quelques mois. Il est Sénégalais, ses deux collègues du cours d’informatique sont Tibétaine et Péruvienne. «C’est vraiment magnifique, s’exclame cette dernière. C’est délicieux et on est bien accueilli. On se sent bien, c’est simple et agréable!»

Depuis l’an dernier, Francisco Guevara peut compter sur deux bénévoles du Centre genevois du volontariat. Mohamed est au service. Ce jeune Egyptien ne chôme pas. Dès 11h30 la salle se remplit. Jusqu’à près de 15h, les allées et venues rythment ce déjeuner du cœur.

«On laisse les problèmes au vestiaire»

L’ambiance ici n’a pourtant rien de la morosité d’un quotidien cabossé. «Quand on vient chez le Sergent Garcia, on laisse ses problèmes au vestiaire», remarque un quinquagénaire goguenard. Ici on rigole et on s’envoie des vannes entre nous.» Comme le confirme Francisco, rares sont les échauffourées. «On voit très peu d’agressivité, il y a du respect entre les gens. Si le ton monte entre deux personnes, les autres interviennent rapidement et ça se calme vite.»

Les conversations vont bon train, dans différentes langues selon les coins de table. Une retraitée s’exclame en arrivant dans la salle et tombe dans les bras d’un homme d’âge mûr. Ils s’installent à côté de quatre habitués du quartier. Les plaisanteries vont bon train. Ici et là, des solitaires avalent leur repas en silence. De très jeunes migrants cherchent le contact. Un habitué fait un somme la tête dans ses mains posées sur la table, avant de rejoindre la rue.

Un Sud-Américain arrive en tenue de sport décontractée. Après avoir posé son gros sac sous la table, il va charger son téléphone portable sur une prise déjà bien occupée. Une femme profite de se laver dans la salle d’eau du sous-sol.

Dramaturgie de la solidarité

Scènes anodines d’une adversité ordinaire, cette dramaturgie de la solidarité emporte tous les préjugés. La pudeur domine. Peu se confient sur leur quotidien difficile. Francisco, lui, continuera à les accueillir aussi longtemps que sa santé le lui permettra. «J’ai eu quelques soucis ces derniers mois, mais ça ne m’empêche pas de continuer.»

Aidé par sa sœur et un autre bénévole, Erythréen, en cuisine, Pancho range la salle après les derniers départs. Fatigué, il ne se reposera pas forcément le reste de la semaine. «Je fais souvent le lien entre des immigrés dans la difficulté et les syndicats ou les services sociaux, explique-t-il. Je participe aussi à l’organisation de manifestations comme la fête nationale péruvienne, au Grand-Saconnex (elle aura lieu le 28 juillet, ndlr) ou la Fête des Peuples à Plainpalais.»

Toute une vie passée à aider son prochain, de son Pérou natal en passant par les foyers d’Emmaüs en France et à Genève, Francisco Guevara ne saurait pas faire autre chose. «J’ai  travaillé un peu dans l’horlogerie et chez Firmenich pour faire vivre ma famille, glisse modestement ce père de cinq enfants. Mais je me sens plus utile auprès de personnes qui ont besoin d’un petit coup de pouce.»


La vidéo de Pierre Absensur


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