Actuel / De la honte à la gloire
Matera, troisième plus vieille ville du monde située dans le sud de l’Italie, a été désignée représentante de la culture européenne pour l’année 2019. Cinq ans après l’annonce de cette consécration, tombée en 2014, la ville n’est pas encore tout à fait prête à accueillir les quelques 700'000 visiteurs qu’elle attend. Mais le sacre européen représente une revanche sans précédent pour celle qui a longtemps incarné la misère du sud.
Lorsque l’on se balade dans les ruelles de Matera – chef-lieu de la province éponyme de Basilicate – on ne peut que comprendre pourquoi les projecteurs européens ont choisi de se tourner vers cette ville troglodyte aux célèbres Sassi cette année. Longtemps considérée comme «la honte de l’Italie» à cause des conditions d’extrême pauvreté de ses habitants, Matera a été désignée capitale européenne de la culture pour 2019 (au même titre que Plovdiv, en Bulgarie) et elle offre un décor somptueux aux divers événements culturels proposés tout au long de l’année. Elle a même accueilli plusieurs tournages hollywoodiens, comme celui du Roi David, en 1985, ou encore du film de Mel Gibson, La Passion du Christ, en 2003.
Après Jericho et Alep, Matera est la plus vieille ville du monde, puisqu’elle est habitée (presque) sans interruption depuis le néolithique. Aux alentours du VIIe siècle, des moines byzantins investirent les lieux et changèrent les grottes naturelles creusées dans la pierre en chapelles, formant ainsi les Sassi de Matera.
«La Basilicate (ancienne Lucanie) est l'une des régions montagneuses les plus sauvages d’Italie, constituée de blocks calcaires et de bassins argileux ravinés par l’érosion, explique Jean Théodoridès dans son livre Revue d'histoire de la pharmacie, qui traite des maladies séculaires. C’est aussi l’une des régions les plus pauvres, car l’agriculture (céréales, raisins, olives, agrumes) y est d’un rendement très faible à cause de l’aridité du sol.» De plus, les habitations de roche et de calcaire deviennent vite insalubres, et la situation se dégrade rapidement pour ses occupants, faisant de la ville un refuge de misère.
Les os qui font office de support pour le système de récupération des eaux témoignent de l'ancienneté de la ville, dont les murs ont été creusés par l'or bleu au fil des siècles. © Amèle Debey / Bon pour la tête 2019
En 1945, Carlo Levi dénonce le désœuvrement et la pauvreté de Matera dans son œuvre Le Christ s’est arrêté à Eboli. Un titre nullement choisi au hasard, puisqu’il s’agit de «la phrase prononcée par les paysans se considérant totalement abandonnés par le pouvoir central de Rome.» Le succès du livre incite alors le gouvernement italien à réagir et à promouvoir une loi d’évacuation et de restauration des Sassi en 1952. Des habitations plus modernes sont alors construites autour, afin d'accueillir la population.
C’est en 1983 que Rome décide que la protection et la conservation de ces monuments historiques est un enjeu national. Dix ans plus tard, la ville entre dans la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO et va d’améliorations en améliorations jusqu’à être, en 2014, nommée capitale européenne de la culture pour 2019. Une consécration dont se félicite son maire, Raffaeollo de Ruggieri: «Nous sommes ravis et très satisfaits (de cette nomination, ndlr) car c'est là la dernière étape d’une bataille qui aura duré une dizaine d’années, confie-t-il. Il ne s’agit cependant pas de la ligne d’arrivée, mais plutôt du point de départ, car le but principal est de stabiliser ce développement en utilisant Matera en tant que marque pour attirer des investissements, avec l’idée que nous voulons que la ville soit attractive et pas uniquement charmante».
Très vite... trop vite?
Matera, telle une chenille transformée en papillon, s’est muée en une cité féerique qui est bien partie pour devenir le porte-drapeau de l’essor de l’Italie du sud (lire notre article La revanche du Sud). Cependant, une progression et une mise en lumière aussi soudaines sont peut-être un peu difficiles à gérer pour les autorités, car Matera n’est pas encore tout à fait au point pour recevoir ses visiteurs en ce début d’année. Des travaux sont en effet toujours en cours, notamment sur la rue principale du centre-ville. Un retard considérable qui n’alarme pas trop Raffaello de Ruggieri, élu maire de la ville en 2015, puisque la saison touristique la plus chargée n’est pas attendue avant quelques mois. Les visiteurs pratiquant le hors saison n’auront donc qu’à revenir! «Les travaux qui sont encore en cours au centre-ville seront terminés d’ici le printemps, lorsque la plupart des touristes viendront», explique le maire, qui justifie cette situation par «des retards dans les transferts de fonds». «Cela dit, notre programme d’intervention n’a pas vocation à s’arrêter à cette année, mais bien à bâtir un nouveau futur», déclare-t-il, confiant.
Plusieurs travaux sont encore en cours dans la cité. © Amèle Debey / Bon pour la tête 2019
Franco Martina, journaliste qui a passé sa vie à Matera et qui fait office de spécialiste de la région, a un autre avis sur la question. Et il n’y va pas par quatre chemins: «Les travaux publics, sous la responsabilité de la Municipalité, ont commencé en retard en raison de limites organisationnelles effectives (personnel administratif et technique insuffisant), de la médiocrité et de l'opportunisme d'une classe politique qui ne pensait qu'à occuper des postes dans les organes locaux et dans la Fondation Matera 2019», juge-t-il.
Le sexagénaire est particulièrement virulent à l’égard de l’entité organisationnelle de l’événement, car la cérémonie d’inauguration, en janvier dernier, ne s’est pas déroulée sans nombre de couacs. Ce que reconnait volontiers le président de ladite Fondation en charge et ancien maire de Matera, Salvatore Adduce: «La ville s'est préparée pour 2019 avec beaucoup de difficultés. Certaines incertitudes ont certainement pesé, à commencer par l’élargissement du calendrier de construction du budget de la Fondation Matera 2019 et de la municipalité elle-même, qui n’a bénéficié d’un financement que l’année dernière, déchiffre-t-il. Le système de stationnement a été vérifié à l'occasion du nouvel an 2019 et de la cérémonie d'inauguration du 19 janvier. Dans l'ensemble, il a assez bien fonctionné. Bien sûr, nous aurions pu faire mieux et plus tôt, mais, comme il a été possible de vérifier avec précision au début de l’année, le dispositif de réception des visiteurs est assez efficace».
Certains observateurs pensent que le retard pourrait également s'expliquer par le fait que Raffaello de Ruggieri a remplacé Salvatore Adduce en 2015 à la tête de la Ville, soit un an après sa désignation en tant que capitale de la culture. «Il est nécessaire d'accélérer les travaux et, dans certains cas, de prévoir des périodes de suspension des sites pour éviter des conséquences négatives pour les visiteurs, affirme l’ancien maire, délogé de son poste à la suite d'élections municipales. Une continuité administrative et gouvernementale aurait sûrement garanti une plus grande rapidité dans la réalisation des travaux».
Les habitations ont été construites les unes sur les autres. Le sol de l'une est en fait le toit d'une autre. © Amèle Debey / Bon pour la tête 2019
De son côté, Franco Martina est remonté. La frustration de voir autant de potentiel mal employé, sans aucun doute: «Des films ont été tournés ici et les visiteurs découvrent en ces lieux une dimension particulière de la vie où l’environnement, la bonne nourriture, le silence, les atouts artistiques maintiennent des saveurs et un charme presque intacts. Dommage qu'ils soient encadrés dans des selfies ou des cartes postales et non dans une offre touristique durable et compétitive».
Depuis la phase de dépôt de candidature, 48 millions d’euros ont été investis dans le développement du programme culturel, nous apprend l’office de presse de la Fondation Matera 2019. Cette somme comprend 11 millions d’euros de fonds régionaux, 30 millions de fonds nationaux et sept millions de fonds privés.
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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Gio 19.02.2019 | 07h00
«J’ai eu un réel plaisir à lire votre article qui m’a permis de voyager à nouveau à Matera vue il y a 45 ans. Merci !»