Actuel / «Chassez-vous le renard»?
Vicky Moon est une sympathique langue de vipère. Depuis des décennies, elle relate la vie des riches et plus ou moins fameux de Middleburg, en Virginie, que ce soit dans ses chroniques de magazines comme «Millionaire» ou dans des livres tels que «The Middleburg Mystique». Ce soir, elle me sert de guide.
Il est 18 heures. Nous arrivons dans la propriété de Claude Schoch. Hasard du destin, Claude est le neveu de feu le syndic lausannois Paul-René Martin.
Il y a du beau monde, ce soir, à Barton Oaks, propriété de Claude Schoch (médaillon). © DR
Aux Etats-Unis depuis toujours, son français est plus que rouillé. C'est donc en anglais qu'il m'accueille et m'explique que la réception qu'il donne ce soir est en l'honneur du «Land Trust of Virginia» dont il est membre.
De quoi s'agit-il? En gros, d'une association en faveur de laquelle des propriétaires terriens créent des servitudes afin que leurs domaines – et les bâtiments historiques qui s'y trouvent fréquemment – soient préservés pour l'éternité de tout morcèlement ou promotions immobilières ne correspondant pas aux objectifs de l'Association.
Il y a du beau monde ce soir chez Claude. Deux sénateurs, un ancien ministre de Bill Clinton, quelques «grosses légumes» de Washington, mais surtout des propriétaires fonciers que l'Association courtise car ils hésitent encore à créer des servitudes en sa faveur.
Middleburg, Virginia, un lieu bucolique à 50 km de Washington très prisé par les politiciens,
hommes d'affaires, riches héritiers et acteurs célèbres. JFK et Jacqueline y avaient leurs quartiers. © DR
Propriété plus grande que le Dézaley!
La grande nouvelle de ce soir, c'est l'annonce par Jacqueline Mars que ses terres, rivières, lacs et maisons sont désormais sous protection du Land Trust of Virginia.
Jackie, ce n'est pas n'importe qui. Petite-fille du fondateur de Mars (Snickers, Uncle Ben's, Twix, Milky Way, Mars, Dove, Whiskas, M&M, etc.), une entreprise privée qui fait 35 milliards de chiffre d'affaires par an, elle en est propriétaire, avec son frère John et les enfants de son autre frère, Forrest Jr.,récemment décédé. Elle «pèse» dans les 25 milliards de francs de fortune personnelle et donc, quand elle parle, on l'écoute.
«Jackie» Mars, 78 ans ce mois, la femme la plus
riche du monde après Alice Walton (Walmart). © DR
Sa propriété, Meredyth Farm, ne fait pas non plus dans la dentelle: 80 hectares (pour mémoire, le Dézaley, c'est 53 hectares…), une maison de maître, une maison pour le personnel, une autre pour les invités, des écuries et des pâturages, le tout arrosé de quelques rivières et parsemé de ruines datant de la guerre civile.
Meredyth Farm: une maison de maître, une pour le personnel, une autre pour les invités, des pâturages, des ruines datant de la guerre civile et d'immenses salons de réception. © DR
Les invités de Claude sont tous des habitants de Middleburg et des propriétés environnantes. Avec ses quelque 750 habitants, ce village très chic, dont la rue principale est bardée de boutiques élégantes, n'est certes pas le nombril du monde. C'en est toutefois le centre pour nombre de super riches Américains. A 50 minutes de voiture de Washington («huit minutes avec mon hélicoptère», comme me dit Jim, un des convives) ce ne sont que des pâturages, des rivières, des lacs, des chevaux et quelques routes souvent non goudronnées, reliant de somptueuses propriétés. On y pratique essentiellement l'élevage de chevaux, la gestion de sa fortune et la chasse au renard.
Une église? Non, une «grange pour hélicoptère», pour ceux qui, comme Jim, ne se déplacent jamais sans. © DR
Certes, Middleburg est aussi à 50 minutes de route de villages dans lesquels un tiers des habitants est au chômage et sous opioïdes, mais comme le disait Kipling, «ceci est une autre histoire».
Middleburg, du charme et du calme. © DR
C'est ce côté bucolique et «loin de tout» de cette région qui avait attiré John et Jacqueline Kennedy, qui y possédaient une propriété, Madame chassant le renard et ses enfants y ayant leurs poneys. Politiciens, hommes d'affaires, riches héritiers et acteurs célèbres (les Harriman, Frick, Mellon, Warner, Liz Taylor) ont toujours aimé ce coin si tranquille, même si parfois, cela chauffait.
Jacqueline Kennedy aimait tout particulièrement venir avec JFK à Glen Ora, une «Country farm» que le couple présidentiel louait. © White House Photographs
Vicky ne parle pas des affaires de cœur actuelles (elle dit «H and A», pour Heart and Ass, soit, cœur et cul). Mais elle rappelle volontiers que l'épouse de l'acteur Robert Duvall, a quitté un soir le domicile conjugal en compagnie du nettoyeur de leur piscine et qu'elle n'est jamais revenue et qu'un beau jour de septembre 1997; Susan Cummings, riche héritière a abattu Roberto Villegas son amant-joueur-de polo argentin, suite à une dispute.
Vicky Moon, sympathique langue de vipère. © DR
«C'est plus calme aujourd'hui, me confie-t-elle. Mais crois-moi, quand le facteur se trompe en apportant à «Madame Ex», une lettre destinée à «Mme Nouvelle», toutes deux portant le nom du mari, ça fait des étincelles et nourrit les conversations!»
Vous chassez le renard?
Jacqueline Mars n'est pas présente ce soir car elle a fort à faire: comme chaque année, elle organise la Grande Réception de Remerciements de la Orange County Hunt, le plus prestigieux des Clubs de chasse au renard du pays. Un club dont ne devient pas membre qui veut, puisqu'il faut être parrainé par l'ensemble des membres du comité et soit posséder au moins 20 hectares, soit 200’000 m2 de terres «chassables» soit s'acquitter de frais d'entrée de 250’000 dollars.
Fondé en 1900 par des financiers de l'Etat de New York qui, à l'origine, venaient chasser en Virginie, amenant chevaux et chiens dans leurs propres wagons de chemin de fer, le Club organise de nombreuses chasses entre septembre et mars.
Chiens et cavaliers patientent en attendant le signal du Maître de Chasse. © DR
Et donc, en cette belle aube (il est 05h45), je me retrouve au lieu de départ de la chasse. Une trentaine de cavaliers et cavalières, en grande tenue, ont sorti leurs chevaux de leurs camions. Quelques dizaines de chiens courent alentour. Honneur des honneurs, je rejoins le Maître de Chasse dans sa 4x4. C'est lui qui donne le signal du départ et il suivra aussi bien que possible la chasse, pour s'assurer que tout se déroule dans les règles de l'art. Dire que j'ai passé 2-3 heures passionnantes par monts et par vaux serait exagéré. Mais bon, j'ai vu.
Sont donc invités chez Mme Mars les propriétaires qui laissent libre passage aux cavaliers et aux chiens sur leurs propriétés. L'arrivée à Meredyth Farm est somptueuse. Le parc qui entoure la maison principale est illuminé. Une armada de coursiers ouvrent les portières des voitures qu'ils vont ensuite parquer, afin que les invités n'aient pas à marcher sur l'herbe.
Sont invités chez Mme Mars les propriétaires qui laissent libre passage aux cavaliers et aux
chiens sur leurs propriétés. © DR
Sous une énorme tente – nous devons bien être 300 – ce sont des buffets à perte de vue. Bars à huîtres, montagnes de crevettes, gratte-ciel de homard, barbecues géants, vins et alcools divers sont servis par les seuls Noirs que je verrai lors de cette soirée. Et bien sûr… des barres chocolatées et glacées «Mars» en guise de dessert.
«Faites-vous cela en Suisse aussi?»
A deux pas de ses 78 ans (elle est née le 10 octobre 1939), Jacqueline Mars tient la forme. Debout à l'entrée, souriante, elle souhaite la bienvenue à tout le monde. Apprenant que je viens de Suisse, elle veut savoir si nous chassons aussi le renard chez nous. J'hésite à lui dire que chez nous, ce sont surtout les requins de la finance que l'on devrait chasser, mais ce n'est pas le moment.
Un peu plus tard, elle me racontera qu'elle a passé de nombreuses années dans cette maison avec son père, qui est décédé en 1999. Elle a fait ses écoles dans le Massachusetts, puis à la prestigieuse université de Bryn Mawr en Pennsylvanie, où elle a obtenu un diplôme en anthropologie. Divorcée «depuis belle lurette» de son deuxième mari («deux ça suffit!»), elle a trois enfants, «tout comme [ses] parents». «Tout comme moi et mes frères, ils hériteront un jour d'une belle fortune».
«Aujourd'hui, je consacre mon temps à de nombreuses organisations locales, à des œuvres caritatives et à des activités philanthropiques, notamment comme membre du Conseil du musée Smithsonian et des Archives Nationales».
Ni elle, ni les nombreuses dames de la «bonne société» locale n'ont le temps de s'ennuyer. Comme me l'explique Vicky: «La grande différence entre Middleburg et des endroits comme Palm Beach, les Hampton, Gstaad ou St-Jean Cap Ferrat est qu'ici, la saison sociale dure toute l'année. Tiens, rien qu'en octobre, il y a deux vernissages, la bénédiction des animaux le jour de la Saint- François d'Assises, une rencontre de propriétaires de Terriers tibétains, une vente aux enchères de purs-sang et une fête pour Halloween. Sans parler des nombreuses réceptions. Et le programme est aussi chargé tous les mois de l'année.»
Ni Jackie Mars ni ses amies n'ont le temps de s'ennuyer ici: la saison sociale dure 365 jours par an.
Et que pense-t-elle de la misère qui règne à côté, en Virginie occidentale et de la crise des opioïdes (Opioïdes: «Putain, on meurt!», BPLT du 10 octobre 2017)? M'écoutant, je la vois faire un grand signe à quelqu'un loin de nous. «Sorry, I have to say hello», me dit-elle en me quittant. Je suis donc resté sans réponse.
Un Mars et ça repart? Voire...
Mars n'est pas que le nom d'une entreprise et d'une famille. C'est aussi le titre du livre écrit par Fritz Angst (qui signifie «peur»), sous le nom de Fritz Zorn (qui signifie «colère»). Zorn écrit sa biographie à la fin de sa vie et en fait une critique acerbe. Fils de parents appartenant à la vieille bourgeoisie zurichoise, il apprend très vite que l'on ne doit faire étalage ni de sa richesse, ni de ses émotions. Pour Zorn, tout est fait pour jouer à l'harmonie parfaite et cacher les désaccords. Il estime que c'est à cette éducation qu'il doit le cancer dont il mourra en 1976, à l'âge de 32 ans. L'éducation de Mme Jacqueline Mars n'a, semble-t-il pas été très différente, son père étant «très froid et distant» et «notre éducation très stricte». Mais les Etats-Unis ne sont pas la Suisse et il lui semble que le fait d'avoir pu faire ses écoles en habitant ailleurs que chez ses parents a été pour le moins bénéfique.
Post Scriptum
Amoureux des Etats-Unis depuis l'adolescence (les grands espaces, la créativité, la musique, le droit à l'erreur, etc.), je ne reconnais plus ce pays et ne m'y plais plus. Pourquoi?
il faut fournir un tas d'infos et payer pour obtenir le droit d'entrer aux USA
l'accueil est souvent désagréable à l'immigration + prise de photo et empreintes digitales.
en dehors du centre des grandes villes, il n'y a pas de trottoirs.
le piéton est une espèce en voie de disparition et traverser les avenues un risque mortel.
il y a trop de glace dans l'eau et autres boissons.
de l'air conditionné partout et tout le temps.
impossible d'ouvrir les fenêtres dans la plupart des hôtels.
sans parler anglais, on est perdu, même si les Américains parlent souvent très mal leur propre langue…
des serveuses qui nous donnent du «honey» et «sweetheart» à toutes les sauces.
au resto, des portions pour obèses, futurs obèses et diabétiques.
plus d'antibiotiques dans les steaks que dans ma pharmacie.
plus de pesticides dans les fruits et légumes que chez Monsanto.
des infos en boucle, des infos en boucle, des infos en boucle.
des infrastructures (ponts, trains, routes) souvent dans un état pitoyable.
trop de pauvreté d'un côté, trop de richesse de l'autre.
trop de misère d'un côté, trop de mépris de l'autre.
un pays et nombre d'habitants qui se prennent toujours pour les gendarmes du monde.
4,4% de la population mondiale et 22% de toutes les personnes incarcérées.
350 millions d'armes pour une population de 330 millions d'habitants.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
0 Commentaire