A vif / Vacances: des risques à géométrie variable
Malgré les fusillades qui s’enchaînent aux Etats-Unis, de nombreux Suisses ont choisi ce pays pour y passer leurs vacances d’été. La dernière en date, survenue le 4 juillet en marge des célébrations de la fête de l'indépendance, a fait grimper le nombre des «mass shooting» enregistrés depuis le début de l’année aux USA à 308, avec plus de 400 morts et 2’000 blessés. Visiblement, il en faudrait plus pour décourager l’ardeur des Suisses et des Européens à aller déambuler dans les rues de New York ou se mettre en scène à Hollywood.
Il faut dire que les recommandations prodiguées par le Département fédéral des affaires étrangères aux citoyens suisses se rendant aux Etats-Unis demeurent très soft. Certes, il y est mentionné que «la possession d’armes à feu et autres armes est très répandue» et que «le risque de se retrouver à l’improviste dans une fusillade ne peut être exclu». Mais pas vraiment de quoi fouetter un chat; ou penser que le fait de se rendre aux States pourrait être dangereux.
Un sentiment confirmé par la carte régulièrement mise à jour par le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères dans la rubrique «conseils aux voyageurs». Malgré les fusillades et les attentats à répétition dont les Etats-Unis font l’objet, ce pays demeure immuablement colorié en vert, la couleur qui correspond à une «vigilance normale». Cela concerne également l’Europe, où vu de Paris – et ce même au plus fort des attentats qui ont endeuillé il n’y a pas si longtemps la plupart des pays européens – aucun risque n’est à signaler. Comme pour les séjours aux USA, une simple «vigilance normale» y est recommandée.
D’autres régions du monde en revanche ne bénéficient pas de la même mansuétude. Sur le continent africain par exemple, le moindre enlèvement, le moindre mort au cours d’une fusillade prennent une ampleur disproportionnée; et condamnent le pays concerné à rejoindre la liste de ceux où il est «fortement déconseillé» de se rendre. En Afrique de l’Ouest, des responsables politiques s’étaient émus de cette mise à l’Index, laquelle, telle une double peine, fait aussitôt fuir touristes et investisseurs potentiels. Désormais, la carte de l’Afrique vue par la diplomatie française s’efforce d’être plus nuancée, et ne colorie en rouge vif que les lieux concernés par des violences et non plus indistinctement l’ensemble du pays.
On peut d’ailleurs faire un parallèle avec la pandémie de Covid-19, durant laquelle même si les pays africains étaient beaucoup moins affectés par le virus que l’Europe et les Etats-Unis, ils figuraient en pole position sur la liste des zones à éviter à tout prix. L’évaluation des risques que présente chaque région ne serait-elle donc pas une science exacte? A y regarder de plus près, il semble en tout cas que ce classement soit tributaire de toute une série de facteurs, dont la géopolitique, les rapports de force et l’actualité récente ne sont pas exclus.
Il est piquant de constater que si les pays européens, d’une manière générale, continuent en toutes circonstances à considérer les Etats-Unis comme un pays ami où ils peuvent se rendre sans risques, l’inverse n’est pas de mise. Vu de Washington en effet, le Département d’Etat recommande d’«exercer une prudence accrue» (exercise increased caution) dans la plupart des pays européens ayant connu des actes terroristes, puisqu’on y retrouve la France, l’Allemagne, la Belgique, la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Suède, la Norvège. La Suisse, le Portugal et la plupart des pays de l’est de l'Europe en revanche échappent à ce classement, pour figurer dans les pays où il convient d’exercer une prudence normale (exercise normal precautions).
Depuis l’invasion de l’Ukraine, les citoyens américains ont l’interdiction de voyager en Russie; et sont également priés de «reconsidérer leur voyage» en Chine, ce qui n’est pas le cas des Européens. On pourrait multiplier les exemples, chaque région du monde, chaque pays ayant sa propre perception du danger que peut représenter une contrée plus ou moins lointaine.
L’histoire récente montre en tout cas à quel point un danger réel ou supposé chasse l’autre: les attentats terroristes ont été remplacés par le Covid, et actuellement, on ne veut plus entendre parler ni de l’un ni de l’autre, même si tous deux n’ont pas dit leur dernier mot. A la rigueur accepte-t-on encore cet été, canicule oblige, de pérorer sur le réchauffement climatique; ainsi que sur les embouteillages dans les gares et les aéroports. Durant ces vacances d’été 2022 en tout cas, après deux ou trois ans de privation d’ailleurs, nous avons juste envie de voyager, de prendre l’air, avant le retour aux catastrophes. De déjeuner en paix, en quelque sorte, si on nous le permet.
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