Média indocile – nouvelle formule

A vif

A vif / Mesguich en voix off


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C’est l’un des événements du Festival off de cette année: «Au bout du monde», la nouvelle création de Daniel Mesguich, au Chêne Noir. Il fallait bien cela pour marquer les cinquante ans du théâtre de Gérard Gelas, dont l’ouverture en 1968, après celle des Carmes du regretté André Benedetto, donna naissance au Festival off. Car «Au bout du monde», c’est d’abord une réflexion sur le langage. C’est-à-dire sur le théâtre. Autrement dit sur nous-mêmes. Forcément.



Un homme, peut-être un voyageur, est seul dans un bar. Hormis la serveuse, il n’y a personne. Par désœuvrement, par besoin de parler ou plus simplement, afin de peupler le silence, il entreprend de raconter une histoire à la jeune femme. Son langage est châtié, sa culture vaste, quasi encyclopédique; manifestement il a beaucoup voyagé. Au contraire de la serveuse, issue d’une campagne rude, où les mots n’ont pas le même poids, ni surtout le même usage.

S’en suit une sorte de joute verbale, où alternent séduction et refus. Confrontation de deux mondes, de deux univers. Car la jeune femme ne manque pas de répartie. «Vous êtes dur!» se récrie l’homme – On ne m’a pas appris autre chose », lui répond-elle. Peu à peu pourtant, tous deux se rapprochent. Leurs langages se rejoignent à travers une forme de poésie que tous deux inventent, faite de rêves et de désirs. Mais ils ne sont pas seuls.

Entre eux deux un troisième personnage s’interpose en quelque sorte. Une troisième voix, qui ne cesse d’interférer. Elle prend la forme d’un poste de télévision, qui, s’allumant de façon intempestive, déverse un flot continu de paroles sans signification: talk-shows ineptes, commentaires sportifs affligeant de sottises, avis d’experts tous plus mondialisés les uns que les autres, etc. Ce que l’homme appelle le «Grand Infâme». Ce «langage des communicants, des économistes, des technocrates, explique Daniel Mesguich dans un entretien à PlusdeOff, où il n’y pas de poésie, où il n’y a que tractation et transaction.» Et qui parasite, imprègne peu à peu toute forme possible de discours.

La fonction même de l'art

Dans ce spectacle, adapté de l’ouvrage Le Langage d’Olivier Rolin, Daniel Mesguich ne se contente pas de diriger Alexis Consolato, criant de vérité en homme de télévision, ou encore Sterenn Guirriec, en serveuse pétillante, il tient lui-même le rôle de l’inconnu. Et une fois de plus on est saisi par sa manière d’occuper le plateau de par sa seule présence – les spectateurs romands ont pu s’en rendre compte encore l’automne dernier lors de la reprise à l’Octogone de L’Entretien de M. Descartes avec M. Pascal le jeune. On l’aura compris, Au bout du monde est un remarquable spectacle, où le texte est au centre – c’est devenu si rare au théâtre. Et qui est d’abord une réflexion sur la forme. Ce qui, après tout, est la fonction même de l’art. La forme que prennent nos manières de communiquer. Et donc de penser le monde.


Au bout du monde de Daniel Mesguich, Festival d’Avignon off 2017 / Théâtre du Chêne Noir / 12 heures 15 / jusqu’au 30 juillet, relâche les 17 et 24. 



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