A vif / Les six pompes, entre poésie et violence intellectuelle
Les derniers comédiens, jongleuses, performeuses ou équilibristes de la plage des six pompes rangeront leur scène et réempaquèteront leur univers au plus tard demain, ultime jour du festival de rue à La Chaux-de-Fonds. La plage, c’est une dizaine de scènes éparpillées dans la ville et des performances extrêmement variées; des spectacles parfois très débutants (mais néanmoins divertissants), et d’autres qui égratignent l’esprit avec délectation pour de longs jours.
En faisant mousser une bière au robinet de sa tireuse mobile, une bénévole des six pompes nous dit: «La musique que vous entendez en arrière fond, c’est l’équipe de “Toy-Party” qui répète son spectacle. Ils rejouent ce soir, c’est incroyable!». Car le festival à La Chaux-de-Fonds, c’est aussi cela: des spectacles conseillés par des inconnus au détour d’un stand de nourriture indienne, des échanges d’impressions accoudé au bar ou des petits conseils dans l’éternelle file d’attente des toilettes pour femmes (particulièrement propres, il faut bien l’avouer).
Des quilles volent, des acrobates sautent, le public rit et applaudit, souvent assis par terre, devant les scènes. Il n’est pas composé uniquement de vieux hippies soixante-huitards ou de jeunes altermondialistes en béret: difficile de trouver une dénomination unique aux spectateurs et spectatrices. Et c’est tant mieux. Ils sont venus pour qu’on leur offre un peu de rêve (ou parfois juste pour boire des bières) et pour découvrir des artistes qui titillent des muscles de l’imaginaire, parfois inconnus.
Rituel de fin du monde
Au sortir d’un spectacle d’acrobatie où quatre artistes jouent à la fois du piano, jouent avec le public et exécutent des portés vertigineux, on nous arrête: «Vortex?» Nous sommes devant la fameuse fontaine aux 6 pompes au centre de la vieille ville chaudefonnière et le spectacle Toy Party va débuter. Il est 22h et des poussières, la nuit a déjà largement envahi les rues. On nous colle un tampon sur le bras: «Quand on démarrera, vous me suivrez. Vous êtes le groupe Vortex.» L’acteur se faufile dans la foule en tenant ce discours de personne en personne. Trois autres adoptent le même rituel, nous sommes alors séparés en quatre groupes. «Vortex? On y va!». Nous suivons le jeune homme.
Il ne nous guidera pas seulement vers la scène du spectacle, il nous emmènera aussi dans son histoire: quatre cousins dans une vielle maison, chez mamie Jane qui est aussi punk. Trois garçons, une fille. Un grenier, des jouets et un imaginaire: «Nous croyions qu’on naissait soit enfant, soit adulte. Et ensuite, on a compris». Leur grande passion à tous, c’est la fin du monde. Les récits apocalyptiques. Le fait que tout soit détruit pour que du chaos naisse la liberté. On nous prend par la main, en petit groupe, et sans vraiment s’en rendre compte, on entre à notre tour dans le grenier de leur enfance. Ils sont grands maintenant, mais rien n’a vraiment changé.
«Plutôt adulte, mais cool pour les gosses», c'est le public conseillé pour le spectacle «Toy-Party». Malgré les jouets, il aurait mieux fallu écrire «Déroutant pour les adultes, et carrément déconseillé aux mioches.» ©Plage des six pompes
Les artistes chantent en s’accompagnant des bruits de leurs jouets de gamins. Les paroles sont fortes et on assiste petit à petit à un glissement dans une violence intellectuelle pure. La poésie contemporaine est amplifiée par des sons électroniques et les rythmes sont dignes d’une discothèque. C’est fort, les voisins de la place du marché doivent déguster. La musique est entrainante. Et pourtant, on n’a pas vraiment envie de se trémousser. Déjà parce que, même si la chanson parle de vagin en plastique, dans une critique de la société patriarcale particulièrement joyeuse, on assiste en fait à l’enterrement de Mamie Jane. Et à une cérémonie funèbre, on ne danse pas. Quoi que. Et ensuite, parce qu’on se pose des questions et on se torture un peu. Alors on a plutôt tendance à rester droit, les yeux rivés sur les chanteurs: que faire de nos fables d’enfants, imaginées, vécues, subies? La quintessence de la féminité, c’est peut-être avoir des poils sous les bras? Et si on détruisait tout et on recommençait? Alors on ressort du spectacle un peu choqués, bombardés, à coup de phrases répétées, martelées. Et on se demande comment on va pouvoir assister à d’autres spectacles, même le lendemain. Un peu comme lorsqu’on sort d’un repas trop copieux, dégoûté par sa propre gourmandise. Et puis, le jour d’après, on mange à nouveau.
Hamster, critique et hilarité
Car la plage des six pompes c’est tout une semaine, avec la possibilité d’engloutir cinq ou six spectacles par jour. Et lorsqu’on pense avoir tout vu, que l’on est passé par des shows particulièrement affligeants (car oui, il y a aussi des erreurs de casting incompréhensibles…), on retombe sur une pièce de théâtre éclairante (Le hamster, ce tyran qui fait de la roue tout le temps), un Tchekov revisité qui met le public au bord de l’hilarité (Jacqueline et Marcel jouent l’Ours de Tchekhov) ou un numéro suspendu dans les airs entre corde, trampoline et ciel (Home). Et si, selon quelques jeunes du coin rencontrés en «after» au Bikini test, «il n’y a rien à faire à La-Chaux-de-Fonds à part pendant la plage», alors autant découvrir la ville patrimoine de l’UNESCO à ce moment-là. Car la mécanique de précision n’est pas seulement horlogère dans «la ville du haut». Elle est aussi artistique.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Darkblue 13.08.2018 | 09h44
«Et bien, ça donne envie d'y aller mais trop tard pour cette année. J'agende pour l'année prochaine.»