Média indocile – nouvelle formule

A vif

A vif / Comment les Khmers rouges ont aveuglé la gauche d’alors


PARTAGER

Les cinquante ans de la prise de Phnom Penh rappelle jusqu’où à pu mener la ferveur idéologique de ceux qui, en Europe, applaudirent le régime génocidaire des Khmers rouges. L’occasion de se demander dans quelle situation actuelle peuvent se manifester de telles perturbations du regard sur le réel.



Puisque nous brassons le passé, autre souvenir. Il y a cinquante ans, le 17 avril 1975, les Khmers rouges entraient dans Phnom Penh. Renversaient le régime de Lon Nol, soutenu par les Américains, écartant de tout pouvoir le roi Norodom Sihanouk. Ils resteront quatre ans au pouvoir, chassés en 1979 par les Vietnamiens. Bilan de leur génocide: entre 1,3 et 2,3 millions de morts, entre 17 et 30 % de la population. Ils poursuivirent néanmoins leur action sous forme de guérilla, notamment à partir de la Thaïlande voisine. Jusqu’en 1998, à la mort de leur leader Pol Pot, finalement éliminé dans ses propres rangs. Quelques-uns des responsables de ces crimes ont été jugés. Notamment Khieu Samphân, le «chef d’Etat» rouge, condamné à la perpétuité et encore en vie. A Phnom Penh, où a été créé un «Musée du génocide» à côté de la prison.

Or ce régime dit révolutionnaire a été applaudi par toute l’intelligentsia de gauche en Europe. Du Monde à Libération en passant par le Nouvel Obs. Il fallut deux ans pour que ces admirateurs des tueurs commencent à réviser leur jugement. Bien plus pour le philosophe marxiste Alain Badiou, pris de doutes en 1979, mais qui n’a exprimé ses «regrets» qu’en 2012! Ce qui ne l’empêche pas de gloser aujourd’hui encore, fort savamment, sur les plateaux de télé et TikTok, à propos de ce qu’il appelle «l’illusion démocratique» ou «la tyrannie du capitalisme».

Cet épisode d’aveuglement agita aussi la gauche romande

Il divisa parfois des familles et des amis. A Lausanne, les maoïstes étaient bien présents, en rivalité avec les trotskistes plus réservés sur le sujet. Que dit ce moment peu glorieux de la gauche? Il démontre jusqu’où peut mener la ferveur idéologique. De quelque bord qu’elle soit d’ailleurs. Samuel Fitoussi, dans son essai Pourquoi les intellectuels se trompent (Editions de l’Observatoire), analyse en profondeur le phénomène à partir de ce cas. Il constate que les intellos, ayant fondé leur identité sociale sur certaines idées, peinent à reconnaître leurs erreurs, car cela impliquerait un coût social et personnel élevé. Pas facile de se renier publiquement lorsque l’on s’est engagé en faveur d’un régime ou d’une idéologie.

A chacun de se demander dans quelle situation actuelle peuvent se manifester de telles perturbations du regard sur le réel.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

0 Commentaire

À lire aussi