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Après l'émission «Les Beaux Parleurs» du 17 mars dernier, la RTS a exprimé des «regrets» pour les propos «outranciers» du chroniqueur Slobodan Despot, tenus à propos des pays baltes. Notre lectrice Myriam Demierre s'interroge: où s'arrête donc la liberté d'expression? Et que nous dit cet incident médiatique de la mission de service public dévolue à la RTS?



L'émission «Les Beaux Parleurs» est, selon la RTS, «un talk show, spectacle de paroles: trois chroniqueurs et un humoriste revisitent l'actualité de la semaine écoulée sur le ton d'une dispute intelligente et spirituelle.» Bien…

La RTS connaît très précisément le positionnement de Slobodan Despot sur la plupart des sujets qui peuvent être abordés dans cette émission et c’est précisément la raison pour laquelle elle a choisi d’en faire l’un de ses chroniqueurs. Pour respecter la «pluralité d’opinion» que lui impose sa charte.

D'ailleurs, puisque la RTS semble avoir oublié pour quel poste elle a engagé Slobodan Despot, peut-être est-il bon de rappeler ce qu'est un chroniqueur (selon Wikipedia): «A la différence du critique, le chroniqueur jouit d'une grande liberté. Il peut exprimer son opinion personnelle au cours de son travail et parler à la première personne

En l'occurrence, Slobodan Despot a énuméré des faits avérés, qui sont facilement vérifiables par toute personne faisant preuve d’un soupçon d’honnêteté intellectuelle. Ces faits étant exposés, il en a tiré des conclusions personnelles, avec lesquelles on peut être d’accord ou pas. C’est bien là l’essence d’un «talk-show» (puisque la RTS préfère présenter ses émissions en utilisant des termes anglophones plutôt que le terme, sans doute ringard, de débat). Slobodan Despot semble donc bel et bien avoir accompli comme il se doit le travail pour lequel le paie la RTS. Mais puisque la RTS estime nécessaire d’exprimer des «regrets» pour les «propos outranciers» tenus par Slobodan Despot, quelques questions s’imposent:

1. Pourquoi, si les propos n’y sont pas si libres que ça, l'émission «Les Beaux Parleurs» est-elle toujours présentée comme un «talk show» sur le site de la RTS?

2. Si la RTS juge bon d’exprimer ses «regrets» pour des «propos outranciers», il est à supposer que sa charte a été enfreinte par Slobodan Despot. Dans ce cas, il serait bon de spécifier aux lecteurs de 24 Heures quels passages plus précisément. La charte de la RTS dit notamment ceci: «une responsabilité particulière dans la recherche de la vérité, l’impartialité, la pluralité et le respect de la personne.» En décrivant des éléments factuels, Slobodan Depot a fait preuve de recherche de la vérité. Il représente l’un des éléments nécessaires à la pluralité d’opinion censément chère à la RTS et n’a manqué de respect envers personne au travers de ses propos. Où est donc le problème? De quelle liberté d’expression et de quelle pluralité d’opinion la RTS se targue-t-elle exactement, si elle «regrette» des propos tenus par l’un de ses chroniqueurs?

3. De par sa «responsabilité particulière dans la recherche de la vérité», pourquoi la RTS n’a-t-elle pas spécifié aux journalistes de 24 Heures que Slobodan Despot a décrit des événements factuels et avérés en donnant les sources y relatives?

4. S la RTS «regrette» les propos «outranciers» de Slobodan Despot, pourquoi n’a-t-elle pas fait de même lorsque Coline de Senarclens a déclaré dans cette même émission, le 25 février dernier, que «la binarité homme femme, c’est une idéologie (…) et anti-scientifique.» Cette déclaration pourrait être considérée comme un manque de respect envers l’immense majorité des Suisses romands qui ont encore le culot de penser qu’ils sont des hommes ou des femmes parce qu’ils sont nés hommes ou femmes. Certaines des personnes visées (notamment les 23'000 parents ayant signé la pétition du Collectif Parents) ont potentiellement pu se sentir agressées par ces propos. Elles n’en ont pas fait toute une histoire car elles savent que «Les Beaux Parleurs» est une émission de débat et que la liberté d’expression est (pardon, devrait être) l’un des piliers de toute démocratie qui se respecte.

5. Comment la RTS peut-elle justifier qu’elle remplit toujours son mandat de service public si elle décide de manière aléatoire (ou partiale?) de s’excuser pour certains propos, prétendument d’extrême droite, alors qu’elle ne s’excuse pas pour certains propos semblant relever de l’extrême gauche? Qui, au sein de la RTS, décide du moment auquel il faut ou non exprimer des «regrets»? Sur la base de quels critères?

6. Pourquoi exprimer des «regrets» pour des propos pouvant très éventuellement et en cherchant vraiment très très loin, heurter des citoyens des pays baltes uniquement? La RTS serait-elle donc un service public des pays baltes? Dans ce cas, pourquoi Serafe n’envoie-t-elle pas sa facture aux citoyens des pays baltes?

Le peuple suisse va voter prochainement sur la question d’une baisse de la redevance. Nombre de citoyens ne se sentent plus représentés par le «service public». La RTS ferait bien d’y penser avant de se lancer précipitamment dans des «regrets» hors de propos, qui ne peuvent qu’attiser un manque de confiance grandissant au sein de la population.

De plus, s'il est besoin de le rappeler, la liberté d'opinion est un droit fondamental garanti par l'article 16 de la Constitution. Une opinion ne devrait donc en aucun cas constituer un quelconque «dérapage» dans une démocratie digne de ce nom. Le battage médiatique fait autour des propos d'un chroniqueur interroge donc sur l'état de cette démocratie.

Toute cette histoire est une non-affaire, qui me rappelle tristement deux autres non-affaires arrivées il y a pile trois ans et ressemblant en de nombreux points à celle-ci: quelqu’un a été payé pour effectuer un travail précis. Il accomplit ce travail selon les termes du contrat. Qu’on le laisse faire ce travail. Point final.

Myriam Demierre

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

12 Commentaires

@Apitoyou 22.03.2024 | 04h37

«J’ai vu cette émission et j’ai remarqué que S D était assez vindicatif, ce qui ne m’a pas dérangé outre mesure.Mais aujourd’hui je ne me rappelle plus beaucoup quels étaient ses propos. Il aurait été bon de les rappeler dans cet article pour que l’on comprenne vraiment pourquoi la RTS ne serait plus de service public au regard de ses regrets exprimés. Au maximum l’article de M Demierre pourrait plutôt correspondre à un lettre de lecteur dans le journal 24h , que je ne lis pas en vivant à Genève .»


@Loicguelat 22.03.2024 | 08h28

«Mon point du vue est simple sur ce genre de question. J’ai eu énormément de contacts et de discussions avec des personnes nées en ex RDA ou du bloc communiste. Il y a toujours une chose qui me marque dans ces discussions: ces personnes ont toujours su décoder la langue de bois du parti unique et savaient pertinemment qu’on leur mentait.
En démocratie, c’est l’inverse. On pense toujours qu’on nous raconte la vérité, à tel point qu’on n’est plus capable de décoder le juste du faux.
Au final, je trouve que la RTS n’a pas à s’excuser pour ce qui s’est passé. Tout au plus, si les faits mentionnés par Slobodan Despot sont faux, ce serait à lui de s’excuser, pas la RTS.
La liberté d’expression, c’est une liberté entière et complète. Même si ce qu’on raconte dérange, on a droit de le penser et d’en parler. »


@Ph.L. 22.03.2024 | 08h36

«Par certains côtés, on peut se demander si la fameuse "neutralité helvétique" n'a pas totalement disparu dans le contexte particulier de la guerre d'Ukraine où l'officialité paraît avoir été contrainte de prendre parti au plus vite. De fait, l'attitude de la RTS dans la récente "affaire" Despot semble être un symptôme assez convaincant de ce phénomène, puisqu'il s'agit d'un média étatique financé par l'autorité politique et la redevance obligatoire. Tout cela dit assez bien la guerre économique et idéologique dans laquelle est plongé notre petit pays depuis deux ans et nous rappelle l'encerclement des années 40, au milieu d'une Europe à feu et à sang. Sous un certain angle, on peut dire qu'un troisième conflit mondial a démarré (ce n'est pas une nouvelle guerre froide, mais quelque chose de beaucoup plus violent, c'est certain) et il serait temps que tout le monde en prenne conscience.»


@rogeroge 22.03.2024 | 08h49

«N'y aurait-il plus de Voltaire à la RTS? Ne pas être d'accord mais se battre pour qu'on puisse le dire,»


@Pipo 22.03.2024 | 10h35

«Excellente argumentation démontrant le manque d’objectivité de la RTS et d’ailleurs de la plupart des grands médias sur les sujets qui fâchent , à savoir l’Ukraine, la crise Covid, le climat et le wokisme. Un exemple récent, en plus du cas cité dans cet article, en est le dernier Infrarouge concernant justement la guerre en Ukraine où Alexis Favre n’avait invité que des intervenants partageant grosso modo le même avis concernant cette horrible guerre; il aurait été intéressant d’inviter un Jacques Beaud ou d’autres geopolitologues qui analysent différemment ce conflit; il n’en manque pas mais ces gens- là n’ont pas droit aux grands médias. Encore une fois c’est exactement ce qui s’est passé avec la couverture du Covid.
Pierre Flouck »


@Christophe Mottiez 22.03.2024 | 11h52

«comme à son habitude, slobodan despot, sous couvert d'un journalisme soi-disant indépendant et objectif, ne critique que l'occident et ne dit mot sur la russie.

ses propos, durant l'émission 'les beaux parleurs' du 17 mars, n'étaient pas outranciers, mais fallacieux, voire mensongers.

il n'y a pas une "restauration du nazisme" dans les pays baltes: en affirmant cela, slobodan despot se fait le relais de la propagande du régime russe.
il y a, en revanche, chaque année des défilés de vétérans portant des uniformes nazis.
qui sont-ils, ces vétérans?
comme chacun le sait, l'otan n'existait pas avant 1949.
ainsi, durant la deuxième guerre mondiale, les ukrainiens, les estoniens, les lettoniens, etc., n'étant pas regroupés dans une puissante alliance, étaient trop faibles seuls de leur côté pour se défendre contre l'envahisseur russo-soviétique.
la plupart des héros de ces pays n'ont pas eu d'autre choix que de s'embrigader dans des bataillons nazis pour pouvoir combattre le monstre russo-soviétique.
il est parfaitement légitime que ces héros commémorent chaque année leur engagement armé, vêtus de leur uniforme nazi de l'époque, pour l'indépendance de leurs pays respectifs.
ces héros ont peut-être des opinions d'extrême-droite, mais slobodan despot serait mal placé pour les critiquer à ce sujet.

quant aux russophones vivant dans les pays baltes, la plupart s'y sont installés lorsque ces pays étaient colonisés par l'empire russo-soviétique.
ces gens ne se considèrent pas baltes, mais russes. c'est pourquoi ils ne parlent que le russe et détiennent un passeport russe.
ces gens représentent une menace potentielle pour les pays baltes et pour l'europe, car les services secrets russes veulent s'en servir contre les pays baltes comme ils le font en transnistrie contre la moldavie, en abkhazie et en ossétie du sud contre la géorgie, et en crimée et au donbass contre l'ukraine.

»


@willoft 22.03.2024 | 15h39

«La SSR marche sur des œufs en en cassant beaucoup, précisément par peur de la prochaine votation.

Et est-il nécessaire de rappeler que l'Europe n'aurait pas vaincu le nazisme sans... La Russie !

Quel gaspillage des deniers publics»


@Maryvon 22.03.2024 | 18h05

«Je pense que dans cette affaire ce n'est pas à la Direction de la RTS de s'excuser mais plutôt à M. Slobodan Despot de rectifier ses propos si ils sont erronés ou exagérés. Les chroniqueurs des "beaux-parleurs" peuvent aussi donner leur avis et d'ailleurs ils ne s'en privent pas et M. Jonas Schneiter fait très bien son travail. En tout état de cause, ce n'est certainement pas aux journalistes de l'émission "Infrarouge" de critiquer les propos de M. Slobodan Despot sans lui laisser d'ailleurs un droit de réponse. Cela donne d'ailleurs l'impression qu'ils ont un besoin impératif d'être bien considérés par leur Direction et d'autre part cela donne aussi le sentiment que dans cette entreprise chacun et chacune craint pour son emploi. J'ajouterais qu'il faudrait cesser d'utiliser des termes dont on ne maîtrise pas le sens. je pense par exemple au "nazisme" qui est utilisé actuellement à toutes les sauces. Je rappelle pour ceux qui l'ignoreraient encore que le nazisme défend l'idéologie que la race aryenne est supérieure. Il y a beaucoup de gens qui sont nationalistes, par exemple dans certains pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud sans pour autant être des nazis. »


@willoft 22.03.2024 | 22h13

«p.s.
Suisse vivant en Uruguay, la SSR a bloqué les VPN, le moyen d'etre un peu suisse, comme en Suisse.
C'est brillant!

La Suisse qui perd son identité, à vouloir tellement plaire à son compère américain, pour leurs droits
a une intelligence supérieure...

Achat de F35, rapprochement avec un OTAN en fin de course, mort du CS... etc.

Voter pour l'UDC n'est que garanti. Même si celui-ci est aussi à la ferveur américaine, n'ayant jamais rien compris à l'Europe.
Autre duplicité du plus grand parti de Suisse, mais comme disait l'autre... la Suisse existait, mais plus!»


@Apropos 23.03.2024 | 10h48

«A noter tout de même que les beaux-parleurs présents étaient plutôt mal à l'aise et discrets, voir un peu perdus face au ton nerveux de M. Despot, un peu comme dépassés par cette saillie imprévue. C'est vrai aussi que M. Despot n'a pas laissé beaucoup de place à ce que celui d'en face essayait de dire.
C'est bien là le problème pour moi, nous ne sommes plus habitués à écouter et répondre entre antagonistes. Ce qui rend pauvre la discussion et fait couler beaucoup d'encre par la suite sans aborder le sujet lui-même.»


@Maryvon 24.03.2024 | 16h18

«@Apropos
Ce que vous dites est tout à fait vrai. Par contre, il faut déplorer qu'il est très difficile aujourd'hui d'aborder certains sujets. Non seulement l'invasion de la Russie contre l'Ukraine en fait partie mais pas seulement puisqu'il en est de même lorsqu'on ose aborder les bombardements de l'armée israélienne sur Gaza. On vous rétorquera trop souvent, notamment si vous êtes citoyens français, que l'unique responsabilité en incombe au Hamas dont les membres, il est vrai ont perpétué un acte abominable le 7 octobre 2023 que rien d'ailleurs ne justifie. Le sujet est terriblement sensible chez nos voisins ce qui réduit considérablement la liberté d'expressions dans les médias. Prenons le cas des jeux olympiques, les athlètes russes en seront exclus mais certainement pas les athlètes israéliens. »


@Baïka 26.03.2024 | 21h25

«Merci pour cet excellent article que je valide entièrement. Je ne raterais pour rien au monde cette émission qui est remarquablement présentée par Jonas et son équipe des ‘Beaux-Parleurs’. Un grand bravo à Slobodan pour avoir eu le courage de se démarquer de la monotonie habituelle des programmes de la RTS.” La liberté d'expression est une liberté entière et complète.»


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