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Opinion


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Pour la troisième fois en 20 ans, le canton de Zurich envisage de repousser au secondaire l’apprentissage du français à l’école. Il n’est pas le seul. De quoi faire trembler la Suisse romande qui y voit une «attaque contre le français» et «la fin de la cohésion nationale». Est-ce vraiment le cas? Et nous, Romands, maîtrisons-nous l’allemand?



«Attaque contre le français», «Nouvel assaut à Zurich pour reléguer l'apprentissage du français au degré secondaire», a-t-on pu lire dans les médias romands à la suite de la motion votée le 1er septembre par le parlement zurichois de n’enseigner plus qu’une seule langue étrangère à l’école primaire, à savoir… l’anglais. Adoptée contre l’avis du gouvernement, la motion demande des bases légales pour un tel changement. Douze autres cantons alémaniques débattent également de cette question et pourraient suivre. Mais rien n’est encore joué puisque cette décision va à l'encontre du Concordat intercantonal, qui exige que deux langues étrangères, dont l’une nationale, soient enseignées à l’école primaire.

Intéressants, en revanche, sont les termes employés dans les médias: Attaque! Assaut! Serions-nous en guerre? Pas loin, à en croire le directeur de la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique, Christophe Darbellay, qui dénonçait mardi sur les ondes de RTS La Première «une façon dégradante d’aborder la langue de l’autre qui pourrait être dangereuse» et regrettait qu’«on se prive de ce vivre-ensemble qui est si fondamental dans notre pays», craignant même que celui-ci «se transforme en Belgique». Quant à la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, elle s’est dite «très préoccupée» par la situation et s’apprête à proposer au Conseil fédéral de relancer la discussion sur la protection des langues nationales, via, si nécessaire, une loi fédérale. Là encore, presque un cri de guerre dans un pays où l’instruction publique relève clairement des cantons.

Pourquoi l’anglais plutôt que le français?

Certes, il serait dommage que les petits Zurichois et autres bambins alémaniques n’apprennent plus le français à l’école primaire. On retient mieux quand on est jeune, c’est bien connu. Mais il semblerait que deux langues étrangères, à cet âge-là, ce soit trop: les enfants s’embrouillent. C’est du moins ce que révèlent les études menées.

Mais alors, pourquoi repousser au secondaire le français, langue nationale, plutôt que l’anglais? Peut-être parce que, dans un monde globalisé, les générations futures auront davantage besoin de maîtriser une langue parlée par 1,46 milliard de personnes – et baragouinée par bien plus – plutôt qu’une autre parlée par 343 millions d’individus, dont 2 millions de Suisses. Ou parce que le français est une langue terriblement difficile, dont les francophones eux-mêmes peinent parfois à comprendre la logique et à maîtriser l’orthographe.

Cela dit, la motion zurichoise ne propose pas de supprimer l’enseignement du français, mais uniquement d’en repousser le début de deux ans. Faut-il rappeler que nombre d’entre nous n’avons commencé à apprendre l’allemand qu’à l’école secondaire, puisqu’il en était ainsi autrefois dans de nombreux cantons? Or la Suisse n’était pas la Belgique pour autant.

Bye-bye la cohésion nationale?

Que l’initiative soit bonne ou mauvaise, ce qui interroge, c’est la virulence des réactions romandes. Ce n’est pas la première fois que des cantons alémaniques tentent de repousser l’apprentissage du français. Ainsi, en 2014, les cantons de Nidwald et de Thurgovie s’y étaient essayés. «La guerre est déclarée!» avait alors annoncé feu L’Hebdo. La presse parlait déjà d’«attaque», et la classe politique y allait également de son petit refrain catastrophe sur le thème «bye-bye la cohésion nationale». Quant à l’émission Infrarouge de la RTS, consacrée au thème Tchüss Switzerland, elle ressemblait aux jeux du cirque romain avec, seul au centre de l’arène, face à une horde de Romands armés jusqu’aux dents d’arguments hystériques, le traître à la patrie. En l’occurrence, Res Schmid, alors président du Conseil d’Etat de Nidwald. Un traître qui, soit dit en passant, parlait drôlement bien le français.

«Was gibt es zum Essen? Schnitzel!»

Mein Gott! À croire que c’est à l’école qu’on apprend les langues! Et que les Romands sont les premiers de classe de la solidarité confédérale. Quel Witz! Pour ma part, je n’ai même pas réussi à décrire le menu du cancrelat dans La Métamorphose de Kafka lors de l’examen oral d’allemand de la Matu. Le pauvre ne mangeait pourtant que du pain et du lait – Brot und Milch. Il faut dire que Siegfried et les Nibelungen, ce n’était pas ce qu’il y avait de plus enthousiasmant pour apprendre une langue.

La génération suivante a eu plus de chance. Grâce aux aventures de Hans et de Liselotte, tous les trentenaires et quadragénaires romands savent que la réponse à la question «was gibt es zum Essen?» est «Schnitzel», le plat préféré de Hans Schaudi. Et de s’écrier en chœur: «Prima!» Pas de quoi faire carrière outre-Sarine pour autant. Quant aux plus jeunes, vous en connaissez beaucoup qui, à peine sortis de l’école secondaire, ou même du gymnase, seraient capables de passer un coup de fil en allemand? Sans même parler du suisse allemand! Alors si la cohésion nationale dépendait de notre capacité à communiquer avec nos concitoyens alémaniques, cela fait longtemps qu’on le saurait. Et pourquoi pas l’apprentissage de l’italien et du romanche dès l’école enfantine, tant qu’on y est? On ne parle guère de ces deux langues-là. Ne relèvent-elles pas aussi du plurilinguisme si cher à nos cœurs?

Pour apprendre une langue, rien de mieux que l’immersion

Expérience faite, l’immersion est le meilleur moyen d’apprendre une langue et de se familiariser avec une culture. D’ailleurs, je doute que mon grand-père maternel, Bernois, ait eu la moindre notion de français en débarquant comme domestique de ferme dans le canton de Vaud; cela ne l’a pas empêché d’y faire sa vie. Idem pour ma grand-mère paternelle. Saluons, par ailleurs, les initiatives – encore trop peu nombreuses – favorisant les rencontres, tel le programme «Deux im Schnee», qui jumelle des classes de différentes régions linguistiques de Suisse et permet aux élèves d’échanger sur la langue et la culture de l'autre tout en pratiquant ensemble des activités sportives.

Au fond, ce qui nous chagrine peut-être, voire nous inquiète, nous les Romands, c’est que si les cantons alémaniques obtiennent l’autorisation de repousser l’enseignement du français au secondaire, nous devrons alors nous mettre plus sérieusement à l’allemand. Scheisse!

 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@JoelSutter 05.09.2025 | 08h57

«Nous devrions sérieusement nous mettre au… switzertutsch, plutôt!
Bien plus facile à apprendre, avec une grammaire simplisme, est la vraie langue de nos compatriotes alémaniques.
On me dira qu’il y a trop de différents dialectes. C’est vrai, mais apprendre le ou les plus courants: le züritutsch ou le bärntutsch, les autres locuteurs alémaniques seront quand même contents que l’on fasse l’effort de leur parler comme eux!
L’allemand classique, le Hochdeutsch, viendra rapidement ensuite. Scheisse!
Belle journée! »


@von 05.09.2025 | 21h00

«J'ai bien dû passer 8 ans à apprendre l'allemand et je ne pouvais pas sortir un mot. Ce n'est que lorsque j'ai dû aller en Allemagne pour le boulot que j'ai dû sortir ce que je savais. Et là on me répondait, lorsque je m'excusais de ne pas bien parler l'allemand, "mais si, vous vous débrouillez très bien. Vous faites quelques fautes mais je sais que vous êtes étranger, donc je traduis et vous comprend fort bien. C'est le principal non?". Et depuis j'aime bien l'allemand.

J'ai alors compris pourquoi on n'aime pas l'allemand en Romandie, c'est parce qu'il est (était?) mal enseigné. Je me souviens que la moindre faute écrite était sanctionnée alors que l'important, au départ, c'est de parler, pas d'écrire. Si on apprenais d'abord à parler, à dialoguer, même en faisant quelques fautes, on aimerait bien plus cette langue. On pourrait même apprendre le dialekt plutôt que le hoch deutsch, je suis d'accord avec JoëlSutter, au moins on pourrait le parler outre Sarine et s'y faire des amis.

Pour en revenir à l'étude du français en Suisse-allemande, ce qui est vexant c'est que nos petits bambins zürichois apprennent l'anglais AVANT le français. C'est assez humiliant tout de même.

Ce qu'il est important de retenir il me semble, c'est que notre cohésion nationale nous impose le respect et l'étude des langues et cultures des autres ethnies qui constituent la Suisse. Si nous commençons à nous parler en anglais, c'est cette langue là qui va dominer toutes les autres et nous précipiter dans les bras de la culture américaine. Les nôtres, de cultures, passeront au second plan, voire seront abandonnées.

Et il se trouvera bien un hurluberlu de service pour proposer que la Suisse devienne le 51ème état américain pour résoudre la question des 39%! Les efforts de nos ancêtres pour nous doter d'un système politique respectueux des minorités, le meilleur qui existe au monde, seront alors bafoués et nous nous alignerons bêtement sur le plus petit dénominateur commun et perdrons notre beau pays.

»


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