Analyse / La langue française brûle! Qui s'en soucie?
Elle brûle, notre langue! Elle sera bientôt réduite en cendres si rien n’est fait pour la sauvegarder. Flammèche sur l’incendie, seuls les extrémistes sonnent le tocsin. Surtout, ne comptons pas sur le Président français pour jouer les pompiers. Il serait plutôt du genre sapeur. Et pas sans reproches!
Vocabulaire réduit au triste minimum et syntaxe tordue en tous sens. La lecture de nos messages devient de plus en plus déprimante et de moins en moins compréhensible. La Francophonie d’aujourd’hui retourne la maxime de Nicolas Boileau («ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément»): ce qui s’énonce en charabia, mal se conçoit. Et les mots pour ne rien dire arrivent dans le brouillard.
Constat de «has been» me rétorquera-t-on. Quitte à se faire insulter, autant l’être en français. Merci de remplacer «has been» par «vieux con».
Parlez-vous «globiche»?
Depuis 1964, année de la parution de l’indémodable livre de René Etiemble Parlez-vous franglais, l’invasion de l’anglo-américain dans la langue française n’a cessé de progresser. Désormais, une nouvelle étape est franchie: on remplace directement le franglais par l’anglo-américain ou plutôt le «globiche» ou «globish», son avatar gluant et misérable, sabir réduit à quelques mots pour balbutier des échanges utilitaires. Impossible d’articuler une pensée avec ça.
Un épisode récent a provoqué dans mes narines une subite montée de moutarde. Forte, la moutarde, car amère, la provocation.
Un excellent ami, sympathique au demeurant (c’est presque pire) m’envoie ce texto à la suite d’un de mes appels: Can I call you later? Et c’est tout. Pas de clin d’œil. Qu’un Français s’adresse en anglo-amerloque à un Suisse romand, il n’y a rien là de plus normal. Et sur la carte de visite du copain, aucune surprise de lire: «Chief Business & Strategy Officer». Etatsunienne sa boîte? Non, française, basée à Paris. Non pas Paris, Etat du Texas mais bien Paris, Ile-de-France.
Le mauvais exemple vient de très haut
Bien sûr, mon pote anglomane n’est point le seul de son espèce. Le mauvais exemple venant de très haut, les ministères français utilisent l’anglais à tour de langue (très chargée, la langue). La lecture du Rapport sur la communication institutionnelle en langue française en administre la consternante confirmation. Il a été rédigé par l’Académie française qui l’a adopté le 3 février dernier (lire ici le document complet). C’est un florilège d’horreurs et il est fort malaisé d’en distinguer une en particulier.
«Ma French Bank utilise des cookies»
Nous avons pêché celle-ci émanant du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation à propos de la start-up Agriloops: «Nous avons eu le soutien du FoodInn Lab d’AgroParisTech pour notre première phase de tests, de l’incubateur public Agoranov pour le business development. Vous lancez votre boîte dans la Foodtech et vous avez besoin d’un accompagnement scientifique et de lieux pour expérimenter? Rejoignez le Food’Inn Lab d’AgroParisTech!»
Vous n’avez pas tout vu. Les académiciens ont extirpé cette chose d’une publicité bancaire:
MA FRENCH BANK «Mon French mag’» «Les bons TIPS pour ouvrir mon compte en ligne. Dans les starting blocks? Ma French Bank utilise des cookies.» «Services offerts: Le French à la cool / Let’s Cagnotte/ We Partage» «Mon French Mag: Retrouvez nos dernières news; Dites oui à la French actu.» («Ma French Bank est une banque mobile, filiale à 100% de La Banque Postale).»
Banque postale? Poste bancale plutôt. La langue de Voltaire, Rousseau, Balzac, Simenon, Césaire, Eluard, Cendrars ou Camus est donc en passe d’être reléguée au rang de patois.
Je découvre the Moon? Il est vrai que les universités françaises proposent des formations en anglais. Depuis fort longtemps les scientifiques n’échangent qu’en anglo-américain.
En Suisse, un officier m’a assuré qu’il est de plus en plus utilisé entre militaires alémaniques et romands. Bientôt nous passerons de quatre langues nationales à cinq, puis à une, lorsque l’anglo-américain aura bouffé les quatre autres.
La loi 101 au Québec
Normalement, tout pouvoir politique devrait s’émouvoir en constatant cette destruction de ce qui fait la substantifique moelle d’une culture.
Les Québécois, eux, ont pris la mesure du danger (ils sont en première ligne) en adoptant la Charte de la langue française ou Loi 101 (lire ici). Exemple de cette législation offert par son article 58: l’affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français. Ils peuvent également être faits à la fois en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante.
Et en France? Rien ou si peu. Pour redresser la situation, on ne saurait compter sur le Président Macron, le plus confit en franglaiserie de tous les locataires de l’Elysée. C’est tout de même lui qui diffusé, le 29 mars 2018, ce Touite d’un ridicule achevé:
«Je crois dans l'autonomie et la souveraineté. La démocratie est le système le plus bottom up de la terre.»
Il y a des coups de pied au bottom qui se perdent!
L’ère des «helpers» et autres «community managers»
Emmanuel Macron aime à se parer des plumes du paon littéraire en utilisant des termes alambiqués qui font faussement érudit. Mais ce mince vernis se craquelle vite sous l’effet de l’americanolâtrie. Produit de l’hypercapitalisme financier, le Président français ne peut penser qu’étatsunien, parler étatsunien, écrire étasunien.
En tant que correspondant à Paris, j’avais pu d’emblée m’en rendre compte à l’occasion de la fête donnée par les partisans d’Emmanuel Macron à la Porte de Versailles, le 23 avril 2017.
Les petites mains de la Macronie avaient pour titre, helpers et leurs supérieurs, community managers. Exemple parmi d’autres glanés dans mes notes de l’époque; un community manager avait morigéné en ces termes une bande de helpers à peine moins âgés que lui: «Les gars, désolé, mais votre communiqué n’est pas snackable». Ce snack m’est resté sur l’estomac.
Bref, le ton du macronisme débutant était donné: go to the start-up nation! Ce péché originel n’a fait que croître et enlaidir.
Les seuls à réagir contre ce phénomène délétère, hélas, se trouvent à l’extrême droite et dans une moindre mesure, à l’extrême gauche.
Le «grand plan d’urgence» de Marine Le Pen
Lors de la récente campagne présidentielle, Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, a lancé cette salve contre le Président de la République: «Non seulement, il n’a rien fait pour respecter la Loi Toubon1 qui est quotidiennement foulée aux pieds dans les commerces, la télévision, la publicité, mais encore il a plus d’une fois donné le mauvais exemple.» (lire ici ce site qui recense les positions des candidats à la présidentielle 2022).
Mais c’est surtout l’extrême droite qui a émis des propositions pour sauvegarder l’emploi de la langue française en s’inspirant souvent de la Loi 101 du Québec. Au cours de la campagne électorale de 2022, Marine Le Pen a déclaré à la presse qu’elle voulait lancer «un grand plan d’urgence» pour sauver la langue française et «rétablir l’usage exclusif et irremplaçable du français dans tous les usages qui fondent et forment notre civilisation».
Les autres élus ne se montrent guère loquaces à ce propos. Du côté de la France Insoumise de Mélenchon, on cherche à promouvoir l’écriture inclusive. Du côté des centristes du Modem et des écologistes, on préfère défendre les dialectes régionaux.
Le Rassemblement National de Marine Le Pen s’engage donc sur ce boulevard que les autres formations politiques lui ont ménagé. Situation calamiteuse.
Défense de la langue diluée dans la xénophobie
Tout d’abord, la défense de la langue se voit ainsi diluée dans un ensemble marqué par la xénophobie, au même titre que la lutte contre l’immigration. Cette confusion nuit considérablement à la défense du français dans la mesure où celle-ci apparaît comme un argument teinté de racisme, ce qui ne peut que la déconsidérer aux yeux d’une grande partie de la population.
D’autant plus que la défense de sa langue devrait être l’affaire de tous et ne pas rester coincée dans les extrêmes du paysage politique.
Ensuite, il faut convaincre tous les francophones de la promouvoir et surtout ne pas oublier les familles issues de l’immigration. Dans cette optique, l’épouvantail Le Pen n’est certainement pas le meilleur truchement pour les attirer.
Victoire de l’ordinateur contre le «computer»
Contrairement à ce que les americanolâtres prétendent, la cause du français n’est pas perdue. Malgré la franglomanie macronienne, un organisme du ministère français de la Culture fait du bon travail. Il s’agit la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF). C’est notamment grâce à son action que des objets technologiques nés en anglais ont été naturalisés français. Parmi eux, deux sont d’un emploi constant: on parle désormais d’ordinateur et de logiciel en lieu et place de computer et de software, comme le relève le linguiste Bernard Cerquiglini, ancien délégué général, dans l’hebdomadaire Marianne.
Il faudrait, néanmoins, que ses efforts soient mieux soutenus et surtout ne soient pas torpillés par la communication macronienne qui pratique l’inverse de ce que préconise sa propre Délégation générale.
Et les médias?
Cela dit, il appartient aux médias de balayer devant leur porte. Longtemps vigie du bon usage de la langue, France Culture se laisse envahir depuis peu par le franglais, ce qui ne peut qu’encourager les autres stations à foncer encore plus vite sur cette pente lamentable. Et l’observation vaut pour tous les supports, radio, télévision, site électronique.
Une autre méthode de sauvegarde consisterait aussi à s’inspirer de l’espagnol qui digère les mots anglais pour les hispaniser, tel le mot «futebol». Pourquoi ne pas écrire «blogue», «ouèbe», par exemple? Et merci une fois de plus aux Québécois qui nous ont donné le joli «courriel» à la place de l’inélégant «mail» prononcé généralement de façon caprine: «mèèèèèle»!
La persuasion ne sera sans doute pas suffisante, tant la puissance de la mercatique anglo-américaine se révèle imposante. A l’instar de la Loi 101 québécoise Il faudra alors adopter des mesures qui contraignent les administrations, les médias et les agences de publicité à bannir l’anglais, sauf exceptions à définir.
Que chacune (chacun) soit pénétré de cette évidence: sauvegarder sa langue c’est sauver ce qui est de plus intime en nous et qui nous fait êtres humains libres.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
6 Commentaires
@Juls 16.12.2022 | 08h15
«Merci pour cet article qui nous pousse à réfléchir au delà des sujets brûlants d’actualité. Car pour rebondir sur votre dernière phrase, il suffit de relire des classiques du début du xxe siècle pour se rendre compte de l’appauvrissement effrayant de notre langue….et par là des esprits! Tellement plus faciles à manipuler.»
@guy.mettan 16.12.2022 | 08h40
«Bravo Jean-Noël. Ça me fait penser aux excellentes diatribes du regretté Claude Duneton. »
@simone 16.12.2022 | 20h55
«Merci et bravo! Enfin une vraie défense de la langue française!
Suzette Sandoz»
@asd 17.12.2022 | 11h31
«Réjouissons-nous d’avoir en Suisse des artistes de la langue qui nous ravissent : Aude Seigne, Elisa Shua Dusapin, Julien Burri, pour ne citer que quelques noms!
Anne Sandoz Dutoit»
@Mandarine 20.12.2022 | 08h37
«Oui, il faut protéger cette si belle langue, et ne pas la massacrer par une soi-disant évolution incompréhensible! Merci pour cet talentueux plaidoyer!»
@Spark 09.03.2023 | 23h10
«J'ai reçu une réponse de l'AVS qui contient une faute d'orthographe "ou" au lieu de "où" qui a modifié totalement le sens de la phrase et m'a induit en erreur. Ce n'est qu'à sa relecture, plusieurs jours plus tard, que je m'en était rendu compte. La maîtrise d'une langue est une affaire sérieuse. Pour échapper au respect et à la rigueur de l'usage d'une langue, l'on recourt au mélange vulgaire avec d'autres langues tout en se donnant un air savant. »