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Culture / Alchimie du jeune homme


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«Le jeune homme», Annie Ernaux, Editions Gallimard, 38 pages.



A. a presque trente de moins que l’auteure. Lorsqu’ils se rencontrent, il est étudiant à Rouen et en couple avec une fille de son âge. Annie Ernaux est mère de deux fils, divorcée, professeure et déjà un écrivain reconnu. Ils ont correspondu. Puis ont passé «une nuit malhabile» ensemble. Puis des centaines d’autres. Pourtant, c’est en moins de quarante pages que Le jeune homme présente une dissection de cette relation «scandaleuse», vue comme telle en tout cas. L’écriture blanche, le style (ou l’absence de style) d’Annie Ernaux opère ici une alchimie étonnante. Ce texte n’est ni une nouvelle, ni une vignette clinique, moins encore une confession. Il ne lui manque rien, il se déplie avec une surprenante amplitude. Le récit de la relation, qui dure au total près de deux ans, ne progresse pas vraiment. C’est le temps qui avance, inexorablement palpable, entre ces deux amants désynchronisés. A l’évidence, l’étudiant rappelle à l’auteure sa propre jeunesse. Mais ce n’est pas un miroir tendu à sa vanité qu’elle scrute. Plutôt un mille-feuilles quasi proustien, avec ses madeleines, ses observations sociales acérées, son rapport lucide au moi. C’est avec autant de lucidité qu’elle s’observe elle-même s’éloigner, plus qu’elle ne met, ou qu’il ne met un terme à leur liaison: «De plus en plus, il me semblait que je pourrais entasser des images, des expériences, des années, sans plus rien ressentir d’autre que la répétition elle-même. (...) son rôle d’ouvreur du temps dans ma vie était fini». Il n’y a de scandaleux que le temps. 

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