Culture / Le dingue d’en face
«Regarde-moi», Antonio Ungar, Editions Noir sur Blanc, 224 pages.
Il n’a pas de nom. Dans le récit, il n’est d’abord qu’une paire d’yeux, puis un corps, un corps d’homme qui cherche à laver le désir qui grimpe en lui à grands renforts d’eau de Javel. Depuis ses fenêtres, l’homme observe les nouveaux voisins, dans l’appartement d’en face. Ce sont des Paraguayens, à ce qu’on raconte, une famille de bandits auxquels la fille, Irina, ses joggings fluos et ses robes trop courtes, sert de bonne à tout faire. L’homme tient le journal, adressé à sa défunte sœur, de tous ses délires. Les psychotropes qu’il s’enfile, l’argent qu’il a caché hors d’atteinte du fisc, les caméras installées dans la chambre d’Irina, les érections qu'elle provoque, et aussi son grand projet. Un projet terroriste, dans lequel des anges exterminateurs en placoplâtre bourrés d’explosifs sauvent «le vieux pays» des «envahisseurs». C’est un maniaque, peut-être, un dangereux xénophobe, sans doute. Sauf qu’il finit par rencontrer plus dangereux que lui: en miroir déformé et déformant, c’est Irina qui lui révèle son propre jeu. Qui regarde qui? Qui assassinera qui? Le récit d’Antonio Ungar est dérangeant parce que nu, sans idéologie, sans discours, sans explications non plus: la seule noirceur sale de l’âme humaine. Devant une telle prouesse de cynisme contemporain, on pensera assurément à Houellebecq, qui élève lui aussi crasse et veulerie au rang des beaux-arts.
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