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Lu ailleurs / Gore des Alpes: une deuxième vague très attendue


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Non, ce n'est pas d'une deuxième vague de coronavirus dont parlent nos amis de Vigousse cette semaine, plutôt de celle des romans qui font peur des excellentes Editions Gore des Alpes.




Stéphane Babey, Vigousse


Alors que la Suisse vit dans la crainte d’une deuxième vague, en voici une qui fait encore bien plus peur, puisqu’il s’agit de celle de l’excellente collection Gore des Alpes, initiée par l’écrivain et humoriste Philippe Battaglia. Après trois volumes publiés il y a un peu moins d’une année, voici la deuxième livraison de ces récits qui mêlent horreur, sang et humour dans un contexte valaisan.

L'Eventreuse

Commençons par L’Eventreuse, signé Stéphanie Glassey, qui adopte un angle historique en s’intéressant aux faiseuses d’anges, indispensables auxiliaires des sages-femmes dans ces vallées reculées où règnent le viol et l’inceste. Mi-guérisseuse mi-sorcière, l’avorteuse est tolérée car elle permet de faire disparaître les traces des exactions des hommes, mais elle risque à tout moment d’être désignée à la vindicte publique et exécutée. Le récit se déroule en 1880. Marie-Ange, excédée par la cruauté et l’hypocrisie des mâles, décide d’ajouter à son rôle d’avorteuse celui de furie vengeresse. Pour chaque jeune fille délivrée de son enfant indésiré, elle traque le responsable pour le faire payer.

Stéphanie Glassey retourne habilement les conventions du genre horrifique. Ici, les monstres sont les humains et leurs pulsions. Ceux qui violent et ceux qui détournent le regard, garantissant ainsi l’impunité aux bourreaux, qui sont le plus souvent des notables. Au passage, l’auteure rappelle un certain nombre de vérités historiques peu reluisantes, comme le placement des enfants pauvres chez les riches propriétaires qui en abusaient selon leur bon plaisir. Et les pratiques obstétriques mêlant subtilités théologiques et superstition, comme l’ondoiement, consistant à baptiser un mort-né à l’intérieur de l’utérus par introduction d’une main trempée dans l’eau bénite, ou le répit, c’est-à-dire une résurrection momentanée (!) du fœtus dans un lieu saint laissant juste le temps de le baptiser avant de l’enterrer… Concernant l’aspect gore, on est servi avec les descriptions minutieuses de plusieurs avortements artisanaux. En revanche, l’écrivaine avoue n’avoir pas trouvé la force d’ajouter de l’humour à son sujet. On la comprend aisément: de la gaudriole n’aurait pu qu’affadir le propos de ce puissant roman féministe horrifique.

VenZeance

Continuons avec VenZeance, du dessinateur François Maret. C’est donc une BD, la première de la collection Gore des Alpes, ce qui est une excellente idée. Maret nous régale d’un joyeux jeu de massacre parfaitement loufoque sur le thème très tendance des morts-vivants. L’épidémie débute à la «choucroute à Christian», le célèbre buffet géant annuel du FC Sion. La halle des fêtes du CERM de Martigny se transforme rapidement en boucherie lorsque les convives commencent à s’entredévorer au lieu de bâfrer leurs saucisses, tout cela pendant que, sur scène, Constantin déguisé en astronaute danse un french cancan endiablé entouré de girls dénudées… Tout le monde en prend pour son grade dans cette épopée échevelée: les fans du FC Sion, l’armée, les journalistes de la chaîne locale Canal 9, et bien entendu CC, décrit comme si agressif que ses gardes du corps ne remarquent même pas la différence lorsqu’il se fait mordre par un zombie… Du tout bon.

Tantine Chevrotine

Terminons avec Tantine Chevrotine de Jordi Gabioud. Pas de dimension fantastique ici puisqu’on se situe plutôt dans le roman noir, ou le «mafia-raclette» ainsi que le définit la quatrième de couverture. Le contexte est contemporain, dans le petit village d’altitude fictif de Remaret. Monique profite d’une retraite paisible dans son mayen au-dessus du village. Le glacier recrache alors le corps de Jacques Fournier, disparu depuis 60 ans au cours d’une excursion avec le grand-père de Monique. Le clan Fournier, ramassis de dégénérés consanguins qui sème la terreur dans la région, décrète que c’était un meurtre et que Monique, unique descendante, doit payer. La petite vieille va devoir décrocher son fusil pour se défendre contre les assauts de plus en plus violents de ces rois du village pendant que les autres habitants se barricadent chez eux. On est ici clairement dans l’ambiance western, sauf qu’il n’y a pas de shérif et que l’héroïne boit de la verveine. C’est truculent, gore à souhait, passablement pervers et un peu inquiétant quand même car on sent qu’il y a une part de vérité dans cette mainmise clanique sur les affaires de certains villages.

Avec ces trois nouvelles sorties, Gore des Alpes prouve à nouveau la validité de son concept. Et c’est avec impatience qu’on attend la suite! 


L’Eventreuse, Stéphanie Glassey, 126 pages; VenZeance, François Maret, 144 pages; Tantine Chevrotine, Jordi Gabioud, 142 pages; édités tous les trois par Gore des Alpes

Cet article est paru dans le numéro 457 de Vigousse

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