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Analyse

Analyse / Le jour d'après

Yves Genier

25 mars 2020

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La violente crise provoquée par le Covid-19 va entraîner de profonds changements dans le fonctionnement de l'économie, dont on ne fait qu'entrevoir les contours.



Un globe terrestre sur lequel est suspendu un panneau avec cette seule indication: «Fermé». La couverture du magazine The Economist montre avec sa sobriété habituelle l'état de stupeur dans lequel la planète entière est soudainement plongé en raison du virus qui, à défaut d'avoir contaminé tout le monde, occupe pratiquement toute l'attention disponible. 

Il y a, bien entendu, l'urgence sanitaire. Et puis il y a celle qui vient immédiatement derrière, l'urgence économique. Parce que la fermeture forcée des commerces, des écoles, de toujours plus d'usines, la mise à couvert de la grande majorité des travailleurs et de leurs familles entraîne un bouleversement de la vie économique et de l'organisation du travail annonciateur d'un énorme trou dans la création de valeur.

L'effondrement

Les marchés financiers ont été les premiers à l'identifier et l'anticiper, par un krach encore plus violent que celui de 2008: plus de 25% de valeur boursière anéantie en un peu plus de trois semaines. Ils n'anticipent pas que la baisse des dividendes des entreprises qui verront leurs affaires amoindries à cause des restrictions diverses. Ils entrevoient surtout le risque d'un krach financier majeur, dans l'hypothèse pas du tout improbable où une vague de faillites ne rende les banques insolvables.

Les spécialistes de la conjoncture arrivent immédiatement derrière, avec des anticipation de baisse du PIB jusqu'à -5% à la fin du printemps en Suisse et en Allemagne. Selon le conseiller fédéral Ueli Maurer, chef du Département des finances, l'économie suisse tourne actuellement à 80% de ses capacités. Elle peut encore ralentir, surtout si les usines sont contraintes à l'arrêt, comme c'est le cas déjà en Italie et au Tessin.

Les lignes bougent à toute vitesse

Face à une crise aussi soudaine, profonde et inattendue, la recherche de solutions ne peut que se faire en faisant bouger très vite des lignes de fracture que l'on pensait immuables depuis des décennies. Partout dans le monde développé, les idées vont dans la même direction: prise de charge des salaires des employés forcés au chômage, soutien financier aux entreprises par des reports d'échéance, des cadeaux fiscaux et des garanties de prêts. Des banques centrales augmentent ou réactivent leurs programmes d'achats d'obligations d'entreprises, se rendant ainsi créancières d'institutions privées, ce qui dépasse complètement leur mandat.


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En Suisse, qui eût dit, il y a dix jours encore, que les indépendants se voient indemnisés et soutenus par l'Etat alors que, de tous temps, ils étaient réputés supporter seuls leurs risques? Qui eût imaginé Berne cautionner à 100% des prêts aux entreprises sur la seule foi qu'elles se disent victimes d'un virus? En comparaison, l'idée américaine de distribuer des chèques de 1000 dollars à chacun paraît bien moins révolutionnaire car le truc a été employé dans le passé récent. Disons aussi que les Etats-Unis disposent d'un système social bien plus rustique que le nôtre.

On attend les vagues suivantes: nationalisations d'entreprises jugées essentielles et menacées (la question est déjà discutée pour maintes compagnies aériennes dont Alitalia), extension des garanties d'Etat à de larges gammes de prêts privés, émissions massives de monnaie pour combler les destructions de valeur causées par l'arrêt de l'activité.

L'Etat acteur central

Tout va dans le même sens: l'Etat, garant du bon fonctionnement de l'économie, en devient la pièce maîtresse, celui qui rassemble toujours plus de fils. A ce rythme, les ministères de l'économie des pays développés vont prendre des traits qui feront penser aux bonnes vieilles administrations économiques soviétiques. On est certes très loin des plans quinquennaux de Staline! Mais le rêve des libéraux de ramener l'Etat à un simple rôle de régulateur et de gardien s'évanouit pour longtemps. Il avait déjà été bien malmené lors de la crise de 2008, qui avait vu les pouvoirs publics serrer la vis du secteur financier après avoir dû dépenser sans compter pour le sauver de ses errements.

Justement, et si le destin de l'économie dite «réelle» n'était pas justement de marcher dans les pas du secteur financier? Nombre d'ingrédients paraissent les mêmes. Des entreprises apparemment anodines prennent soudainement une importance stratégique, peuvent se voir réquisitionnées par l'Etat, et deviennent même des enjeux de négociation (imaginons le dialogue suivant: «tes tests contre mes respirateurs»). Ainsi le genevois Firmenich, qui «offre» 20 tonnes de solution alcoolique aux HUG. Ou Qiagen, fabricant allemand de tests. Ou encore l'américain Hamilton, qui fabrique des respirateurs près de Coire.

Crise systémique

La crise a pris un caractère systémique: les fabricants de masques et de solutions hydroalcooliques sont concentrés en Chine, et n'ont donc pas pu répondre à la demande lorsque leurs usines ont dû rester fermées. La réponse de l'Etat (et du marché) est déjà: déconcentrez! Et plus loin encore: des groupes automobiles entiers ont arrêté leurs usines. Du coup, maints composants industriels utiles à d'autres secteurs ne peuvent plus être livrés, pouvant affecter, à terme, les fabricants et livreurs de denrées alimentaires, rempart ultime de la résistance des populations face aux effets de la pandémie. La réponse sera sans doute, là aussi: diversifiez vos sources d'approvisionnement et de pays de production!

Lorsque les intérêts publics sont à ce point menacés, l'Etat intervient lourdement. Dans quelle direction? Il deviendra le garant, donc le créancier ultime de larges pans de l'économie productrice et du secteur financier. Il dictera plus étroitement encore les conditions des choix stratégiques des entreprises. Ces nouveaux pouvoirs l'amèneront-il à accroître le contrôle social, notamment grâce à la numérisation et aux smartphones? Dans le Financial Times, l'auteur à succès Yuval Noah Hariri le pressent. Gageons que le profil bas du Conseil fédéral, les engagements démocratiques d'Angela Merkel, d'Emmanuel Macron, et de tous les dirigeants amenés à prendre des décisions autoritaires et liberticides pour raisons sanitaires, sont sincères.


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