Média indocile – nouvelle formule

Lu ailleurs

Lu ailleurs / Ne devenez plus propriétaires!

Yves Genier

21 janvier 2020

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Le magazine libéral britannique The Economist soutient l'économie de marché de toutes ses forces. Pourtant, il dénonce les politiques d'encouragement à la propriété du logement, qu'il qualifie d'«horrible maladresse». Ça tombe bien, les Suisses votent sur le sujet le 9 février.



Encouragé depuis plus d'un demi-siècle, l'accès à la propriété du logement est l'un des piliers des politiques économiques et sociales des pays occidentaux. Ses partisans, également nombreux en Suisse, n'y voient que des avantages. Devenus propriétaires de leurs appartements ou villas, les gens ont le sentiment d'avoir une meilleure maîtrise de leur cadre de vie, de se montrer plus respectueux de leur environnement (et donc de leurs voisins), et de participer à la prospérité générale grâce à l'augmentation de la valeur de leurs biens. Bref, la propriété du logement est la matrice de la classe moyenne, fondement de la démocratie libérale.

Le problème, c'est que le revers de la médaille est bien plus important que sa face, estime The Economist, un magazine pourtant très libéral et vigoureusement engagé en faveur du libre-marché. D'abord parce que les petits inconvénients de la vie quotidienne sont légion: les coûts annexes du logement sont énormes; celui qui place son argent dans des actions réalise, sur la durée, une plus grande plus-value que s'il l'investit dans son logement. De plus, on devient prisonnier de son logement quand on est propriétaire. Et des fois même, insupportable pour les autres, notamment lorsque l'on empêche des projets de nouvelles constructions parce qu'on ne veut pas qu'ils nous gâchent la vue.

«Pas dans mon jardin»

Mais il y a bien plus grave. C'est de la multiplication des petits propriétaires à la limite de l'étranglement financier que naissent les crises immobilières telle celle de 2008. La multiplication des débiteurs hypothécaires incapables de faire face à leurs échéances avait précipité, de proche en proche, le désastre qui a entraîné notamment la faillite de Lehman Brothers, la quasi-faillite d'UBS et, par ricochet la crise grecque et débouché sur l'absurdité actuelle que sont, en Suisse, les taux d'intérêt négatifs. En clair, la multiplication des petits propriétaires, c'est la bombe atomique de l'économie.

L'addition de ces inconvénients, petits et grands, conduisent aussi à un ralentissement de la construction de nouveaux logements en raison de l'addition de blocages. Les propriétaires voisins qui ne veulent pas de la construction d'un immeuble sous leurs fenêtres («Pas dans mon jardin») participent du mouvement général qui accroît le nombre de règles entravant la construction. Ce dernier est insuffisant pour répondre à la demande, et qui en est victime? La jeune génération, incapable de trouver des logements abordables dans les régions où l'économie se développe le plus vite. Elle en retire, estime The Economist, le sentiment d'être mise à l'écart des mécanismes qui permettent à la classe moyenne d'accumuler de la fortune, et donc de pouvoir améliorer son niveau de vie et de transmettre un héritage.

Pilier de la dette

Si le magazine était édité en Suisse, il pourrait ajouter le gigantesque endettement hypothécaire, plus de mille milliards de francs, 1,3 fois le PIB, la raison majeure de la position de leader mondial qu'occupe la Suisse pour l'endettement de ses ménages (Lire à ce sujet l'article de Paul Coudret). Un risque d'autant plus énorme qu'il repose sur l'un des taux de propriétaires les plus bas des pays développés (voisin de 40%). Qu'est-ce que ce serait, donc, si les propriétaires étaient plus nombreux...

La votation du 9 février prochain porte sur l'octroi aux communes d'un droit de préemption sur des terrains constructibles pour les allouer à des coopératives de logement. Une mesure destinée à freiner les coûts des logements, et donc rendre ces derniers plus accessibles. La proposition est dénoncée comme «rigide» et «contraire à la garantie de la propriété». Pour le libéral The Economist, elle passe au contraire pour un outil bien pratique pour atténuer les défauts de la politique du logement.


L'article original est paru dans le numéro du 18 janvier 2020 de The Economist, disponible ici sur abonnement. 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Chuck50 24.01.2020 | 13h33

«Les gros propriétaires ne veulent pas de concurrence, car ils peuvent traire les locataires comme ils veulent. Ils sont soutenu dans cette politique par les exigences de la FINMA, il est ainsi pratiquement impossible pour un jeune couple d’acheter son logement à moins de disposer de beaucoup de fonds propres et de gros salaires.
Nous avons acheté notre maison et n’avons pas écouté le banquier qui nous décourageait de rembourser notre dette hypothécaire. Après 27 ans nous avons remboursé le dernier franc et depuis 10 ans nous n’avons plus de loyer. Faut juste bien respecter son budget.
»


@Lagom 25.01.2020 | 10h52

«The Economist pousse à l'épargne dans les produits boursiers pour grossir encore davantage l'importance de la planète finance. Plus d'argent à gérer = plus d'abonnés potentiels à ce magazine. Ils veulent que l'immobilier reste entre les mains des institutionnels.

L'immobilier a fait ses preuves partout, en Suisse encore plus, puisque la population résidente augmente à un rythme effarant, digne d'un pays du tiers-monde, de 7 millions en l'an 2000 à 8,5 million en 2019 et les sols de plus en plus interdits à la construction. The Economist n'a rien en commun avec "A bon entendeur" (la plus ancienne émission TV de la RTS)»


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