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23 octobre 2019

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L’heure des contes. D’ici 2027, 80 % des ménages suisses seront équipés d’un compteur dit intelligent, communiquant par ondes avec le fournisseur. Les marchands d’électricité nous racontent de belles histoires. Mais gare à la vente de nos données personnelles et aux autres problèmes potentiels posés par cette technologie encore nébuleuse.




Jean-Luc Wenger


En mai 2017, les Suisses approuvaient largement la nouvelle loi sur la politique énergétique. Peu de citoyens avaient dû lire la brochure de votation en entier. Ils y auraient trouvé le principe du «compteur intelligent», une information noyée dans le feuillet de présentation.

Sofia*, une lectrice pugnace, a cherché durant deux mois à comprendre pourquoi il fallait absolument appliquer les directives de l’Union européenne sur les «smart meters».

Dans le cadre des économies d’énergie, certains pays membres l’ont accepté, comme la France avec son système Linky depuis 2015. On connaît les multiples polémiques autour de ce système. L’Allemagne et le Portugal, par exemple, ne l’ont pas rendu obligatoire.

Cette consommatrice lambda, ainsi qu’elle se considère, a cherché à se renseigner auprès des distributeurs d’électricité et des services industriels. En Suisse, on compte 640 GRD (gestion- naire de réseau de distribution), dont 20 qui pèsent lourd: BKW (les Forces motrices bernoises), le Groupe E ou Romande Energie notamment. «Un marché semi-libéralisé bien compliqué à comprendre», relève notre consommatrice.

Elle s’intéresse à l’électrosmog depuis qu’elle s’est aperçue qu’un mât de Swisscom couvert d’une quinzaine d’antennes, situé près de chez elle, ne respectait pas les normes d’émission. Elle commence sa chasse aux informations sur cette pollution électromagnétique nuisible pour 10% de la population suisse. Selon Sofia: «Après des années de surexposition aux ondes élec- tromagnétiques, on pourrait assister à l’augmentation du nombre de personnes électrosensibles».

 

Le Conseil fédéral a décidé que 80 % des ménages seraient équipés de «smart meters» d’ici à fin 2027. Mais celles et ceux qui souhaiteraient se trouver dans les 20% restants ne savent pas à qui s’adresser. Et, de toute façon, si vos voisins acceptent, vous subirez aussi les ondes générées par leurs compteurs communicants. «Pourquoi ne pas passer par la fibre optique, plus chère mais plus efficace?» se demande Sofia.

La Fédération romande des consommateurs, plutôt favorable aux compteurs, indique qu’«il serait avisé d’étudier la possibilité d’installer des filtres à champs électromagnétiques là où cela se justifie pour les personnes qui le demanderaient». «Oui, mais qui paiera?» ose encore Sofia. Selon elle, «c’est à cause de l’électrosmog que le principe de précaution a été adopté dans des hôpitaux et des écoles de pays nordiques, lesquels interdisent les réseaux CPL (courant porteur en ligne) de tout type».

L’association professionnelle Swiss Engineering n’est guère rassurante. «Pour le moment, il est encore difficile de déterminer avec certitude les fonctions que les compteurs intelligents prendront en charge. Il semble clair que les nouveaux appareils transmettent le niveau de consommation au minimum une fois par mois à la centrale électrique afin que celle-ci puisse assurer la facturation».

Dans le même document daté d’avril 2018, Swiss Engineering écrivait: «Les données d’un foyer sont communiquées chaque heure ou plus souvent aux fournisseurs d’électricité. Et selon l’application, des informations circulent régulièrement dans l’autre sens, c’est à dire du fournisseur aux consommateurs.» Une fois par mois ou une fois par seconde: le trafic de données n’est pas vraiment le même.

Ce compteur communicant sera relié au smartphone. On connaîtra vos données personnelles, l’heure de votre réveil, quelle pièce de l’appartement vous chauffez, à quelle fréquence vous prenez un bain... On peut imaginer que des opérateurs privés ne se gêneront pas pour vendre vos habitudes quotidiennes à un marchand de publicité. La loi ne prévoit pas l’anonymisation des données récoltées, mais une «pseudonymisation». Une association suisse, ARRA, dénonce ces pratiques sur son site internet (www.alerte.ch), tout comme les Français de «Robin des Toits.»

Susucre pour le consommateur forcé, on lui promet un accès aux heures les moins chères. Le rêve: programmer sa machine à laver pour qu’elle tourne au milieu de la nuit. «Ils ont inventé l’eau tiède, car tout cela existe déjà », soupire Sofia. D’autres se posent la question du recyclage des actuels compteurs ainsi que des nouveaux, puisque leur obsolescence est programmée pour dix ans. En 2017, l’étude d’une université néerlandaise montrait que certains compteurs dits intelligents étaient franchement idiots. Des consommateurs avaient vu leur facture augmenter par suite de l’installation de l’appareil. L’un d’eux a même vu sa note quintupler.

Dans 24 heures (14.10), on apprenait que Romande Energie, le plus grand fournisseur d’électricité du canton de Vaud, avait commandé 225 000 appareils pour son réseau. Coût de l’opération: 100 millions de francs, dont deux tiers à la charge de l’entreprise. Reste quand même un bon tiers, plus de 30 millions de francs, sur le dos de consommateurs qui n’ont rien demandé. Et qui n’étaient même pas au courant.

 

* Nom connu de la rédaction


Cet article est tiré du numéro 422 de Vigousse, sorti le 18 octobre 2019.

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