Actuel / La science a-t-elle tous les droits sur l’ADN des morts ?
Une momie longue de 15 centimètres retrouvée au Chili avait fait naître un débat enflammé: était-elle d’origine extraterrestre? Ses caractéristiques étranges, une tête pointue et des os très allongés, avaient semé le doute. Une étude récente est venue mettre un terme à la polémique. Des scientifiques ont eu accès au corps et leurs tests d’ADN ont prouvé que les restes sont ceux d’un fœtus humain. La petite fille mal développée souffrait d’une maladie osseuse et était l’enfant d’une femme de la région Atacama. Cette étude devait mettre fin à la controverse. Au lieu de cela, elle en a déclenché une autre. Un article de «The Conversation».
Chip Colwell, University of Colorado Denver
Le fœtus momifié retrouvé dans la résion d’Atacama au Chili.
© Bhattacharya S et al. 2018, CC BY
«Pouvez-vous imaginer la même étude réalisée en utilisant le cadavre d’un bébé avorté américain ou européen?»
En tant qu’archéologue, je partage l’enthousiasme suscité par la technologie et les techniques d’étude liées à l’ADN. Les mystères de notre corps et de notre histoire y trouvent des réponses passionnantes.
Cela dit, j’ai également étudié de près l’histoire de la collecte des restes humains pour la science. Je suis gravement préoccupé par la «ruée vers l’os» actuelle pour faire de nouvelles découvertes génétiques. Celle-ci a déclenché une crise éthique majeure.
Piller des crânes au nom de la science
Ce n’est pas la première fois qu’une ruée sur des restes humains est observée. Il y a plus d’un siècle, les anthropologues étaient impatients de constituer de véritables collections de squelettes. Ils avaient besoin d’échantillons de crânes et d’os pour déterminer l’histoire de l’évolution et définir les caractéristiques des races humaines.
Voler des os dans une tombe est la partie du travail la plus désagréable, mais à quoi bon se plaindre, quelqu’un doit s’en charger !
Le cas de Qisuk, un homme inuit, fournit un exemple particulièrement flagrant. En 1897, l’explorateur Robert Peary amena Qisuk et cinq autres personnes du Groenland à New York, afin que les anthropologues puissent étudier plus facilement leur culture. Quatre d’entre eux, dont Qisuk, sont rapidement morts de tuberculose.
Les anthropologues et les médecins ont alors conspiré pour simuler l’enterrement de Qisuk pour tromper son fils de 8 ans, puis disséqué le corps et récupéré les os. Le squelette de Qisuk a été stocké à l’American Museum of Natural History.
À la fin du XXe siècle, les musées américains conservaient les restes de quelque 200 000 squelettes amérindiens.
Ces squelettes ont aidé à écrire l’histoire du continent américain et à mieux comprendre les cultures autochtones. Pourtant, les informations glanées à partir de ces restes ont coûté cher: les libertés religieuses des Indiens d’Amérique et les droits de l’homme ont été systématiquement violés. Beaucoup d’Amérindiens insistent pour que tous leurs ancêtres soient honorés et leurs tombes protégées.
Aujourd’hui, une loi fédérale américaine oblige à rendre les squelettes volés. Pourtant, l’héritage de ces collections hantera les Etats-Unis pendant des générations. Beaucoup d’Amérindiens sont profondément méfiants envers les archéologues. Et même après presque 30 ans de rapatriement actif de restes humains, il reste plus de 100 000 squelettes dans les musées américains. À ce rythme, il faudra 238 ans pour que tous les restes soient restitués!
Demander le consentement
Pendant trop longtemps, les scientifiques ne se sont pas posé les questions éthiques fondamentales: qui devrait surveiller et contrôler les collections de restes humains? Quelles sont les conséquences positives et négatives des études basées sur des squelettes? Comment les scientifiques peuvent-ils travailler pour améliorer, plutôt que nuire, les droits des personnes qu’ils étudient?
Le rapport Belmont offre une bonne base de réflexion. Publié en 1979, il s’agissait de la réponse de la communauté scientifique à l’étude Tuskegee: pendant quarante ans, le gouvernement américain a refusé de soigner plus de 400 hommes noirs infectés par la syphilis pour étudier l’évolution de la maladie. À la suite du scandale qui en a résulté, le rapport Belmont a insisté sur le fait que les chercheurs biomédicaux doivent respecter les gens, essayer de faire le bien, éviter les préjudices et répartir équitablement les risques et les avantages de la recherche.
Bien que ces directives soient destinées à des sujets vivants, elles fournissent un cadre pour réfléchir à la recherche sur les morts, puisque celle-ci finit par affecter les vivants. Une bonne manière de travailler est de rechercher le consentement éclairé des individus, des parents, des communautés ou des autorités légales avant de mener des études.
Dans certains cas, la consultation peut être injustifiée. Le squelette de notre ancêtre humain le plus ancien, âgé de 300 000 ans, est un patrimoine que nous pourrions tous revendiquer. Cependant, un fœtus ayant des malformations congénitales vieux de 40 ans, même un soi-disant extraterrestre, a probablement des parents qui devraient être consultés. Entre ces deux extrêmes se cache l’avenir de la recherche ADN en matière d’éthique.
Les humains sont-ils des spécimens comme les autres?
Pour se défendre, la revue Genome Research, ayant publié l’analyse de la momie chilienne, a déclaré que le «spécimen», autrement dit la jeune fille, ne nécessitait pas de considération éthique particulière. Elle n’est pas légalement qualifiée de «sujet humain» puisqu’elle ne vit pas.
La même semaine où l’histoire de la momie est sortie, le New York Times a publié un portrait du généticien de Harvard, David Reich. L’article mentionne que l’ADN a conduit à des progrès soudains et brillants dans notre compréhension de l’évolution et de l’histoire de l’humanité. Reich a déclaré que son rêve était de «trouver l’ADN de toutes les cultures connues de l’archéologie dans le monde». C’est une belle aspiration. Mais les scientifiques et la société doivent maintenant se demander: d’où viendra cet ADN? Qui donnera son consentement?
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