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Culture / «Votez Gähwiler», film suisse déprimant

Isabelle Falconnier

26 juillet 2017

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Annoncé comme la comédie satirique suisse de l’année, «Votez Gähwiler», est à voir. Non pas parce que c’est drôle, ou même réussi: parce ça montre la vérité.



Si «Votez Gähwiler» doit remporter une palme, c’est celle du film le plus déprimant du monde. Pas parce que c’est un film suisse: parce que c’est un film sur la Suisse qui essaie d’être drôle mais qui n’arrive qu’à montrer la vérité – qui n’est pas drôle.

Vous avez tous suivi l’affaire de la jeune turque recalée à l’examen de naturalisation à Buchs pour avoir cité le ski plutôt que la lutte à la culotte comme sport «typiquement helvétique» et avoué qu’elle connaissait mieux la Migros que les petits commerces locaux? Ou celle, la même semaine, de cet Allemand de 29 ans, en Suisse depuis l’adolescence, qui parle le dialecte mais recalé pour n’avoir pas su énumérer les musées et les églises réformées de la ville devant la commission de naturalisation citoyenne de Kreuzlingen (TG)? Ces affaires vous ont faire rire? Non. «Votez Gähwiler», premier long-métrage du cinéaste bernois Martin Guggisberg, 45 ans, fait le même effet. On aimerait en rire, tellement c’est absurde, et potentiellement loufoque. Mais on en sort plombé comme le wagon plombé de Lénine quittant la Suisse en 1917.

Tout commence par une haie qu’il faut tailler: celle de la villa de Therese (Ruth Schwegler), qui passe ses journées à promener son chien dans sa banlieue bucolique et fréquenter les vernissages, et de son mari Ralph (Philippe Nauer), fonctionnaire local et politicien de la droite bourgeoise en quête électorale d’un siège à la municipalité. Therese n’osant pas avouer à son mari que le jardinier habituel a refusé de venir, elle repère chez le voisin – socialiste – un homme noir en train de jardiner, frétille devant son torse musclé et l’engage discrètement. Las: Ngundu (David Wurawa) se blesse avec la tronçonneuse. Sans papiers, en situation illégale, il refuse d'aller à l'hôpital. Dès lors, tout dérape. Par peur que le voisinage le voie et que l’élection de Ralph soit compromise, le couple l’enferme dans sa propre maison, puis tente de l’abandonner dans les Grisons en l’emmenant camper – «C’est maintenant le problème du canton des Grisons», jubile Ralph... Mais Ngundu revient avec un ami squatter chez eux. Pas méchamment, mais avec insistance.  Therese et Ralph se retrouvent alors prisonniers de leur propre maison.

Le public francophone pense évidemment à Christian Clavier et à ses films «Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu!» et «A bras ouvert » en matière de chocs de cultures et de préjugés raciaux sur grand écran. Deux films dont la principale qualité consistait à montrer la difficulté à faire rire, justement, des préjugés, du racisme et de manière générale de la connerie humaine. Au mieux, «Votez Gähwiler» est une comédie ironique. On rit jaune. On rit en coin. On ricane parce que ce qui est montré est à peine une caricature: foin de fiction, nous voilà en plein documentaire. Et forcément, c’est gênant.


Le premier réflexe du mari lorsqu’il découvre le requérant d’asile (débouté, qui plus est) soudanais blessé dans son salon est de fermer les stores de peur que les voisins le voient et que «les socialistes l’apprennent»: seul compte le regard des autres, du village, de la communauté. D’ailleurs entre voisins on s’épie parmi à la jumelle, à qui mieux mieux, ce qui vaut une des seules scènes drôles du film. Il s’agit de ne pas déplaire, de se conformer aux usages, aux mœurs, aux rituels et de sauver les apparences par-dessus tout dans une hypocrisie totale. Lorsqu’un voisin installe un carillon tibétain dans son jardin, tout le monde le sait dans la journée et y va de son «ça ne m’étonne pas de lui».


Incapable d’aller au bout de son intention au potentiel dérangeant pourtant évident, «Votez Gähwiler» se termine en queue de poisson. Au final, rien n’a changé. Ngundu est toujours clandestin. Therese a bien tenté de se rebeller contre son mari et son absence d’humanité estomaquante, mais il suffit que Ralph l’emmène en vacances pour qu’elle se mette à ronronner à nouveau. Tout en collectionnant les points sur les bouteilles d’eau minérale pour soutenir les orphelin africains... Lui, élu haut la main, s’est muré dans ses certitudes et son arrogance. «On ne veut pas de gens comme vous ici!», lance-t-il à Ngundu. C’est clair.

Pour se consoler de n’avoir pas ri, on peut concéder à ce film d’avoir réussi une métaphore pédagogique: on peut toujours tenter de se débarrasser du problème par la porte, comme Ralph et Therese, il reviendra par la fenêtre, comme Ngundu. Même si le téléjournal et ses images de migrants en Méditerranée tournent dans le vide, comme dans le salon des Gähwiler, le monde au-delà de leur haie à tailler existe et tourne, et l’Afrique et l’Europe partagent la même planète. Pour certains, c’est une bonne nouvelle.


«Votez Gähwiler». De Martin Guggisberg. Avec Ruth Schwegler, Philippe Nauer, David Wurawa. Suisse, 91 min. En salle dès aujourd'hui

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