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Culture

Culture / Les fêlures du réel

Marie Céhère

16 avril 2019

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L'écrivaine parisienne Marie Céhère propose une analyse du style romanesque en quatre étapes et quatre questions.



«Habituellement, les concierges retirent l’arbre la deuxième semaine de janvier.» Cette simple considération ménagère, dans les premières pages de Nécrologie du chat, donne le ton, revêt les atours d’une véritable situation catastrophe. Après Le Garçon (Serge Safran Éditeur, 2016), Olivia Resenterra continue de creuser de profondes failles dans la réalité moite et grise des êtres provinciaux, espèce à part, ombrageuse et imprévisible, et joue à cache-cache avec le fantastique jusque dans les détails les plus triviaux.

Par de précis effets de style, d’optique et de loupe, le peignoir du concierge, le sandwich des cyclistes, les pastilles de menthe de la boîte à gants, le cake au citron bourratif et les poils d’un chien de paysan deviennent inquiétants, non parce qu’ils seraient artificiellement chargés d’irréalité, mais par la profondeur implacable de leur réalité même. La romancière en a fait une marque de fabrique, son truc à elle. Dialogues minimalistes, récit bref, succession d’événements découpés comme au couteau de boucher, elle trace des cartes postales sordides et néanmoins élégantes d’une réalité si infime qu’elle nous échappe, la plupart du temps, et n’a pas bonne presse dans les romans à la mode.

Ana, jeune femme habitant un immeuble de lotissement isolé au milieu des terres agricoles, vient de perdre son chat. Elle garde près d’elle le corps de l’animal dans sa boîte de transport en quête d’une sépulture décente, pressée par l’urgence de la décomposition des chairs. C’est trivial et millimétré. Cela se déroule dans un nulle part qui pourrait être n’importe quelle périphérie excentrée, abandonnée, et les hommes que rencontre Ana sont des modèles de complexité humaine. Rien n’est simple, monolithique, prévisible; au contraire, c’est en chimiste qu’Olivia Resenterra compose son récit, molécule par molécule. Nul besoin d’exagérer le réel pour rendre compte de son caractère terrifiant, dès lors qu’un être humain est en proie à une obsession qu’il est seul à comprendre. Là se situe la faille, le décalage horaire entre les êtres, l’étincelle du dérapage.

Un renard erre parmi les pavillons inachevés d’un lotissement laissé en déshérence. Michel, l’agriculteur qui recueille Ana, glisse sa main sous son chemisier, palpe froidement ses seins et s’arrête là. Une averse détrempe les terres, Ana attend sans espoir le bus au bord de la départementale. Elle franchit les portes du cimetière animalier.

Sans précipitation, sans faute logique, Nécrologie du chat rebondit sans cesse, à l’image de la vie, d’une vie examinée à la lunette d’un microscope, donc effroyable par son infinité de ramifications, de hasards et de possibles. Sensoriel et charnel mais insaisissable. L’histoire ne finit ni bien, ni mal. Elle s’enroule et se greffe à la vie qui continue, malgré tout. Le couple de concierges retire l’arbre de Noël, le printemps finira par arriver. Le roman d’Olivia Resenterra, d’un réalisme vertigineux, se conçoit comme un fractal. Cruel, magnifique, désespérant.


 

Olivia Resenterra, Nécrologie du chat, Serge Safran Editeur, 160 pages

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