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Culture

Culture / Le romancier avait pressenti ce qui nous arrive!

Jacques Pilet

21 août 2020

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«Déflagration», tel est le titre du roman du Genevois Serge Bimpage, ex-journaliste, devenu écrivain. A lire cette histoire bien tournée, écrite l’an passé, livrée à l’éditeur en janvier (L’Aire), on se pince. Ce diable d’auteur évoque une catastrophe qui s’abat sur la Suisse, différente de celle de ce printemps, mais curieusement semblable dans ses effets sur nos vies et dans nos têtes. Troublant, passionnant.



Tout commence cahin-caha. Un professeur d’université de Genève en est à sa cinquième rupture avec sa femme riche. Son aura académique et sa libido lui donnent quelques soucis. Ce qui ne l’empêche pas de multiplier les aventures avec d’éminentes et parfois dérangeantes collègues. Mais gare à l’étudiante provocatrice… Ses avances même repoussées peuvent très mal tourner. L’air du temps est cruel.

Le personnage, «un peu réac» comme il en convient, a ses certitudes, le «Petit Pays» qu’il étudie est un modèle insurpassable, «une île en Europe». N’allez pas lui dire qu’en dépit de sa prospérité il pourrait se découvrir des lendemains moins idylliques.

Un jour, lors d’un congrès en Espagne, son téléphone vibre. Alarme! Les ressortissants de cet eldorado doivent rentrer dare-dare au pays. Catastrophe naturelle du côté du Rhin. Nuage de cendres, inondations. Retour donc, si possible en montagne. Le prof retrouve le village de son enfance, quelques potes et quelques dames. Tout ce petit monde se retrouve bouclé entre chalets, église, maison de commune et cimetière. Cela se prolonge, les jours et les semaines passent, avec force de discours alarmistes à la télé. Conseillers fédéraux, experts de tout poil, taskforce et compagnie, journalistes, ils s’y mettent tous. En plus l’un des copains retrouvés rappelle sans cesse qu’à tout cela s’ajoute la menace climatique, pire encore. L’ennui, la peur et les bisbilles assombrissent le village. Tous sont saisis de ce que Bimpage appelle joliment la «nostalgiose». Ils se précipitent à la consultation du médecin local. Qui n’en peut plus et ferme le cabinet. Colère. Il est égyptien de surcroît! Ces étrangers, on ne peut pas compter sur eux… Et voilà que des réfugiés arrivent du nord, plus touché. Ils s’installent jusque chez les particuliers, avec leur dialecte impossible et leur goût des saucisses.

Bien qu’une énigme vaguement policière épice le récit, le livre n’a rien d’un roman noir habituel. On sourit très souvent au fil des pages. D’un sourire entendu, devinant ce qui se cache derrière les situations décrites avec légèreté .

Quant à l’Après qui finit par arriver, il ne ressemble bien sûr pas à l’Avant. Les intrigues se dénouent. Le village se vide. Les cours reprennent. Le prof recommande la lecture de son dernier ouvrage sur le Petit Pays, «l’Avenir d’une exception». Chamboulé, le prêcheur des certitudes rassurantes: «On aurait presque pu se réjouir d’avoir connu la catastrophe. N’était-ce pas elle qui nous avait vaccinés, préparés à nous défendre contre des agressions ultérieures et entraînés à relativiser la portée du bonheur comme du malheur?»

Que l’on se rassure, ce livre n’a rien du manuel de survie. Les péripéties amoureuses qui occupent le personnage, avant, pendant et après la catastrophe, l’occupent trop pour qu’il vienne nous faire la morale.

Une question nous taraude après cette lecture. A force de baigner au fil des ans dans les informations catastrophistes de toutes natures, n’aurions-nous pas ressenti, inconsciemment, comme l’envie un brin masochiste d’une accélération, d’un grand choc, d’une bascule soudaine? Bimpage, lui, parle simplement d’une «intuition». Chapeau. Mais on ne va pas faire de lui une voyante.


Déflagration, Serges Bimpage, Editions de l'Aire, 544 pages

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