Culture / Le musée centenaire du Pays-d’Enhaut fait peau neuve
Le 1er décembre, dans les nouveaux locaux du Musée du Pays-d’Enhaut, à Château d’Oex, s'ouvre l’exposition «Typiquement suisse». Elle présente les travaux d’environ huitante membres de l’Association suisse du découpage sur papier, démontrant que le découpage sur papier n’est pas juste une activité récréative, mais un art bien vivant. Le Musée, qui détient quelques-uns des plus beaux découpages anciens de la région, renoue ainsi avec la tradition et se projette vers le futur.
Imaginez-vous un très grand homme aux mains endurcies par le travail de journalier dans les forêts ou à la ferme, qui collectionne des papiers divers, et qui dans les moments de repos, après les avoir très finement découpés avec des ciseaux faits sur mesure pour ses doigts démesurés, en fait des délicats collages bariolés, qui représentent la vie de tous les jours, familière aux gens qu’il côtoie: des montées à l’alpage, des fromagers au travail, des motifs floraux, des bâtiments caractéristiques… Imaginez ensuite un facteur, qui dans ses tournées aperçoit dans les pièces de ceux à qui il livre le courrier les œuvres de cet homme robuste mort l’année de sa naissance, et qui – touché – s’essaie à l’imiter. Sa mère lui aurait dit: «Si tu n’es pas dessinateur, tu n’arriveras pas avec les ciseaux.» Et il y est arrivé, lui aussi! Hans Jakob Hauswirth (1809-1871) et Louis Saugy (1871-1953) avaient le don de l’observation, la qualité essentielle nécessaire pour le dessin. Ils nous ont offert des œuvres étonnantes de finesse, qui constituent une chronique du Pays-d’Enhaut. Des représentations en miniature ayant quelque chose de la dentelle, qui ont un grand pouvoir d’évocation. Ces deux hommes n’ont pas inventé le découpage sur papier: il l’ont réinventé, et ils ont fait école. Pour situer l’œuvre de Hauswirth et Saugy on pourra consulter le livre de Felicitas Oehler, L’art du papier découpé—Cinq siècles d’histoire. Pour l’apprécier il faut visiter le Musée du Pays-d’Enhaut!
Un musée qui a réorienté sa trajectoire
Fondé en 1922, par des habitants de la région qui voulaient préserver la mémoire de ses us et coutumes, le Musée du (Vieux) Pays-d’Enhaut avait trouvé ses premiers locaux fixes en 1933, dans la demeure que le Préfet Cottier avait légué deux ans plus tôt pour l’accueillir. Le Musée abrite quelques très beaux objets témoignant du passé, qui sans sa protection auraient vraisemblablement été achetés par des antiquaires ou des touristes. Il s’agit d’environ 4'000 objets du quotidien, comme lits, armoires, chaises, tables, vaisselle, cloches de vaches, poteries, jouets, dentelles. Ou encore une forge, de nombreuses affiches, des dessins aquarellés, quelques 4'000 cartes postales d’époque, et tous les numéros de deux journaux locaux. Avec sa belle collection, le Musée est devenu un des principaux musées d’art populaire de Suisse, mais il n’était pas unique dans son genre. Ceux de Bulle ou de Saanen, par exemple, ont des collections d’objets similaires, avec une exception: le Musée de Château d’Oex détient justement une centaine d’anciens découpages sur papier, parmi lesquels des pièces rares exécutées par les deux maîtres de cet art, Hauswirth et Saugy. Ainsi, après une analyse approfondie, le Musée a décidé de réorienter sa trajectoire en créant en son sein le Centre suisse du papier découpé. Cette réorientation a été effectuée avec le soutien de l’Association suisse du découpage sur papier, qui a décidé de transférer sa collection d’environ 600 découpages au Musée.
Des locaux adaptés
Pour accompagner la réorientation du Musée et la création du Centre, l’association qui les gère a investi dans la restructuration de la maison du Préfet Cottier, et dans la construction en bois et béton d’une aile adjacente, d’une surface de près de 260 mètres carrés sur deux étages. L’ancien bâtiment abrite la collection permanente. L’aile nouvelle accueille les expositions temporaires. Les travaux ont duré deux ans et ont coûté quelques quatre millions de francs. Bien que les pouvoirs publics aient contribué de manière conséquente au financement de cet agrandissement, les privés ont fait leur part. Une trentaine d’entreprises et artisans de la région ont participé au financement de l’opération. Les amis du Musée ont répondu à une souscription, et des découpeurs ont donné des œuvres, qui ont été vendues pour financer le projet.
Un art vivant
Il y a différentes manières de mesurer l’importance d’une œuvre. Peut-être que si Hauswirth était né 100 plus tard, il aurait connu la fortune d’un Douanier Rousseau, peintre naïf apprécié par exemple de Matisse, Picasso et Vallotton. En tout cas, en 2005, une «Montée à l’alpage» de Hauswirth a été vendue aux enchères chez Christie’s pour 78'000 francs. L’œuvre initiée par Hauswirth a été très largement diffusée. On ne compte pas les lieux où, pour signifier le caractère suisse traditionnel sont utilisés les motifs imaginés par Hauswirth: même la maison Hermès a choisi une œuvre de la découpeuse contemporaine Anne Rosat pour un de ses foulards. Encore plus important: dans les pré-alpes vaudoises, une dizaines d’artistes expriment leur talent en s’inspirant de l’œuvre de Hauswirth et Saugy, et plus largement les membres de l’Association suisse du papier découpé font de même. Le Musée n’est donc pas seulement un lieu de mémoire de modes de vie passés. Il permet de comprendre ce qui en 2011 a porté à l’inscription du découpage du Pays-d’Enhaut sur la liste des traditions vivantes en Suisse, établie par la Confédération suite à la ratification en 2008 de la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Ses deux conservateurs, les personnels d’accueil, la petite vingtaine de guides-animateurs bénévoles, et les nouveaux locaux contribuent de manière déterminante au maintien et à la compréhension de cette tradition. Il vaut le détour!
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