Culture / «La nostalgie n’est jamais légère»
«Tchéquie. La nostalgie n’est jamais légère», Renata Libal, Editions Nevicata, collection «L’âme des peuples», 92 pages.
Le président tchèque Petr Pavel est en visite officielle à Berne. Quelqu’un aura-t-il le bon goût de lui offrir ce petit livre consacré à son pays? Signé Renata Libal, la journaliste romande bien connue, rédactrice en chef du magazine Encore!, arrivée en Suisse en bas âge avec ses parents qui fuyaient le communisme, restée attachée à son pays d’origine. «La nostalgie n’est jamais légère», comme dit le sous-titre en référence aux temps glorieux, aux moult malheurs, de ce pays d’une grande culture. Mais la lecture de l’ouvrage est fort attrayante. Et l’on y apprend tant de faits peu connus, on y découvre tant de personnages d’envergure européenne, tant de paysages au-delà du pont Charles de Prague, surchargé de touristes envahissants.
Apparaît un mot-clé, intraduisible, «pohada», qui dit une propension des Tchèques à se la couler douce, à se calmer, à savourer tranquillement sa bière, bien calé dans le fauteuil, dans «un jardinet protégé du monde», dans un paradis perdu. Quand les Russes ont agressé l’Ukraine, certains se sont demandé: et lorsqu’ils ont envahi la Tchécoslovaquie en 1968 pour mettre fin au Printemps de Prague, pourquoi n’avons-nous pas résisté? Au lieu de grimper sur les blindés pour tenter de dialoguer avec les soldats soviétiques? Il y a maintes raisons politiques à cela, mais la réponse est aussi dans le mot pohada. Ce pays est profondément pacifique et n’ambitionne nullement de façonner l’histoire du monde. Peu croyant aussi malgré les nombreuses églises… qui restent vides. Au cœur de l’Europe, sur la carte Prague se situe un peu plus à l’ouest que Vienne. A l’équilibre – le mot lui va bien – entre les plans réunifiés du continent.
La Tchéquie a pourtant ses zones d’ombre, guère évoquées par l’auteure. L’épuration ethnique d’après-guerre, fort compréhensible, avec 1,6 million d’Allemands des Suèdes chassés, le mépris encore présent des Romanichels, la tendance à voter pour un opportuniste mafieux viré à l’extrême droite après un passé communiste.
Reste que la Republika czeska, séparée sans heurts de la Slovaquie en 1993, est bien davantage qu’un drapeaux de plus à Bruxelles, plus qu’une économie prospère, plus qu’un musée pour touristes pressés. On perçoit, à Prague surtout, le cœur battant de la culture, de la liberté. De Jan Hus qui luttait au quatorzième siècle contre les privilèges du clergé à Milan Kundera qui raconta mieux que personne la fronde des années 60 contre le régime communiste. Le nom de son premier président, Vaclav Havel, marque aussi la mémoire. Acclamé en 1989 par la foule qui débarqua ses prédécesseurs alignés sur l’URSS, en manifestant pendant cinq jours sur l’avenir principale de Prague. La révolution de velours. Qui mit au pouvoir l’ex-dissident en 1990 lors des premières élections libres. Le personnage est un tantinet critiqué aujourd’hui pour son côté «bisounours», il n’empêche qu’il a marqué l’histoire de son pays et au-delà. Pour qui l’a rencontré – nous avons eu cette chance, dans sa demeure fliquée puis plus tard au château –, il reste inoubliable, si attachant, une figure unique de paix et de liberté.
Allons-y, c’est si proche. Et aussi proche à certains égards de la mentalité helvétique qui n’a pas de mot pour dire sa pohada mais où l’on apprécie aussi de se sentir à l’écart des tumultes. Bien installés.
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