Culture / La chanson d’un mal aimé
Le narrateur est un enfant de dix ans que les adultes avec lesquels il vit n’aiment pas. «Le trou», de Paul Morris, aux Editions Mediapop, est un roman qui flirte avec l’horreur, maintient un fort suspens, une tension qui ne faiblit jamais, comme une menace perpétuelle.
L’histoire se déroule d’un été à un autre été et le môme qui la raconte a dix ans. «Le trou», de Paul Morris, est un roman délicat et léger comme une Gymnopédie d’Erik Satie ou une nouvelle de Raymond Carver, un miracle d’équilibre. C’est le récit d’une évasion empêchée, impossible, inconcevable même: à 10 ans, on ne s’évade pas, on subit.
La tonalité générale est couleur caca d’oie. Il y a un couple d’adultes sordides, un enfant sournois, mais ce n’est jamais lourd, toujours rapide, fin, virtuose du rien qui angoisse, un remarquable périple au bord d’un précipice.
Les autres sont sa prison
Tout ce qui est raconté est banal. Il y a un enfant, deux adultes et les adultes n’aiment pas l’enfant. Ils ne lui donnent rien, juste le strict nécessaire, ils sont en mode survie, il n’y a pas de pathos, ça reste toujours décent, les cut sont raides et rien n’est jamais appuyé, c’est sobre, kleen, raclé à l’os.
Et c’est absolument passionnant et bouleversant, dévorant même. Oui, c’est un livre qu’on dévore et qui nous poursuit ensuite de sa petite musique triste, douce et néanmoins si résiliente.
Les autres sont la prison de l’enfant. Il n’a pas d’ordinateur chez lui et pas non plus le droit de regarder la télé le soir. Il est au lit dès 20h30, et comme ça lui prend pas mal de temps avant de s’endormir, il cogite beaucoup, voyage dans le papier peint, écoute les bruits de la maison.
Il n’intéresse pas les adultes, il est juste une charge pour eux. Il ne se sent jamais chez lui. Il épie les autres, écoute les bruits de la maison et parle avec ses deux fidèles ours en peluche, il se dédouble, il s’absente, il vit dans sa tête. Il apprend à faire passer le temps.
Les règles sont strictes, bêtes, épaisses. Il n’a pas le droit d’inviter un copain chez lui. Il n’a le droit à rien. Rien ni personne ne l’aime.
Pas d’affectif, que du sordide, comme dans la vie des enfants qui grandissent sans amour. Dans cette survie partagée, il n’y a pas d’échange, l’enfant du récit ne reçoit même pas de coups, c’est le service minimum, chacun occupe sa place, tient son rôle et puis, basta!
Il y a la mort, celle des oiseaux, des insectes, des chatons et de l’ange, le petit qu’on harcèle et qui se suicide, les films de cul sur Internet et le copain dont les parents ont de l’argent et dont la maison paraît appartenir à un autre monde.
L’ambiance
Au début, il rêve que son père a tué tout le monde et a la fin que lui tue sa mère. On ne sait pas, il imagine, c’est fragile ces choses là. Il n’est pas au bagne, il est juste dans un monde dénué de toute tendresse, de toute affection, dans le monde sordide de la survie, et pour survivre il développe une attention particulière au vent, aux arbres, aux animaux. Le court séjour que nous faisons dans sa tête est enrobé dans le chuchotement que l’on produit lorsqu’on se parle à soi-même.
Le livre de Paul Morris regorge de parfums de bois et de terre, de parfums de mousse, de l’odeur des pins qui enivre, de la sensation du vent entre les doigts… Il sent l’odeur de la terre et l’odeur du chien, celle du bois brûlé.
«Je me souviens aujourd'hui que j'ai eu onze ans la semaine dernière. On n'a rien fait. Ça ne m'a rien fait.»
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