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Culture / «L’Europe des surprises»

Jacques Pilet

15 juin 2017

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Le grand chambardement au tournant des années 90 raconté par un vagabond attentif: Bertil Galland. Il se souvient de ce moment suspendu de l’histoire: la chute de l’empire soviétique. Comme elle a été vécue au quotidien. En Russie. Et dans la proche Europe.



La mémoire collective simplifie tout. La fin de l’URSS n’est plus qu’un souvenir flou, une évidence. Le grand journaliste vaudois nous fait plonger dans la réalité de cet événement inouïe. En voyageur, en témoin de la bascule. Il a parcouru en tous sens ces pays qui soudain se retrouvaient face à eux-mêmes, libérés de la tutelle de Moscou. Le plus souvent loin des capitales et des observateurs patentés. Mû par une curiosité talentueuse, de rencontre en rencontre, aussi fortes avec les gens plus simples qu’avec les grands intellectuels.

Galland n’est pas près d’oublier ce moment vécu en Slovaquie. Invité à une séance de rédaction d’un magazine, il assiste soudain à une empoignade que son guide peine à lui traduire parce que pris à partie. Les fidèles au régime communiste s’indignent de cette présence étrangère. Les autres affirment au contraire la soudaine ouverture, la liberté qui arrive. L’équipe se divisera et il en résultera deux titres distincts. Mais le journaliste ne se laisse pas égarer par les émotions aussi belles soient-elles. Ecoutant le plaidoyer démocratique d’un intellectuel admirateur de Havel, il se demande si la population est sur la même longueur d’onde. L’inquiétude est grande: qu’adviendra-t-il des entreprises d’Etat démantelées, des administrations publiques secouées de fond en comble? Et les rentes? Et les salaires? Comment tournera le chaos?

Un passé si récent

Le plus grand désarroi, c’est en Russie que Galland l’a trouvé. Lorsque Gorbatchev laissa tomber le mur de Berlin, laissa éclater l’URSS. Adulé en Occident, il resta incompris chez lui. La liberté, oui, mais quid du pain quotidien et de la fierté nationale? Trouble d’une immense profondeur encore lorsque Eltsine privatisa l’économie et en fit cadeaux aux oligarques. A l’ouest, nous n’avons pas voulu voir l’ampleur de la détresse d’un peuple plongé dans le désastre économique: chômage, misère, pénuries, petites combines partout et grandes truanderies.

Le récit de Galland (1) n’abreuve pas le lecteur de chiffres mais rapporte ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu, sans prétendre avoir tout compris. On perçoit bien sûr en lui le rejet absolu du système communiste, mais il a l’honnêteté de rappeler aussi qu’en URSS s’exprimèrent malgré tout de grands talents, des éditeurs, des scientifiques qu’il a connus avant et après. Le prolifique retraité du journalisme ne se risque pas à évoquer les réalités d’aujourd’hui. La tentation est grande de le faire. Tant il est vrai que l’on ne peut rien comprendre au phénomène Poutine, aux populismes polonais ou hongrois, sans se souvenir de l’histoire de la Russie et de l’est européen entre 1945 et 1989. Sans entendre ces voix qui remontent d’un passé si récent. En ce sens, le livre de Galland est très actuel.


(1) «L’Europe des surprises» de Bertil Galland, éditions Slatkine, 150 pages.


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