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Culture

Culture / Grandeur et décadence du glam rock

Yves Tenret

20 février 2021

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Si à la fin des années 60 le rock se prend très au sérieux, au début des années 70 débarque le glam, qui va réhabiliter l'hystérie collective dans le rock'n'roll. C'est ce que raconte la première publication des Editions Audimat, «Le Choc du glam» du critique anglais Simon Reynolds. A lire en écoutant David Bowie, Alice Cooper ou The Sweet.



A la fin des années 60, le rock se prend au très sérieux, prône l’authenticité, la sincérité. La mode est au country-rock et les survivants hippies ont tous adoptés de confortables vestes en velours côtelés, portent des jeans usés et rapiécés;  quand ils ne susurrent pas de mièvres chansons d’amour, ils entament d’interminable solo de guitare virtuose.

Le look n’a plus aucune importance et l’ambiance est cosy coin du feu. Un truc de vieux quoi… C’est cela que le glam rock va balayer en réhabilitant l’hystérie collective, l’hyper narcissisme et les jets de petites culottes. Le poil, sous les aisselles et sur les jambes,  les cheveux hirsutes, la barbe, la comédie musicale Hair, Lenon et Yoko Ono, nus, sur la pochette de leur album, tout ça a vécu. Le naturel, l’organique, le sain, vont faire une pause. Place à l’artificiel, aux paillettes, aux maquillages déments, au chimique, au plastique, aux speed.

Le glam ressuscite la folie des débuts du rock, le côté camp de Little Richard et les excès à la Jerry Lee Lewis,  et annonce le punk. Le Pop Art, l’underground gay, le postmodernisme prennent le pouvoir. Tout redevient second degré, faux semblant, dérision et parodie. Gloire soit rendue au puissant simulacre, scandale et enthousiasme délirant sont de retour. Il ne s’agit plus de changer le monde mais de passer une soirée de dingue, de sortir de soi, de s’oublier. Le premier degré, c’est fini. En tout cas, pour un temps. Quatre ans exactement, si on s’en rapporte à l’exhaustif et érudit et passionnant Le Choc du glam du critique anglais Simon Reynolds, 750 pages sur l’histoire d’un challenge: qui pour prendre la place laissée libre par la dissolution des Beatles?

L’époque

Le livre de Simon Reynolds nous apprend aussi qu’au début des années 70, tout comme aujourd’hui, les inquiétudes au sujet de l’épuisement des ressources et du désastre environnemental à venir saturent les fictions et les essais: Le Choc du futur d’Alvin Toffler est l’un des best-sellers de 1970, le Rapport sur les limites de la croissance du Club de Rome parait en 1972, Orange mécanique (1971) de Stanley Kubrick évoque une bande de féroces jeunes gens évoluant dans de l’architecture brutaliste 100% bêton et des films comme THX 1138 (1971), Silent Running (1972) et Soleil vert (1973) décrivent une société de surveillance déshumanisée, une Terre pillée et dépouillée de toute végétation, et une Amérique surpeuplée dans laquelle les gens mangent une nourriture faite d’êtres humains recyclés.

David Bowie

Ce pessimisme catastrophique est celui qui alimentera l’aspect fictionnel des albums glam de David Bowie qui est le personnage central de Le Choc du glam − quatre chapitres lui sont consacrés. Poli et réservé, teint pâle, traits délicats, éclatante chevelure blonde, n’ayant jamais été un inconditionnel du rock’n’roll, Bowie le pratique en acteur plutôt qu’en chanteur, usant de  la musique comme toile de fond, comme arrière-plan, et il va devenir le plus célèbre transformiste de l’histoire du rock, tout en masques, pantomimes, fards et expressions stylisées, le champion incontesté du marketing de soi et du constant renouvellement de son image, succession d’avatars se repositionnant au gré des évolutions des courants de modes successifs. Au début de l’année 1972, il va créer le personnage de Ziggy Stardust, rock star messianique venue d’une autre planète, couper ses longs cheveux ondulés pour une nouvelle coupe mulet électrocuté couleur poisson rouge et un maquillage sophistiqué. Contrairement aux autres glameurs, Bowie ne sera jamais primaire, toujours ailleurs, dans des traditions pleines d’esprit et truffées de références ésotériques, délivrant une véritable éducation esthétique à ses fans.

Trois des groupes les plus marquants

Contrairement à la majeur partie des rockeurs anglais, Marc Boland, de T. Rex, ne sort pas d’une école d’art et n’a rien d’un intello. Son livre favori est Bilbot le Hobbit. Jamais pesant, mais gracile, délicat, voluptueux et androgyne, il s’étire tel un chat de gouttière, tout en susurrant des absurdités aguicheuses. Il féminise son image, porte des vestes de satin, des boas emplumés, des manteau de fourrure, saupoudre des paillettes sur ses pommettes, exhibe des décolletés plongeant, glousse sur des groove fiévreux et dépenaillés avec une hystérie veloutée, des halètements étouffés et des gémissements murmurés. Il vit deux ans de gloire, puis, privé du pouvoir de métamorphose qui caractérise David Bowie, il disparaît du top.

Machine à riffs, Alice Cooper, dès 1972, vêtu d’une camisole de force, gronde et rugit, arpentant la scène de long en large en suppliant le public de le libérer. Sale gosse de premier ordre, il crie et grince et crisse comme une craie blanche grattant un tableau noir. Kamikaze menaçant, empalant des poupons sur une grande épée rouillée, il hurle à son public d’écoliers que vu que la cloche de la récrée a sonné, il est l’heure d’avaler des barbituriques. Innovateur décisif en matière de glam, ayant fait du gore et de l’horreur son credo, il pratique, avec son bassiste Dennis Dunaway, un art Grand Guignol, portant des chemisiers à frou-frou tout en éructant des chansons d’amour nécrophile.

Quant aux membres de The Sweet, sans doute les plus représentatifs du genre, avec leurs pattes d’eph’ spectaculaires, leurs sacs à main, leur maquillage en œil-de-chat et leur petit short vert porté au-dessus de collants rouges, ils offrent un rock brûlant couvert d’un glaçage pop, fantasme d’insurrection adolescente, pur racolage tout en muscles et en incandescence, soutenu par un rythme martelé évoquant un cortège marchant au pas, révolution aux scénarios cartoonesques concoctée dans le seul but de déclencher la libération des désirs enfouis.

Le choc du glam fait (re)découvrir à ses lecteurs un pan entier de l’histoire underground. Ça vaut le détour.


Le Choc du glam, Simon Reynolds, Audimat éditions, 704 pages.

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