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Culture

Culture / Ennio Morricone raconté par ceux qui l’aiment

Jonas Follonier

7 juillet 2020

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Après Christophe, Little Richard ou encore Jean-Loup Dabadie, voici qu’Ennio Morricone s’en est allé diriger l’orchestre des anges. Les admirateurs du Maestro sont nombreux, de tous horizons et de toutes générations. Témoignages romands et énamourés.



L’une des grandes forces des musiques de film, du moins celles qui se pratiquaient à une certaine époque, est de bâtir des ponts entre la musique classique et la musique populaire. D’où son universalité. D’où sa vocation à se trouver à la fois au sommet des classements d’experts et au plus profond de nos vies. C’est la musique qui rend vivant le cinéma. La musique de film est donc le reflet de la vie elle-même. Et c’est bien parce qu’elle n’est pas exactement la vie qu’elle rend possible ce dont nous avons besoin pour vivre mais que l’existence n’est pas en mesure de nous donner à elle seule: le rêve. Offert directement par l’art, le septième, où se croisent les muses.

«Une mélancolie envoûtante»

Et la musique du compositeur italien Ennio Morricone est d'autant plus génératrice de rêve qu’elle donne lieu à ce qui lui est consubstantiel: une atmosphère inédite. Pour Tanguy Poffet, c’est une «mélancolie envoûtante» qui accompagne «des mélodies qui restent ancrées dans l’imaginaire, très simples, presque enfantines». Ce jeune architecte de l’atelier STUDIOV9 basé à Bienne et Vevey se rappelle être allé spécialement en ville avec son père afin d’acquérir le CD de la bande original du film Il était une fois dans l’Ouest. C’est là qu’il a découvert le Maestro, pour ne plus jamais le quitter. Il ne se passe pas un jour sans que le jeune homme de 27 ans n’écoute du Morricone.

Même son de cloche du côté de Bernard Léchot, à Neuchâtel. Ce musicien-producteur qui a fêté ses 60 ans cette année dit l’avoir entendu pour la première fois enfant, sur vinyle, à travers les thèmes d’Il était une fois dans l’Ouest. «Quand ensuite, ado, j’ai vu le film, cela a été un choc. La compréhension soudaine de ce que pouvait être la force d’un récit et d’images démultipliée par celle de la musique.» C’est souvent ce qui ressort dans la bouche des admirateurs d’Ennio. Vincenzo Musumeci, 52 ans, estime que «la beauté de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest est indissociable de la musique qui la porte.»

Quand on dit Morricone, ce Valaisan d’origine sicilienne, ouvrier chez Novelis, pense donc lui aussi tout de suite à ce film, mais aussi au Professionnel dont la bande originale Chi Mai lui apporte, encore maintenant, autant que le jeu d’acteurs de Jean-Paul Belmondo, voire davantage. Ce sont plein de moments de vie qui passent en revue. A commencer, tout simplement, par l’expérience du spectateur devant de tels films. Un cinéma exceptionnel, complet. Celui de Sergio Leone, ancien camarade de classe d’Ennio Morricone, est évidemment au premier plan.

«Le formidable mélodiste. L’orchestrateur de génie. Et le provocateur.»

Bernard Léchot est allé jusqu’à se rendre sur les lieux de tournage de Leone, dans le désert de Tabernas, en Espagne, ou vers les ruines de l’arche-gibet d’Il était une fois dans l’Ouest, près de Monument Valley, aux USA. «En fait, c’est moi qui ai associé des moments de ma vie à sa musique!» Si le chef d’orchestre ayant reporté il y a peu un César de la meilleure bande-son lors du film Les Huit Salopards de Tarantino inspire Tanguy Poffet «par sa longévité et sa ténacité», Bernard Léchot y voit également un éclectique… et un rebelle: «Il y a le formidable mélodiste. L’orchestrateur de génie. Et le provocateur, qui s’est permis d’apporter des sons parfois très décalés, ainsi l’utilisation étrange des voix dans Le bon, la brute et le truand, ou simplement la guitare électrique, devenue presque indissociable de l’univers du western, alors qu’elle n’a aucune raison d’y figurer!»

C’est pour tout cela qu’il nous manquera. Mais qu’il nous manquera au sens où il sera présent. Présent dans les films qu’inlassablement, nous regarderons. Présent dans nos sources culturelles, dans nos sources musicales, dans nos sources familiales. Instigateur et inspirateur éternel, qui a su rappeler à la planète entière à quel point il est bon de connaître la tradition pour l’infléchir. Et la faire fléchir pour la faire connaître. Merci, Ennio! Car comme le dit ma grand-mère – et Marianne! – que seraient les westerns sans la musique d’Ennio Morricone? Et que seraient nos vies ternes sans les westerns?

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Eggi 12.07.2020 | 23h27

«Contrairement aux idées reçues, Morricone -comme d'autres compositeurs de musique de films- est un vrai musicien, dans la lignée de tous les grands créateurs musicaux depuis plusieurs siècles. L'article parle de mélodies simples, voire enfantines: c'est rester à la surface d'une musique complexe, inventive, proche quelquefois -de l'aveu même de Morricone- du sérialisme de l'Ecole de Berlin. D'ailleurs le même, expliquant son approche des grands réalisateurs pour qui il a travaillé, se considère comme l'égal du cinéaste dans la création du film; il allait jusqu'à contester toute tentative de suggestions musicales venant d'ailleurs que sa créativité!»


@Jonas Follonier 15.07.2020 | 21h41

«Bien sûr! Mais je vous ferai noter qu'écrire des mélodies simples n'est pas à la portée du premier venu. Par ailleurs, ce n'est pas l'article à proprement parler qui fait mention de «mélodies [....] très simples, quasi enfantines», c'est un témoignage que je relaie dans l'article. Ce que vous dites est tout à fait juste et n'est de loin pas incompatible, je pense, avec ce qu'ont dit les personnes à qui j'ai donné la parole. Merci pour votre commentaire! Sincères salutations, Jonas Follonier»


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