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Culture

Culture / Deux décennies de la vie d’une femme

Marie Céhère

12 janvier 2024

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«Histoire d’une enfant de Vienne», Ferdinand von Saar, traduit de l’allemand (Autriche) par Jacques Le Rider, Editions Bartillat, 144 pages.



Lorsque paraît cette nouvelle, en 1890, elle est considérée comme trop sulfureuse pour s’adresser à un public familial. Ferdinand von Saar (1833-1906), l’aîné des Schnitzler et Hofmannsthal, est alors l’un des écrivains viennois les plus en vue. Il pratique à merveille l’art du portrait psychologique, comme nous l’avions découvert l’année dernière dans Le Lieutenant Burda. Cette Histoire d’une enfant de Vienne confirme son talent délicat. Ici, le narrateur est un double de l’auteur, écrivain installé. Il observe pendant vingt années l’itinéraire de la belle Elise, devenue Elsa: son mariage, sa liaison, sa fuite, et sa chute, en passant par la tentative de devenir «écrivaine» (Schriftstellerin dans le texte). Elise et Vienne sont mêlées, et la modernisation de la capitale de l’empire, déplorée par le narrateur, répond en miroir aux aspirations émancipatrices d'Elsa. Mais celles-ci sont bloquées par son amant, le méphistophélique Röber, symbole des émergentes puissances de l’argent, de la bourgeoisie superficielle et rétrograde, éloignée des sacrifices de l’art. Von Saar pose ainsi en anti moderne. Lorsque Elsa, qu’il croise par hasard à Schönbrunn, a fini par se débarrasser de toute trace d’accent et de dialecte viennois, elle est aussi malade d’hystérie et malheureuse en amour. Son histoire à scandale, dont le modèle est de Sacher-Masoch et qui connut un petit succès littéraire, ne lui permet pas de transcender sa condition. Elsa se brûle les ailes au contact de la liberté. Tous les débats qui agitent le XXème siècle naissant sont là et, avec une aimable cruauté, nous parlent toujours. 

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