Culture / Ce qu’il se passe dans un abattoir
«Au cœur de la bête», Lorrain Voisard, Editions d’en-bas, 208 pages.
Il est impossible de ne pas penser à Joseph Ponthus et à son livre A la ligne où il décrivait, en 2019, son quotidien de travailleur à la chaîne dans une conserverie et un abattoir breton, avant de mourir deux ans plus tard alors que son récit connaissait un grand succès. Lorrain Voisard nous emmène lui aussi dans un abattoir. Comme Ponthus, il a des lettres et il nous le fait savoir par le biais d’une multitude de citations littéraires. Ce qu’il se passe dans un abattoir est absolument fascinant. La moindre tranche de jambon ou de steak est le fruit de la mise à mort plus ou moins brutale d’un animal. On a bien sûr tendance à l’oublier lorsqu’on mâche cette chair, lorsqu’on la fait griller sur un barbecue. La question n’est pas de faire de la moraline mais de constater à quelle distance nous nous trouvons de la réalité des choses. C’est pour ça qu’il est intéressant de lire Au cœur de la bête et les formidables descriptions du sang, des tripes, des regards des animaux allant vers la mort, de leurs sabots qui glissent sur le béton. Si Ponthus s’inscrivait dans la lignée de Robert Linhart – auteur de L’Etabli (1978) – et de la littérature prolétarienne, Lorrain Voisard adopte le point de vue d’un auteur faisant une expérience plus que celui d’un travailleur livrant le récit de son labeur. Ça dilue un peu le récit, ça remet le lecteur à distance, tant pis. Quant au titre… La ligne de Ponthus, c’est ce qu’on appelait autrefois «la chaîne» dans les usines, L’Etabli de Linhart se passe d’explication. Alors, Au cœur de la bête, c'est un peu vague, on dirait le titre d'un roman catholique du début du XXème siècle... Mais il suffit de ne pas y penser en lisant le livre.
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