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Au Diable vauvert publie «Sur les chats», une anthologie inédite de poèmes, une apologie des félins, avec des textes inédits et des photos de l'auteur, de sa dernière épouse et de leurs chats, un recueil donc du plus punk de tous les écrivains américains, mort il y a vingt-neuf ans, en 1994, à l’âge de 74 ans.



Charles Bukowski a travaillé dans des abattoirs, des fabriques, des stations-service et à la Poste, expérience à laquelle il a consacré son premier roman, en 1971, Le Postier et dont les 2'000 exemplaires du premier tirage se sont vendus très vite.

Son style et ses intentions stylistiques

Il se shampooine la tête et il change de chemise chaque matin et il écrit chaque nuit. Oui, il sait se tenir à distance de lui-même. Il dit désirer écrire clairement, brutalement et le plus facilement possible, ne pas vouloir employer de grands mots mais des mots simples, que les gens sachent ce qu’il dit et que lui-même, aussi, le sache.

Il ne s’agit pas de penser mais de sentir et de sentir comme un chat, d’écrire comme Picasso peint, une poésie épurée de toute prétention, de tout faux semblant, d’assumer une acceptation de la maladresse, du bancal, et même du vomi.

Il s’agit d’être dur au mal, de résister à tout et cet impératif, résister, revient deux fois, trois fois, quatre fois, c’est une véritable obsession.

Pour cela, Bukowski emploie les expressions les plus crues et appelle un chat un chat, voulant être et rester dans l’urgence; et pour y arriver, n’usant que d’une petite poignée de mots, toujours les mêmes: bière, vin, bouteille, chat, oiseau, couille, fauteuil, lit, fenêtre, tapis, patte, queue, amour, femme, bagnole, bar, escalier, incendie.

Eclopé de la vie

Ses chats sont comme lui des éclopés de la vie. Il en sauve un et au moment où il va mieux un ami  éméché lui roule dessus, il l’emmène chez le vétérinaire qui lui dit: on lui a coupé la queue, on lui a tiré dessus et c’est la deuxième fois qu’une voiture passe sur lui. Il ne marchera plus jamais. Mais il gambade. C’est un dur à cuire. Voilà, c’est ça, le message et le leitmotiv du livre, la lutte quotidienne pour la survie, bagarres, arrière-cours miteuses, une réalité  violente et sordide, dans un univers de vagabonds, de paumés, de solitaires.

C’est sec à l’os et plus que jamais en phase avec l’actualité, tout à fait en phase avec le réel, rien que de l’essentiel, la survie.

Et cela fourmille aussi de sentences telles que: «On ne peut pas transformer un chat en chien. L’amour doit venir à nous comme un chat affamé devant la porte. L’amour, ce sont les chats écrasés de l’univers.»

Les chats

Il demande: émerveillement? Et il répond: oui, quand je regarde dans les yeux de mon chat, j’y vois des paillettes.

Les chats sont un puissant antidépresseur, ils se la coulent douce, tout leur est indifférent, cela doit être une leçon pour nous, écrit-il aussi. Ils savent que les choses sont ce qu’elles sont. Il y en a qui sont de sacrés castagneurs. Ils lui disent aussi: honni soit l’effort et grâce soit rendue à la grâce. 

«j’observe leurs trous de balle / leurs oreilles / leurs pattes / leurs cils, / fissures, cicatrices et caresses, leur énergie / électrique, leur / yeux habités par un noyau de feu / ils me regardent / et me disent à travers leurs iris: sois.»

Oui, il voudrait être un chat, dormir vingt heures par jour, avec une simplicité sans détour et de la souplesse et de la grâce, être nourri, trainer en se léchant l’anus, et non pas être un misérable humain, qui même en dormant, est toujours à cran.

Un chat qui paresse, c’est de la magie. Un chat, œil ouvert, oreille dressée, n’est jamais que lui-même, il incarne la vie, il ne lâche pas sa proie. Il n’hésitera pas à vous bouffer, dit-il. Ni dieu, ni esprit chez le chat, machine, comme la mer. Le chat est diable, majesté des ténèbres. Bref, les chats ne comprennent pas le type d’à côté qui arrose sa pelouse et lui non plus ne le comprend pas.

D'abord reconnu comme poète

Aux Etats-Unis, il est tout d’abord reconnu comme un poète et pour comprendre cela, il faut bien sûr lire ses poèmes. Dès qu’on le fait, on comprend et dans ce sens-là, ce recueil sur les chats est l’œuvre d’un Bukowski vieux, plus ou moins réconcilié avec les autres et avec lui-même. Il a perdu la plus grande partie de sa hargne. Ne reste que la survie, Linda, sa dernière épouse, les champs de course de chevaux, les hippodromes donc, et leurs cinq ou six chats.

 «Nos chats sont nos enfants, lui a fait savoir ma femme». Il s’identifie à eux et il le dit explicitement: «j’ai connu de sales états moi aussi».

Lui, il n’a jamais renoncé pour finir par redevenir plus en forme que jamais avec «ce petit éclat dans le regard». Quand des gens veulent lui parler de la vie, de la littérature, il leur colle sous le nez un de ses chats et il leur dit: je n’ai pas été influencé par Céline, j’ai été influencé par ce chat. Et il est fier quand il découvre plus tard, dans une publication prestigieuse, ce chat et lui photographiés ensemble.

Leurs chats

Butch, mastoc, énorme, grincheux, teigneux, les yeux jaunes, Beauty, Ting, Ding, Beeker, Bhau et Feather, soit une vieille mémère, crocs pointus, qui se fout de tout, un mâle insignifiant qui s’entend avec tous les autres chats, un clown, grand, avec des yeux immenses, bagarreur, un tueur, qui enchaîne les séjours à l’hôpital, un autre tueur qui est craint par les quatre autres et dont le style est celui de Louis-Ferdinand Céline, et pour finir, une chatte que tous les autres chats prennent en chasse, et qui reçoit le plus gros de leur amour, car elle a une existence misérable et passe son temps à se cacher et à lécher ses blessures.

Les Arabes admirent les chats et méprisent les femmes et les chiens parce qu’ils manifestent de l’affection, signe de faiblesse pour eux. Ils ont tort. Pour donner de l’affection, il faut être fort, au-delà des contingences.

Sa vie, son œuvre

En 1969, est publié Journal d'un vieux dégueulasse, un recueil de chroniques initialement parues dans le magazine anticonformiste Open City, relatant son quotidien.

Mais sa vraie vocation, l’essentiel de sa pratique, son renom aux Etats-Unis dans les milieux underground, n’étaient pas dû à sa prose mais à la poésie, genre connaissant là-bas, dans les cercles artistiques, un écho totalement inexistant chez nous, européens de l’Ouest.

En 1966, un certain John Martin fonde donc les éditions Black Sparrow Press dans le but de publier Bukowski. Celui-ci quitte son emploi à la Poste et décide de consacrer cent pour cent de son temps à l'écriture. Agé de 50 ans, il vit dans une chambre à Hollywood et écrit donc des nouvelles autour du sexe pour des magazines qui payent très bien.

C’est aussi à cette période qu’il rencontre Linda King, artiste à ses heures et mère de deux enfants. Leur histoire est excessive, parfois violente, avec alternance de ruptures, d'éclats de voix et de coups de poing. Mais le vrai tournant littéraire a lieu en 1972, avec la publication du recueil de nouvelles Contes de la folie ordinaire, peu autobiographique et peu représentatif de l'œuvre globale de l'auteur.

En 1976, âgé de 56 ans, il rencontre Linda Lee Beighle, 31 ans, lors d'une lecture dans un bouge de Los Angeles, qu'il finit par épouser en 1985. Cette jeune hippie, éprise de philosophie tibétaine, tient un restaurant macrobiotique à Los Angeles. Eh oui! Ils auront beaucoup de chats et ne se quitteront plus jamais.

Women

En 1977, ayant ainsi vécu cet important tournant dans sa vie sentimentale, Charles Bukowski se met à la rédaction de Women, épais roman autobiographique, sautillant au bord de la pornographie, dans lequel il décrit le chaos de sa vie avec les femmes. Et c’est à la fin de ce roman que dans un dernier coup de théâtre inattendu, il remplace la polygamie qu’il pratiquait jusqu’alors, et les femmes au pluriel, par des chats et une femme au singulier, disant au téléphone à une admiratrice de 19 ans que non, non merci, il préfère ne pas la voir. Et après avoir raccroché:

«J’ai ouvert la porte, suis sorti sur la véranda. Il y avait un chat étrange dehors. Une énorme créature, un mâle, à la fourrure noire luisante, aux yeux jaunes et brillants. Je ne lui faisais pas peur. Il s’est approché en ronronnant et s’est frotté contre mes jambes. J’étais un brave type et il le sentait. Les animaux sentent les choses comme ça. Ils ont une sorte d’instinct. Je suis rentré et il m’a suivi. Je lui ai ouvert une boîte de thon blanc Star-Kist. Conservé dans l’eau de source. Pds net 250 g.»


«Sur les chats», Charles Bukowski, Au Diable vauvert, 192 pages.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@jfduval 23.09.2023 | 15h54

«Excellent ! »


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