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Culture / «American Assassin», premier film «trumpien»?

Norbert Creutz

28 septembre 2017

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Si tout film hollywoodien possède un sous-texte idéologique, ce thriller géopolitique qui s'en prend à l'Iran vire carrément au tract politique. Une déception de la part de ses auteurs, a priori estimables, mais un film passionnant à décortiquer dans le contexte actuel.



Qui donc a dit que tout film était politique? Quand il s'agit de cinéma hollywoodien, difficile de le nier, tant il est vrai cette industrie qui pèse lourd en milliards de dollars est devenue le fer de lance de l'«American way of life» dans le monde. Mais si presque tout film hollywoodien vend en quelque sorte l'Amérique (sa langue, ses valeurs, ses produits), ils ne sont heureusement pas tous du même bord politique: les auteurs/artistes se montrent plus volontiers «libéraux» (c'est-à-dire à gauche, outre-Atlantique) tandis que les producteurs/financiers tendent naturellement plutôt à droite. D'où un conflit toujours intéressant à arbitrer pour le spectateur un tant soit peu critique. Et rarement aussi frappant que dans American Assassin film discrètement sorti cette semaine, comme si son distributeur en avait un peu honte.

Autrement dit, quand Michael Cuesta, auteur d'une poignée de beaux films indépendants trop peu vus (L.I.E., Twelve and Holding, Roadie, Kill the Messsenger) et aux crédits télévisuels honorables (Six Feet Under, Dexter, Homeland) accepte de tourner un film pour Lorenzo Di Bonaventura, producteur des Transformers et du dernier Jack Ryan, qui sortira gagnant? A notre immense dépit, nul autre que... Donald Trump!

En guerre contre lui-même

On a beau être auteuriste convaincu et considérer le metteur en scène comme principal responsable de la qualité et du propos d'un film, il convient parfois de mettre de l'eau dans son vin: à l'évidence, producteurs, scénaristes et stars pèsent eux aussi dans la balance. Chargé de lancer une nouvelle «franchise» d'action d'après la série des Mitch Rapp de feu Vince Flynn (1966-2013), American Assassin est ainsi un film visiblement tiraillé, presque en guerre contre lui-même, mais dont le naufrage artistique ne fait hélas aucun doute.

L'argument est digne des best-sellers les plus simplistes. Mitch Rapp (Dylan O'Brien, Le Labyrinthe), un jeune homme qui a perdu sa fiancée dans une attaque terroriste sur une plage d'Ibiza se prépare pendant deux ans à sa vengeance. Repéré par les services secrets, il est alors recruté pour intégrer une unité d'élite de la CIA chargée de mener de dangereuses opérations spéciales. Après sa formation par le vétéran de la Guerre froide Stan Hurley (Michael Keaton), méfiant envers cet élément incontrôlable, il connaîtra l'épreuve du feu dans une affaire de plutonium volé en Russie et convoité par des dignitaires iraniens opposés à l'accord sur le nucléaire interdisant à leur pays tout usage militaire.

La menace basanée

Rondement mené et plutôt bien réalisé, le film n'est d'abord pas plus désagréable qu'un autre. Le glissement d'un terrorisme islamiste à une supposée menace iranienne paraît cependant des plus discutables, favorisant l'amalgame douteux. Ajoutez à cela, une fois l'action transportée au Moyen-Orient puis à Rome, une collègue turque forcément incertaine et des approximations gênantes comme Malte pour figurer la Libye ou l'acteur palestinien engagé Mohammad Bakri (a-t-il vraiment lu le scénario avant de signer?) pour camper un (bon) Iranien. A l'évidence, c'est toute la région qui devient ici une sorte de «menace basanée», à l'image de la série Homeland, adaptée d'un original israélien...

Mais le film révèle sa carte maîtresse (trump card en anglais) avec l'apparition de Ghost, un prédécesseur de Mitch qui a échappé au contrôle de ses «créateurs» et opérant désormais pour son propre compte. Avertissement bienvenu contre un effet boomerang des agissements illégaux de la CIA? Le choix de Taylor Kitsch, la star manquée de 2012 (John Carter) pour incarner ce revenant, tient du génie: un jour chez le radical de gauche Oliver Stone (Savages), l'autre chez le très patriotique Peter Berg (Battleship), d'origine canadienne, il paraît lui-même d'obédience incertaine. Monstre américain par excellence, Ghost torture ainsi son mentor en critiquant la tendance étasunienne de réduire le reste du monde à des «sauvages» avant de menacer de couler toute une flotte dépêchée en Méditerranée!

Le facteur israélien

Lorsque la bombe atomique qu'il a fabriqué explose au large des côtes italiennes dans une séquence dantesque, c'en est fait du film, qui a définitivement basculé dans le grotesque. Mitch et Stan ont réussi à éliminer le fruit pourri, les retombées radioactives sur l'Europe sont commodément oubliées et on est invité à applaudir au «teaser» du prochain épisode, qui voit notre tête brûlée se charger d'éliminer lui-même le ministre iranien qui jouait double jeu. Happy end. Quant à la réalisation, elle s'est peu à peu alignée sur le tout-venant des blockbusters produits par Di Bonaventura ou Jerry Bruckheimer.

Difficile de ne pas reconnaître la vision du monde du lobby israélien …le Mossad est mentionné comme allié –, qui craint plus que tout une bombe nucléaire iranienne, derrière ce scénario concocté par des scénaristes majoritairement juifs (Edward Zwick et Marshall Herskowitz, Stephen Schiff, sans oublier Cuesta lui-même). Autant de  «progressistes» soudain aveuglés, renonçant à leur devoir de complexité devant des enjeux géopolitiques qui les dépassent. A l'heure où Donald Trump fait tout pour replacer l'Iran dans son «axe du mal», le retour au simplisme fascisant d'American Assassin a de quoi inquiéter.


American Assassin, de Michael Cuesta (Etats-Unis, 2017), avec Dylan O'Brien, Michael Keaton, Taylor Kitsch, Sanaa Lathan, Shiva Negar, David Suchet, David Negahban, Charlotte Vega. 1h52


La bande-annonce



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