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Après Indiana Jones, c'est au tour d'Ethan Hunt de s'offrir un tour de piste de trop dans «Mission: Impossible – Dead Reckoning», dont la première partie vient de sortir sur les écrans. Où les dernières tentatives de Hollywood pour presser le citron d'un certain cinéma d'action-aventures commencent à sentir le réchauffé malgré l'arrivée de l'intelligence artificielle.



Dès le début d'Indiana Jones et le Cadran de la destinée, avec les sempiternels méchants nazis ramenés par des cinéastes d'origine juive, cela sentait le sapin. Même si tout le monde s'est forcé à trouver ça «pas si mal», au nom d'une nostalgie tenace, le film est bel et bien décevant, et ce, jusqu'à son «McGuffin», un cadran inventé par Archimède pouvant faire voyager dans le temps: au lieu de l'utiliser plus tôt, les protagonistes passent l'essentiel du film à courir après ses deux parties à assembler! Il en va exactement de même dans le premier volet de Mission: Impossible – Dead Reckoning, où il s'agit de réunir les deux parties d'une clé, déclencheur d'une arme potentiellement apocalyptique. Pour le reste, ce sont les sempiternelles duplicités du monde de l'espionnage anglo-saxon sous menace russe, avec le reste du monde comme simple décor traversé. Tout ceci pour profiter encore de deux papys qui font de la résistance, Harrison Ford (77 ans au moment du tournage) et Tom Cruise (59 ans).

Le cas de Cruise, dernière star de cinéma n'ayant jamais cédé aux sirènes du petit écran (chapeau!), est particulièrement frappant. Pour lui, il ne s'est jamais tant agi de voyager à travers le temps (même si sa filmographie ne manque pas de films historiques et futuristes) que de le figer, en usant du cinéma comme d'un portait de Dorian Gray. D'un côté, à l'écran, une course en avant éperdue de tête brûlée, de l'autre, une détermination à freiner autant que possible l'inexorable avancée des ans. Et sa «franchise» phare est devenue la plus belle expression de cette dualité. Née avec éclat comme un film d'action conceptuel signé Brian De Palma (1996), elle s'est ensuite réinventée de film en film en faisant appel à des cinéastes ambitieux (John Woo, J.J. Abrams, Brad Bird) jusqu'à un excellent numéro 5 (Rogue Nation) signé Christopher McQuarrie, un proche de la star. Mais depuis, on reprend les mêmes sans s'avouer qu'il s'agit bien plus de survie au sommet que de réinvention. D'où la déception déjà de Fallout (2018) et aujourd'hui celle de Dead Reckoning – Part One.

L'intelligence artificielle au pouvoir?

Tous les ingrédients sont pourtant là pour faire plaisir aux afficionados: menace contre la sécurité planétaire, exploits de super-espions, déguisements, courses-poursuites et trahisons à gogo, avec un soupçon de politique et de romance qui avaient relancé l'intérêt de la série, pourtant très neutre dans ces domaines dès ses origines télévisuelles. L'ennui, c'est que tout le monde semble un peu fatigué, à commencer par un réalisateur devenu quasiment anonyme. A tout moment, on le voit courir derrière des confrères plus inspirés comme Denis Villeneuve, Christopher Nolan, Sam Mendes ou même Chad Stahelski (John Wick). Après tout, combien de fois peut-on espérer captiver avec un compte à rebours avant explosion, une poursuite en voiture à travers un centre historique européen, un saut dans le vide «improvisé» en fait parfaitement calculé ou encore un petit jeu de masques... effectivement impossible?

Cette fois, tout commence par un sous-marin russe – le Sébastopol, pour rappeler la Crimée – qui transporte une arme dévastatrice et qui, durant une sortie sous les glaces de l'Arctique, tombe sur plus fort que lui. Ensuite, c'est au tour d'Ethan Hunt et de son unité d'intervention ultra-secrète de montrer ses muscles en Arabie, en sauvant son alter ego féminin et britannique Ilsa Faust (Rebecca Ferguson), puis à nouveau en tentant de récupérer une demi-clé à l'aéroport d'Abu Dhabi, opération durant laquelle il rencontre la séduisante voleuse Grace (Hayley Atwell).

Tout ceci est lié au nouveau danger qui menace l'humanité, à savoir une intelligence artificielle, l'Entité, qui a apparemment échappé à tout contrôle et qui menace de prendre le pouvoir sur le cyberespace interconnecté mondial («Cela devait forcément finir par arriver», résume fataliste Benji, l'adjoint geek d'Ethan). Sur ce, réunion de crise à la CIA, où chacun y va de sa phrase pour un effet choral assez ridicule, et c'est reparti pour Rome, à peine remise des destructions occasionnées dans Fast X, et Venise, où est censée avoir lieu la transaction qui permettra de réunir les deux parties de ladite clé. Las! On se désintéresse assez vite des multiples péripéties orchestrées pendant 2h40, toujours sur le même rythme surdécoupé et la même musique assommante. Ce qui retient l'attention est d'un tout autre ordre, plus philosophique.

Tom Cruise gagné par la confusion

Apparu surgissant de l'obscurité, Ethan Hunt est devenu une sorte de fantôme, doublement dans l'ombre de supérieurs (la CIA, le gouvernement) auxquels il ne fait plus confiance. Quant à son équipe, on dirait à présent une société secrète style franc-maçonnerie ou Eglise de scientologie, fondée sur l'idéal de servir (mais qui?) et réglée par un dévouement total des uns envers les autres. Entre un désir de recruter et son faible pour des Anglaises incontrôlables, un certain flou a gagné Ethan. Quant à la fameuse clé, cruciforme, elle n'arrange rien à ce méli-mélo éthico-ésotérique. Seul moyen de s'en sortir par le haut: œuvrer au nom de l'humanité. Mais pas jusqu'à oser penser anti-américain, anti-services secrets ou anti-technocratie, bien sûr!

L'ennui, c'est que ce flottement idéologique commence à nuire au spectacle. D'un côté, le film tente une louable reconnexion avec l'opus initial radicalement désenchanté de Brian De Palma en ramenant sur le devant de la scène un supérieur oublié par la suite, Eugene Kittridge (Henry Czerny). De l'autre, il invente de toutes pièce, via un faux flash-back, un ancien/nouvel ennemi en la personne du mystérieux Gabriel (Esai Morales), allié humain d'une Entité bien théorique. Mais ce qui apparaît comme la trahison suprême, c'est l'abandon d'Ilsa au profit de Grace. On sait bien que pour Tom Cruise, les femmes de sa vie n'auront été que des épisodes vite dépassés par ses impératifs de carrière. Mais voir la vibrante Rebecca Ferguson sacrifiée à ce stade au profit d'une nouvelle venue confirme surtout le manque de vista des auteurs.

Divertissement très relatif

Il faut avoir vu les clichés romantiques vénitiens chargés de faire croire à un chagrin d'Ethan pour mesurer la médiocrité toute illustrative et mécanique de la réalisation. Pour finir, malgré son scénario «visionnaire» à base d'I.A. toute-puissante, l'action se transfère à bord de... l'Orient-Express cher à Agatha Christie (et reconstitué en Norvège!), qui donnera lieu au seul morceau de bravoure vraiment réussi du film. Limites avouées d'un art du XXème siècle bien emprunté quand il s'agit de témoigner d'un XXIème siècle devenu par trop virtuel? En effet, à quoi bon encore un héros bondissant, même surhumain, là où une poignée de hackers trafiquant du code source aurait plus de chance de sauver l'humanité? Il eût fallu le Michael Mann de Blackhat ou le Spielberg de Ready Player One pour vraiment affronter un tel sujet en termes de mise en scène. Au lieu de quoi McQuarrie nous montre un Ethan toujours secondé par deux acolytes chargés de prouesses informatiques aussi instantanées qu'incompréhensibles tandis que ses exploits à lui se cantonnent de plus en plus dans un monde d'avant. 

Bien sûr, les fans m'accuseront de bouder mon plaisir. Mais quand on est aussi vite gagné par un certain ennui au fil de séquences répétitives, dénuées de crédibilité, d'émotion et d'enjeu autre que la logique du tiroir-caisse, où réside donc le fameux «divertissement»? A présent, il reste certes un demi-film à Mission: Impossible pour renverser la vapeur et parvenir au moins à un final aussi superficiellement satisfaisant que le No Time to Die de Cary Joji Fukunaga pour James Bond. Mais avec bien deux tiers de pur remplissage pour ce premier volet, c'est peu dire qu'un doute s'est installé.


«Mission: Impossible – Dead Reckoning, Part One» de Christopher McQuarrie (Etats-Unis, 2023), avec Tom Cruise, Hayley Atwell, Rebecca Ferguson, Simon Pegg, Ving Rhames, Vanessa Kirky, Esai Morales, Henry Czerny, Shea Whigham, Cary Elwes. 2h43

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