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Analyse / Le récit climatique, un plagiat de la Genèse


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L'eschatologie protestante de la damnation/rédemption, si chère aux Américains, a trouvé une nouvelle incarnation dans la cause humaine au changement climatique. Elle en est la copie si conforme qu'on y trouve également notre culpabilité, notre besoin de repentir, et notre omnipotence face à la nature.



Il y a cette scène de janvier 2017, à Washington. Donald Trump, récemment élu à la Maison-Blanche, a sélectionné Scott Pruitt au poste de directeur de l'Agence pour la protection de l'environnement. Pruitt suit la procédure ordinaire des questions devant un panel du Sénat. L'un des sénateurs présents est Bernie Sanders, qui a échoué à l'investiture du parti démocrate en 2016. La discussion porte sur le changement climatique. Sanders veut aller au fond des choses. En l'espace de quelques minutes, il pose cette question en la répétant plusieurs fois sous plusieurs formes: «Croyez-vous que le changement climatique est causé par les émissions de carbone provenant de l'activité humaine?» A quoi Scott Pruitt, poussé dans ses retranchements, finit par répondre: «Sénateur, mon opinion personnelle est sans intérêt». Sa nomination sera confirmée par la discipline du parti, sans surprise.

Le verbe croire sonnait comme une incongruité dans ce monument de la raison qu'est un parlement. «Do you believe in...» insistait Sanders avec autorité et fureur. Croire s'est néanmoins imposé dans le débat politique dès qu'il s'agit de science. Lors de la pandémie de Covid-19, les élus et les journalistes de plateaux enjoignaient la population à «croire en la science». Il semble que nous ayons été programmés depuis trop longtemps pour nous défaire de nos habitudes aussi rapidement que nous le souhaiterions. Dieu est mort mais tout se passe comme si notre lexique et nos réflexes idéologiques ne parvenaient pas à en faire le deuil. Aussi rationalistes, objectivistes et matérialistes que nous croyons être, nous charrions des siècles d'endoctrinement qui ont façonné notre vision du monde.

Ainsi la question du changement climatique, comme un carottage géologique, révèle ce qui reste de croyances et de craintes ataviques sous nos convictions. En particulier, la question de l'activité humaine comme facteur principal de ce changement vient hanter les marches de nos consciences, où rationalité scientifique et vision eschatologique viennent se chevaucher. Le changement climatique n'est pas une nouvelle affaire. Dès la fin du XIXème siècle, des scientifiques alertent le monde en soulignant les effets potentiellement dévastateurs de l'usage des énergies fossiles et du rejet de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Il faudra encore un siècle pour que le monde, loin des convictions, puisse l'observer à l'œil nu et commence à s'en inquiéter, avant d'en faire une Cause Célèbre. Le réchauffement de la planète est observable. La hausse des températures, les évènements catastrophiques et la fonte des glaciers ne sont pas des objets de débat. Ils sont mesurés, calculés.

Les causes de ces changements, en revanche, le sont moins et persistent à diviser la communauté scientifique, et la population plus encore. 97% des scientifiques, nous dit-on, s'entendent pour faire de l'activité humaine le moteur principal du changement climatique. L'attitude rhétorique de Sanders, ainsi que celle que reproduisent la majorité des médias et des politiques cherchant à se faire élire, indique qu'il n'y a pas de place pour un débat. La science a tranché. En douter revient à enfreindre un Interdit. Or la science n'a fait qu'atteindre un consensus à 97% – un chiffre qui lui-même reste discutable. Elle n'a donc pas tranché. La vérité scientifique ne se décide pas au vote majoritaire. Elle est établie et observable, ou pas. En l'état tout ce que Sanders, les médias et les politiques peuvent exiger, c'est de croire.

Il est révélateur que cet Interdit soit né et essaime depuis les universités d'Amérique du Nord – MIT de Boston, Harvard, Yale et Columbia en particulier. Ancrée dans un protestantisme littéral et universaliste, l'Amérique des Pèlerins est imbibée des récits de l'Ancien testament jusqu'aux tréfonds de sa philosophie politique. Aujourd'hui encore les questions de l'avortement et de la peine de mort, considérées avec pragmatisme en Europe, sont débattues en Amérique sur fond de versets trois fois millénaires. En l'observant sous cet angle, l'activité humaine à la base du changement climatique offre des similitudes trop exactes avec le récit de la Genèse pour être le fruit du hasard. Dieu n'y est pas tout à fait mort. L'illusion de son incarnation persiste. Et dans la cause humaine du changement climatique, les relents vétérotestamentaires s'incarnent avec une force de conviction qu'il est difficile d'ignorer.

Le démographe Emmanuel Todd décrit dans ses travaux sur les structures familiales la persistance des croyances et des modes de transmission du savoir des décennies, voire des siècles après leur obsolescence. Une société majoritairement catholique ou protestante trahira dans son vote et dans ses comportements les traces de son passé idéologique et religieux longtemps après s'être déclarée laïque et démocratique. Todd démontre par exemple, au-delà des opinions, comment le vote communiste n'a rencontré le succès en Europe occidentale que dans les régions de structure communautaire, telle que l'Italie du centre, la Serbie ou le Massif central. Que le récit du réchauffement climatique subisse les mêmes biais ne serait donc pas impossible.

C'est un récit en quatre parties: au commencement, il y avait le Paradis, où l'homme et la femme vivaient en harmonie. Puis l'homme a rompu la promesse divine et a voulu s'affranchir pour devenir lui-même dieu. Alors dieu les a chassés du paradis. Exilée sur une Terre hostile, forcée à souffrir et à mourir, l'humanité doit faire pénitence et chercher la rédemption par les actes pour rencontrer la miséricorde divine et recevoir la vie éternelle. La réciproque climatique fonctionne sur le même schéma, qui remplace dieu par la nature: nous vivions sur une Terre merveilleuse et équilibrée. Puis nous avons voulu nous affranchir de la nature et l'exploiter sans relâche pour devenir riches et puissants. Alors nous avons été chassés par notre faute de notre propre paradis pour nous retrouver dans une nature polluée, irrespirable, balayée par les ouragans et menaçant notre survie. Notre unique chance de salut réside dans notre pénitence et notre changement de comportement, seuls susceptibles de calmer le courroux de la nature et la rendre à nouveau propice à notre survie.

En 2019 Greta Thunberg lançait son alerte au monde entier: «Je veux que vous paniquiez». Originaire de la très protestante Suède, la jeune activiste incarne depuis des années cette vision eschatologique du climat, fidèle en tous points à la Genèse et à son récit de damnation/rédemption. Cette panique vétérotestamentaire a pris racine et a gagné désormais l'ensemble de la classe politique et médiatique. La génération de Thunberg est fidèle à ses mots d'ordre et multiplie les grèves contre le changement climatique, les actions coup de poing dans les musées ou les prises de parole intempestives dans les conférences internationales. Dans les pays du nord de l'Europe, majoritairement réformée, certaines femmes se déclarent «en grève de natalité» tant que les gouvernements n'auront pas pris des mesures définitives contre le réchauffement. Et comme paniquer n'aurait aucun sens s'il s'avère que le climat se moque de l'activité humaine, on ne parle plus désormais qu'à coups de statistiques, de schémas et de graphiques, comme si les chiffres pouvaient clore le débat et sans souligner qu'il s'agit des chiffres en l'état des connaissances actuelles.

Cette perversion de la démocratie, qui veut remplacer le débat par des chiffres, et que l'on pourrait qualifier de démocrascience, résonne elle-même de la conception que la Genèse offre de l'homme, appelé à dominer sur toutes les créatures de la Terre et à se conduire ici-bas tel un dieu. Cette très chrétienne arrogance et cet ethnocentrisme ne sont pas nouveaux. On en fait volontiers la critique dès qu'il s'agit de colonialisme, de racisme, d'évangélisation forcée ou d'esclavage. Appliquées à la science, ces conceptions deviennent soudain un concept: l'anthropocène, c'est-à-dire une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l'avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques. La promesse de l'Ancien testament se serait donc accomplie et l'homme dominerait à ce point les éléments naturels qu'il serait devenu capable, même s'il ne le désirait pas, d'en modifier les coordonnées et le développement. Il serait désormais condamné à faire pénitence et à se racheter par les actes.

Il ne s'agit pas ici d'affirmer que l'activité humaine n'est pas à l'origine du réchauffement climatique. Le consensus scientifique dont on fait tant cas se révélera peut-être exact, peut-être alors cesserons-nous de parler de consensus et plus simplement de fait scientifique. D'autre part, les changements de comportement induits par ce consensus sont presque tous vertueux et nécessaires. La pollution, l'extraction des énergies fossiles, la surconsommation, l'absurdité des chaînes de commerce international, la monoculture, l'usage massif d'engrais et de pesticides, la destruction de la biodiversité, tous ces maux ont été rendus publics et sont combattus. Il ne s'agit donc pas de remettre en question ces éveils de conscience collective. Pourtant, au terme de nouvelles découvertes et mesures, si la cause de ces éveils est finalement inexacte, alors il n'est pas exclu que l'exercice soit vain et porte même en lui les germes d'autres maux tout aussi funestes que ceux que l'on se vantait de combattre. En effet, si la génération montante parvient à maturité en ne nourrissant pour l'activité humaine que détestation, en refusant de faire des enfants, en attendant avec certitude la fin des temps et la montée des eaux, en considérant avec horreur sa propre présence sur cette planète, comment parviendra-t-elle à inventer l'avenir de ses enfants et celui de notre espèce toute entière?

Si le généticien Albert Jacquard avait raison, qui rappelle que «la science nous apprend à ne pas croire», alors le premier pas vers une attitude de raison consisterait probablement à reconnaître, derrière les chiffres et les statistiques, les croyances et récits d'un autre temps. A distinguer, derrière les prophéties apocalyptiques d'une écolière, les menaces qui ont trop longtemps pesé sur nos ancêtres. A n'en pas rejeter la totalité au profit d'un cynisme jouisseur, mais à en reconnaître et en appliquer les vertus. A se souvenir que l'humanité change, elle aussi, à un rythme géologique et ne se défait de ses habitudes qu'à la vitesse d'un glacier. A ne pas confondre consensus et vérité, à ne pas remplacer un débat nécessaire par des chiffres. Et à ne pas se contenter de croire et de paniquer, mais avant tout à douter et à réfléchir.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

8 Commentaires

@marcus28 04.08.2023 | 08h28

«Loin de vouloir opposer Foi et Raison, Bible et Science, la meilleure démarche est certainement de les conjuguer. Dire que Dieu est mort fait partie de cette arrogance pseudo-scientifique qui détruit même la foi de l'homme en l'homme et amène les pires maux de notre société qui rejette toute valeur morale : pédophilie, exploitation sexuelle, genrisme et j'en passe.
Il faut beaucoup de foi pour être athée… comme le disait un penseur chrétien, Ralph Shallis; à méditer !»


@Christ 04.08.2023 | 10h49

«J'adhère totalement aux objectifs du Media indocile de Jacques Pilet: éveiller la curiosité et le sens critique du grand public.
S'agissant de la menace climatique, ce n'est pas que j'en fasse un dogme scientifique, mais je pense qu'il est vertueux d'inciter sapiens à plus de sobriété. Après tout, pour ceux qui doutent, c'est une sorte de pari de Pascal.

Yves Christen»


@marcello 05.08.2023 | 10h33

«Quand je vois "l'évolution du monde" ces derniers mois, cette façon de croire qu'un Etat possède la pure Vérité, je désespère.
Seul le chiffre d'affaires compte et avoir un environnement moins pollué, mieux gérer nos ressources qui sont définies, ne seront possibles que:
- si l'on peut faire du profit
- si l'on va perdre nos acquis financiers.»


@simone 06.08.2023 | 10h13

«Merci de cette réflexion très intéressante. »


@Eggi 06.08.2023 | 17h28

«Lorsque le doute, nécessaire à l'avancement de la science, devient la raison première de l'inaction devant des comportements vivement recommandés pour éviter l'aggravation du dérèglement climatique, on peut raisonnablement se demander si on n'est pas en présence d'un biais, dûment établi par les psychologues, pour se complaire dans une situation confortable certes, mais très temporaire... Pour reprendre un mythe biblique: après moi le déluge!»


@Christode 07.08.2023 | 08h15

«Excellente conclusion de votre article !
»


@GFTH68 08.08.2023 | 11h38

«Dans ce sens, n'y a t'il pas un lien entre "théorie de l'effondrement" et "Apocalypse"? »


@Apitoyou 20.10.2023 | 07h56

«Il ne faut pas croire et il faut savoir, dicton populaire vieux comme le monde. On sait que l‘augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère est mesuré en relation avec l’activité humaine ( c’est un fait établi scientifiquement) . Ce n’est certes pas suffisant pour prédire exactement les conséquences climatiques dans 100 ans, mais c’est une réalité comme les augmentations d’inondations, les incendies, les coulées de boue, les glaciers en disparition, la disparition des coraux et de beaucoup d’espèces marines et territoriales, les canicules et les pollutions de l’air, etc , j’oublie certainement d’autres effets nocifs, pour la vie en général, causés par les hydrocarbures. Ce sont des faits pas des croyances. Alors pourquoi tant de résistances ? »


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