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Analyse / La vague verte emportera-t-elle les bilatérales?

Chantal Tauxe

10 mars 2020

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Le 17 mai, nous votons sur une nouvelle initiative de l’UDC dont l’acceptation aurait pour conséquence la fin des accords bilatéraux qui, depuis bientôt vingt ans, ont assuré à la Suisse croissance et prospérité. Quel sera l’impact de la mobilisation contre le réchauffement climatique sur cet enjeu? L’histoire de nos relations avec l’UE invite à la prudence: en 1992, le choix des écologistes de ne pas soutenir l’Espace économique européen a été lourd de conséquences. Analyse.



Depuis le premier vote sur les accords bilatéraux en 2000, à la faveur de referendums ou d’initiatives, c’est la dixième fois que nous allons nous exprimer sur la poursuite de la voie bilatérale le 17 mai prochain.
Il vaut la peine de retracer l’histoire de cette option, proposée le 6 décembre 1992 par Christoph Blocher lui-même au soir du refus de l’Espace économique européen (EEE). Les nouvelles générations de grévistes du climat qui sont descendues l’an dernier dans la rue la connaissent mal. Sommé d’indiquer ce que le Conseil fédéral devrait faire pour aménager nos relations avec l’Union européenne (UE), le tribun UDC avait alors recommandé la négociation «d’accords bilatéraux».

Convaincre l’UE de discuter avec nous seulement – et pas via l’Association européenne de libre-échange (AELE) comme cela avait été le cas pour l’EEE – ne fut pas une mince affaire. L’UE finit par y consentir en imaginant que cette phase «sur mesure» avec les Helvètes constituerait une préparation à l’adhésion. Signés en 1999, les accords bilatéraux I furent acceptés le 21 mai 2000 par 67% des votants. Cette large approbation mettait fin à la période de stagnation de l’économie suisse, qui avait suivi le refus de l’EEE.

Par la suite, l’amplitude du soutien à la voie bilatérale a varié de 53% (scrutin sur les fonds de cohésion pour les pays de l’Est, en novembre 2006) à 74 % (refus de l’initiative Ecopop, en novembre 2014). De manière récurrente, les sondages mesurant l’envie des Suisses d’en finir avec la libre-circulation des personnes, comme le propose l’initiative de l’UDC appelée cette fois-ci «de limitation» par ses partisans mais «de résiliation» par ses opposants, suscite le rejet à hauteur de plus de 60%.

Le couac de 2014

Seul couac dans cette succession de confirmation de la voie bilatérale, le 9 février 2014, une courte majorité du peuple, 50,3% des votants (comme en 1992) disaient oui à l’initiative dite «contre l’immigration de masse».

Morale de cette histoire, les Suisses sont attachés à la voie bilatérale (qui leur évite de se poser la question de l’adhésion à l’UE), mais un accident reste toujours possible. Différents facteurs peuvent faire basculer une votation: un engagement mollasson du Conseil fédéral ou des partis, un contexte géopolitique particulier, les millions de francs investis dans la propagande de l’UDC par le clan Blocher (dans une totale opacité), une mobilisation faible et pavlovienne des partisans des accords bilatéraux.

Karin Keller-Sutter bien seule

Qu’en est-il en ce début 2020? En charge du dossier de la migration comme cheffe du Département de justice et police, Karin Keller-Sutter (PLR) est montée au front, avec la détermination qu’on lui connaît, mais bien seule. A la tête du Département de l’économie, de la formation et de la recherche, Guy Parmelin ne semble pas prêt à mouiller collégialement le maillot, et à affronter son parti qui a lancé cet énième texte attaquant la voie bilatérale que les milieux économiques veulent quasi unanimement préserver.

Troisième ministre théoriquement en première ligne comme chef du Département des affaires étrangères, Ignazio Cassis, lui aussi PLR, peine à plaider la cause européenne avec conviction. KKS peut toutefois compter sur la présidente de la Confédération. Simonetta Sommarugua a vécu la débâcle de 2014, et en a tiré les leçons: il n’y aura pas de plan B, une acceptation de l’initiative serait un saut dans l’inconnu, elle obligerait le gouvernement à repartir de zéro pour négocier avec l’UE. La socialiste n’a aucune envie de gérer le chaos qu’entraînerait un Swissxit.

Pour ce qui est du contexte qui va influencer la campagne, il n’augure pas d’une promenade de santé. Une grosse couche de paranoïa entourant l’épidémie de coronavirus pourrait accréditer l'idée que la fermeture des frontières est la panacée universelle.

La mondialisation, c'est mal 

Et puis, il y a les inconnues de la vague verte, qui a tellement influencé le résultat des élections fédérales l’automne dernier. Qu’a-t-on entendu depuis une année? Une légitime préoccupation sur les effets du réchauffement climatique, mais aussi une vision parfois simpliste des causes qui l’ont provoqué. Pour beaucoup d’activistes, la mondialisation, c’est mal, et le libre-échange (c’est-à-dire la circulation facilitée des marchandises entre les différentes régions de la planète), c’est le mal absolu. Circuits courts et produits de proximité sont érigés en vertueux impératifs. A cette aune-là, la libre-circulation des personnes se voit assimilée à un dérivé de la mondialisation honnie, une sorte de synonyme européen des comportements à combattre.

En 1992 ou en 2014, le résultat s’était joué dans un mouchoir de poche. A 10 000 voix près, la majorité du peuple basculait du côté de l’EEE ou rejetait l’initiative contre l’immigration de masse. En 1992, la majorité des cantons aurait peut-être manqué, mais la dynamique politico-diplomatique aurait été tout autre. Après le 9 février 2014, la Suisse se serait évité retard et complications dans les négociations de l’accord-cadre avec l’UE.

En 1992, les Verts étaient anti-européens

Or, en 1992, les écologistes suisses avaient préconisé le refus de l’EEE (les sections romandes et bâloises recommandant le oui). Depuis, le parti s’est clairement rallié aux Verts européens et à leurs idéaux. Mais, les grévistes du climat, les jeunes rebelles qui pensent que nous courons tout droit et sans alternative vers l’extinction de la vie sur terre, que pensent-ils des accords bilatéraux, cet édifice complexe et terriblement institutionnel? Sont-ils attachés aux libertés de mouvement et d’établissement que ces textes garantissent aux Suisses et aux Européens? Ou bien cette cause leur est-elle indifférente? Le pacte vert européen, proposé par la nouvelle commission von der Leyen, les fait-il bailler ou suscite-t-il en eux l’espoir d’une coordination continentale efficace contre les effets du réchauffement? Vont-ils se mobiliser pour la libre-circulation des personnes qui a permis aux jeunes générations de profiter des programmes Erasmus et de disposer d’amis aux quatre coins du continent? Ou vont-ils renforcer le camp national-populiste de l’UDC?

L'emprise étrangère sur notre sol et nos paysages

Chaque fois que la voie bilatérale a été attaquée, les milieux économiques ont fait campagne sur les conséquences dommageables sur l’emploi et la prospérité. Cet argumentaire rationnel peut-il convaincre celles et ceux qui remettent en question la croissance et les dérives de la mondialisation? La libre-circulation des personnes a aussi une dimension humaniste, c’est une liberté fondamentale que les membres de l’UE partagent avec nous, et qui nous offre de réelles facilités de déplacement et d’établissement. Encore faut-il considérer ces perspectives comme une chance et un progrès dans l’histoire des humains.

Car, il faut s’en souvenir, à chaque fois que les Suisses ont eu à se prononcer sur l’immigration, des initiatives Schwarzenbach à celles de l’UDC, le discours sur le péril que ferait courir «l’emprise étrangère» sur notre environnement, notre sol et nos paysages, a gagné en vigueur. Ce cocktail est vénéneux qui nourrit l’illusion que la Suisse se porterait mieux en se coupant du monde. Il a un potentiel pouvoir de séduction sur celles et ceux que les dérèglements actuels font paniquer.

Pour les tenants de la voie bilatérale, malgré l’expérience engrangée depuis vingt ans, l’échéance du 17 mai n’est vraiment pas gagnée d’avance.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

5 Commentaires

@Lagom 10.03.2020 | 09h25

«Pourquoi faut-il voter la fin de la libre circulation ?
NON, la fin de libre circulation ne signifie pas la fin de Schengen ni la fin des accords bilatéraux. NON, la fin de la libre circulation ne signifie pour un suisse qu’il aura besoin d’un visa pour se déplacer en Europe, ni l’interdiction de nouveaux travailleurs étrangers de venir travailler chez nous.
Beaucoup de méconnaissances du sujet et de la mauvaise foi entretenue par les médias, qui désorientent les futurs votants sur l’initiative de limitation du 17 mai, et qui nous fait craindre le pire.

Le pire étant de voter en faveur de la peur.

La signature d’un Accord-cadre avec l’UE est inévitable, elle aura lieu encore en 2020, ou au plus tard en 2021. Il est nécessaire cependant de limiter son influence, comment ? en réglementant l’accès des européens à notre marché du travail. Je sais que ce n’est pas très cool de militer pour casser quelque chose, puisque nous vivons dans une époque du libre échangisme total, au point que les agriculteurs africains sont contraints d’immigrer et de ramasser nos tomates en Italie, puisque la concurrence de la tomate chinoise chez eux ne leur laisse aucun choix. (Echo Magazine)
Le Conseil national a voté il y a quelques jours pour le changement du mode de comptage des chômeurs, afin de se rapprocher du calcul international, celui du BIT. Selon le nouveau mode de calcul, le chômage en Suisse n’est plus de 2,4% mais à 5,5%, alors qu’en Grande Bretagne il tourne autour de 4% et en Allemagne un peu moins. Nous nous trouvons subitement dans une zone médiane comparativement au taux du chômage dans l’UE. L’image de l’eldorado s’érode un peu. Les médias suisses n’en parlent pas trop et étouffent l’information. Il ne faut pas s’étonner que la liberté de la presse chez nous soit classée 6ème dans le monde. Elle est dominée par le néolibéralisme défavorable aux frontières et aux Etats-nations.
De toutes les formes d’importations de travailleurs, les frontaliers est la plus difficile à supporter. 350'000.- personnes qui traversent nos frontières tous les matins et qui vivent dans les pays limitrophes, où le coût de la vie, de l’assurance santé et du logement sont de 30 à 50% moins chers que chez nous. Cette concurrence déloyale est responsable de presque la moitié du chômage qui frappe durement les cantons limitrophes, surtout en Romandie et au Tessin. Au Tessin un bureau d’architecture cherche un architecte à 1'500.- par mois, et certaines femmes de ménages venues d’ailleurs sont payées 7 francs de l’heure. A Genève 16'000 personnes cherchent du travail, et en France voisine il y a pénurie de main-d’œuvre, car le regard des travailleurs est rivé sur Genève, et c’est légitime pour eux d’améliorer leurs revenus.
Si vous pensez avoir une immunité à l’égard du chômage craignez pour vos enfants. Si vous êtes chef d’entreprise qui profite des salaires bas que vous payez aux étrangers, pensait à vos futurs impôts qui vont inéluctablement augmenter avec le chômage.
A la mise en œuvre de chacun des accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE, les diplomates et les politiques des deux partenaires jouaient aux équilibristes, pour tenir compte des intérêts des uns et des autres. Avec le temps, et puisque l’économie suisse s’est ouverte encore plus en démultipliant les partenaires en dehors de l’Europe, la majorité des accords bilatéraux sont devenus favorables à l’UE, par conséquent ils n’ont aucun intérêt à les abolir. Rien que dans le commerce l’UE enregistre CHF 40 milliards de surplus avec nous par an et c’est assez récent.

N’ayons pas peur et voter OUI à l’initiative du 17 mai.
»


@evo 16.03.2020 | 09h44

«Le commentaire de "@Reiwa" est stupéfiant! Il est d'un optimisme débordant qui prends ses désirs pour des réalités. Si la fameuse initiative UDC est acceptée, croyez-vous que Schengen, l'accord-cadre avec l'UE (c'est vrai actuellement insatisfaisant) et autres accords dont bénéficie aujourd'hui la Suisse seront maintenus? Tout sera remis en question car paradoxalement, ce sera justement l'UE qui tiendra le couteau par le manche...et la Suisse subira. La libre circulation n'a pas des effets négatifs notamment pour les jeunes. En ce qui concerne les Travailleuses et Travailleurs, c'est une lutte pour que les conditions salariales et sociales selon nos CCT soient respectées...et si les contrôles se font normalement, cela joue. Alors ne nous berçons pas d'illusions et il il faudra dire NON le 17 mai à l'initiative de l'UDC.
Eric Voruz, Morges. »


@BrigitteFAYET 17.03.2020 | 12h34

«Je suis d'accord avec evo et sidérée par les arguments fallacieux de Reiwa !

Le pire est de voter pour la peur... C'est bien vrai, mais c'est l'initiative de l'UDC qui est basée sur la peur : la peur des autres et de leurs apports, de nos échanges.

Les employeurs suisses qui exploitent et abusent des étrangers sont les vrais problèmes : si les règles qui doivent être suivies sont mieux contrôlées par les Suisses, il y aurait moins d'aspects à critiquer - et à subir !

N'ayons pas peur et agissons pour le bien de la Suisse et des Suisses: disons NON le 17 mai à l'initiative de l'UDC !
Brigitte Fayet, Romanel»


@bouboule 17.03.2020 | 21h49

«Je vais bien sûr voter oui pour cette initiative. L'UE doit se repenser entièrement, surtout depuis l'apparition de la pandémie. Les travailleurs frontaliers français et italiens vont probablement être retenus dans leur pays car (1) il sont utiles à l'économie des dits pays et (2) pour ne pas prendre le risque d'être infectés par le cluster helvétique. Il est d'ailleurs inouï que la confédération ne mette pas immédiatement sur pied des la fabrication de tests et de masques (tout est tellement meilleur marché en Chine!).
En plus, actuellement, l'Italie n'a plus aucun intérêt à faire partie de l'UE. Quand ce pays quittera l'UE, l'Allemagne pensera à créer une zone mark et la France se demander si elle a bien fait de devenir aussi atlantiste, chose que de Gaulle ne souhaitait pas. A partir de là, on se posera les bonnes questions et on pourra réfléchir à un autre type d'union que celui préconisé par le traité de Maastricht. Et pourquoi pas créer une union commerciale avec la Russie...»


@Lagom 18.03.2020 | 22h47

«@ evo & Brigitte : Pardon, mes propos semblent vous avoir choquer, donc vous ne m'aviez pas compris. Moi aussi je suis d'origine étrangère mais j'estime avoir le droit de m'insurger contre ceux qui considèrent que la Suisse est un territoire et que nos concitoyens sont des clients et des usagers dans le grand bassin économique européen. Le monde a toujours été organisé par pays. Mon souhait le plus profond est que la Suisse soit LE partenaire de choix de l'UE et vice versa. Or la réalité est tout autre.

Il y a de la haine manifeste qui émane sans faiblir du cœur de Bruxelles à l'encontre de notre pays, et nous nous pouvons pas fermer les yeux et dire amen à tout ce qu'ils nous imposent. Les politiques suisses représentent en général le grand Capital et ils s'en foutent un peu du peuple ordinaire, d'où la nécessité de réguler par la votation. La théorie des vases communicants relèvent de la physique, ce n'est pas moi hélas qu'il avait inventé. Les humanistes qui pensent que ça serait bien de niveler notre situation vers le bas pour rejoindre celle de nos voisins je peux les comprendre et j'estime qu'ils doivent voter non à l'initiative.

Mais de grâce ne biaisez pas la vérité et soyez compréhensifs des opinions des autres. Tout le monde n'a pas les moyens de voir ses revenus baissés de 40% pour faire plaisir aux frontaliers et à certains patrons suisses dépourvus du sens de la responsabilité. La bonne volonté n'existe que dans les paroles - il faut en finir avec la TOTALE libre circulation, juste pour que le travailleur résident suisse ou étranger en Suisse ne soit pas discriminer par les frontaliers et les parachutés.»