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Analyse

Analyse / La sortie de Morales et ses leçons

Jacques Pilet

14 novembre 2019

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Pour beaucoup, la politique, c’est tout simple. Lorsque la foule se dresse contre un gouvernement latino-américain, si celui-ci est de droite, c’est la voix du peuple qui s’élève, s’il est de gauche, c’est l’ignoble droite qui tire les ficelles avec les Etats-Unis. Or la crise bolivienne est autrement plus compliquée. Elle éclaire des déchirements profonds que l’on retrouve dans d’autres pays. Avec une question à la clé: d’où tirer la richesse et au profit de qui?



Cette journée de janvier 2006 marquait un évènement historique. Pour la première fois, un Indien devenait président de la Bolivie. Une revanche inouïe pour cette population indigène humiliée depuis des siècles. A la veille de son investiture officielle à La Paz, Evo Morales avait choisi de saluer son peuple sur les hauteurs glacées, adossé aux monuments précolombiens, dans l’habit traditionnel et dans sa langue maternelle, le aymara. Face à lui, la foule non moins colorée exprimait une immense émotion, un immense espoir. Elle se reconnaissait en lui, issu d’une famille pauvre qui avait perdu 4 de ses 6 enfants, faute de soins. En ce paysan, en ce syndicaliste, en cet homme qui s’était arraché à sa condition pour amener plus de justice et de dignité. 

Sa première législature a laissé un héritage positif. Les ressources du sous-sol, partiellement nationalisées, furent enfin taxées et le budget de l’Etat permit enfin des avancées sociales. Réélu en 2009 et en 2014, il resta fidèle à ses discours prometteurs du début mais dans les faits, sa politique irrita de plus en plus. Non seulement ses adversaires de droite, mais aussi nombre de ses soutiens. Par sa volonté de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite prévue dans la constitution en dépit du référendum perdu sur cette question. Par son autoritarisme, son refus de toute critique. Il se considérait et se considère encore comme la seule figure digne d’incarner le peuple. Sa mégalomanie fâcha aussi: la construction d’une immense tour présidentielle adossée au vieux palais de La Paz, d’un grand aéroport - quasiment inutilisé - dans sa région natale, au coeur des plantations de coca… et bien sûr, quelques générosités choquantes au profit de ses amis. 

Le 21 janvier 2006, des Boliviens autochtones se mobilisent en faveur d'Evo Morales, le nouveau président du pays. © Jacques Pilet

Mais le grand sujet de mécontentement de la paysannerie est ailleurs. La réforme agraire promise n’a pas été réalisée. Au contraire, Morales a multiplié les concessions aux grands propriétaires terriens: l’autorisation des OGM, des pires insecticides, des engrais polluants. Cela sous la discrète pression des Chinois, grands acheteurs de soja. Leur influence en Amérique du Sud est aujourd’hui plus grande que celle des Etats-Unis! Bolsonaro en fait l’expérience au Brésil. Cette politique devait remplir les caisses de l’Etat mais les prix des matières premières sont au plus bas… et il y a tant de moyens d’échapper à l’impôt. Le défrichement des forêts dans la partie basse du pays se poursuit à la manière brésilienne. 

La pollution des villes et des sols devient effroyable. La plupart des villes et des villages, faute d’égouts et d’équipements, ne traitent ni les déchets ni les eaux.  Emblématique: une usine d’épuration était prévue dans la ville de Quillacollo, elle a été à moitié construite puis abandonnée, les fonds ayant fini, semble-t-il, dans la poche des maires successifs. Partout l’eau non potable cause des ravages sanitaires.

Les raisons de la colère sont donc multiples. Elles se mêlent certes aux ambitions de la vieille droite blanche qui veut revenir au pouvoir. La présidente intérimaire et autoproclamée brandit déjà la Bible et renvoie les Indiens à leurs "rites sataniques" ! Mais c’est bel et bien la révolte populaire qui a forcé Morales à démissionner, qui a poussé l’armée à le chasser. Celle-ci a longtemps joué un rôle-clé dans ce pays. Prendra-t-elle les commandes? C’est possible. Mais le désir de démocratie et de justice continuera de s’exprimer. Y a-t-il une voie entre le néo-libéralisme musclé et le populisme corrompu, incompétent, non moins autoritaire? C’est là l’enjeu de l’Amérique latine, et l’espoir des Latinos les plus éclairés, plus nombreux qu’on ne le pense. Bien plus que l’influence nord-américaine même si Washington continue de tempêter contre le Venezuela de Maduro et Cuba.

En 2017, une loi controversée sur la coca est adoptée: le gouvernement fait passer de 12.000 à 22.000 hectares les superficies autorisées pour la culture de la feuille de coca. © Jacques Pilet

Reste le problème de fond. Les pays de cette région qui vivent essentiellement des matières premières agricoles, sont promis à toutes sortes de déboires, soumis aux pressions chinoises. Un modèle d’agriculture vivrière plus sain doit se mettre en place. Une industrie de transformation des produits doit se développer.  L’exploitation du sous-sol, des métaux rares, ne peut profiter à la collectivité qu’à condition d’être encadrée par l’Etat. Certaines villes du sous-continent ont développé aussi avec succès une économie de services. Pauvre Bolivie qui est encore si loin de toutes ces nécessités. 

On peut cependant voir dans son chaos d’utiles leçons. 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@willoft 14.11.2019 | 11h26

«Le problème de l'Amlat, c'est d'avoir essayé de se débarrasser de la main-mise américaine en s'adressant aux chinois (l'Uruguay exporte env. 70% de sa production carnée à la Chine, c'est plus que périlleux).
Maintenant ils sont pris en tenaille entre les deux.

Douze années de prix records des matières premières ne les a pas aidés à développer un secteur secondaire productif, mais à faire baisser la statistique de la pauvreté en subventionnant les votants potentiellement de gauche et pour faire croire que la gauche réalisait de grands progrès.

Mais comme le pouvoir a un goût de reviens-y tout comme la corruption, la marmite bout fort sous le couvercle et ça ne présage rien de bon!»


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