Média indocile – nouvelle formule

Analyse

Analyse / La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) aurait-elle engagé une guerre contre le monde des réalités?


PARTAGER

Avec le jugement favorable à la plainte de l’association KlimaSeniorinnen Schweiz, la CEDH ouvre la voie à la sanction des Etats en se fondant sur des arguments façonnés dans un monde imaginaire. Pour la première fois, les juges laissent libre cours au développement d’une sorte de solipsisme radical, qui estime non seulement que la description des climats de la Terre peut se résumer à des impressions subjectives, mais qu’en plus ces climats peuvent être soumis à la seule volonté humaine.



Dr Eric Verrecchia, biogéochimiste


Ce solipsisme contribue à la construction d’une illusion de masse encouragée par la substitution de modèles numériques virtuels à la réalité du monde. Par ce jugement, la CEDH semble vouloir enterrer toute démarche rationnelle appuyée sur des faits pour favoriser des croyances.

Accrochées à un mouvement généralisé autour du climat, qui favorise la foi d’une construction sociale de la réalité, à l’instar de la «justice climatique», ces plaignantes semblent avoir banni de leur plaidoyer tout ce qui pourrait résister au contrôle humain de la météo du jour, sans égards aux résultats scientifiques et leurs immenses incertitudes concernant les climats futurs. Les plaignantes ont accusé en substance les autorités suisses de mener une politique climatique aux objectifs et aux mesures insuffisantes, «en violation de leur droit à la vie», arguant de la vulnérabilité des personnes âgées face aux effets des changements en cours, et en particulier aux vagues de chaleur. Ce qui est visé, selon le jugement, serait l’incapacité de la Suisse à fournir une estimation des émissions de gaz à effet de serre futures afin de limiter «le réchauffement climatique» au fameux 1,5°C de l’Accord de Paris, valeur pourtant parfaitement arbitraire et dont les conséquences néfastes restent difficiles à identifier.

Mais qu’en est-il vraiment? Que disent les données des études démographiques sur la «violation du droit à la vie» que ce soit sous les climats helvétiques ou mondiaux? Le «réchauffement climatique» met-il réellement en péril le «droit à la vie» des femmes âgées de Suisse?

Premier constat, d’après les données de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), l’espérance de vie à la naissance des femmes suisses est passée de 79,3 ans en 1982 à 85,4 ans en 2022, et ce malgré «l’urgence climatique», soit un gain de 56 jours par an depuis 1982. Sur la même période, l’espérance de vie à 65 ans, âge minimal de ces militantes, est passée de 18,4 à 22,5 années. Il ne semble pas que «le climat» ait eu des conséquences fâcheuses sur leur droit à la vie.

En recoupant les données de l’OFS et de Météosuisse, on peut observer la nature cyclique du nombre de décès par semaine des personnes de plus de 65 ans en Suisse, de 2010 à 2024 (Figure).

La courbe noire pleine montre que les périodes hivernales restent les plus fatales, toutes causes confondues, pouvant parfois accroître la mortalité de 72% par rapport aux périodes estivales. Bien que les variabilités démographiques soient complexes à appréhender avec précision (comme les «effets moisson» ou les crises sanitaires telles la Covid-19), cette nature cyclique confirme simplement que «le froid tue».

Pour s’en convaincre, s’affichent en gris sur la figure et à titre d’exemple, les températures maximales quotidiennes de la station de Neuchâtel montrant de larges amplitudes au cours de l’année. A partir du printemps 2020, la courbe des décès-toutes-causes subit les perturbations du Coronavirus et ses conséquences, rendant hasardeuse toute interprétation de détail. Mais la forte anti-corrélation entre décès et saisonnalité demeure. Nous supportons bien plus aisément les températures non-optimales chaudes que froides. Une étude récente1 publiée dans The Lancet sur les excès de mortalité dans les villes européennes entre 2000 et 2019, dus cette fois uniquement aux températures non-optimales chaudes ou froides, confirme la tendance générale: entre 65 et 74 ans, le froid tue en Suisse 3 fois plus que le chaud, entre 75 et 84 ans, 6 fois plus, et au-dessus de 85 ans, 7,6 fois davantage. Dans une autre étude du Lancet2 sur les températures non-optimales entre 2000 et 2019 au niveau mondial, le constat est identique: le taux mondial de surmortalité liée au froid a baissé de 0,5% alors que celui lié à la chaleur aurait augmenté de 0,2%, conduisant à une réduction nette du ratio mondial des décès liés aux températures extrêmes. Mais ces pourcentages ne touchent pas le même nombre de personnes, bien plus nombreuses à décéder durant les hivers, ce qui amplifie davantage le bénéfice d’un réchauffement climatique. Ces militantes du climat semblent donc avoir convaincu la CEDH de porter la justice dans un monde fantasmé, où seules les températures excessivement chaudes président à la destinée des femmes, en invitant la Suisse à rejeter la réalité des faits.

Pourtant, dans le monde réel, faut-il le rappeler, l’espérance de vie des Suissesses n’a cessé d’augmenter, et ce malgré le «dérèglement climatique», et grâce, pour l’essentiel, aux énergies fossiles. De plus, les décès directement liés aux températures non-optimales s’amenuisent grâce en grande partie à des hivers plus cléments.

Dans le monde réel, un pays riche comme la Suisse permet à sa population de s’adapter aisément aux inconforts météorologiques (chauffage ou climatisation, isolations, facilité d’accès aux soins, énergie toujours disponible, etc.). A cela peut s’ajouter une topographie bienveillante durant les étés avec de nombreux lacs et rivières, et une fraicheur montagnarde accessible.

Dans le monde réel, la Suisse a diminué de près de 40% ses émissions de CO2 par habitant depuis 1980 et 91% de sa production électrique est bas-carbone. D’après la Banque Mondiale, les émissions de CO2 par dollar de parité de pouvoir d’achat de PIB (ce qui ramène tous les pays du monde à une échelle comparable) placent la Suisse au 4ème.rang sur 181 pays, démontrant son efficience énergétique tout en maintenant des conditions de vie exceptionnelles, devant la Suède 6ème, la France 28ème, l’Allemagne 74ème (illustrant l’échec de l’Energiewende), les USA 126ème et la Chine 170ème.

Dans le monde réel, si la Suisse devait poursuivre ses émissions de CO2 au niveau de 2019, elle ne contribuerait en 2100 qu’à une élévation de la température mondiale de quelques millièmes de degrés Celsius suivant les formules fournies par le GIEC. Ces valeurs restent non-mesurables et insignifiantes.

Mais les militantes du climat ne vivent pas dans le monde réel. Elles séjournent dans un univers peuplé d’illusions où seules les impressions du sujet construisent son milieu, où les slogans inconsistants balaient les données factuelles, où la Suisse parviendrait par sa «politique climatique» à influencer la régulation des climats de la Terre. Oui, la CEDH a bien approuvé la guerre contre la réalité menée par le climatisme, nouvelle religion de certaines classes aisées des pays les plus riches.


1Masselot et al. (2023) Lancet Planet Health, vol. 7, e-271-281

2Zhao et al. (2021) Lancet Planet Health, vol. 5, e415-425

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

7 Commentaires

@jjacot 19.04.2024 | 10h03

«Merci de votre analyse qui s'appuie sur une méthode scientifique rigoureuse, je la partage entièrement.
Ceci étant dit, notre planète va mal et j'en conviens, ce n'est pas la société humaine qui vit en Suisse qui en porte l'essentiel de la responsabilité. Cependant nous Suisses, avons une propension marquée pour déplacer nos problèmes potentiels chez les autres de manière à pouvoir s'en laver les mains. Nous avons de nombreuses entreprises qui font des dégâts dans le monde et nous pourrions agir pour les en empêcher. Nous restons très discrets à ce sujet de crainte de perdre certains avantages et intérêts économiques. Par exemple, nos armes et munitions sont produites en ménageant l'environnement, mais quand les explosifs tuent des personnes ils dégagent aussi du CO2, mais c'est à l'étranger sans affecter nos bilans.
Nous sommes citoyens du monde et nous devons l'assumer, même si nous avons les moyens transmettre le fardeau à des pays moins bien pourvus. Continuez s'il vous plait d'écrire des articles rigoureux qui font du bien dans ce monde "des impressions". »


@Lou245 19.04.2024 | 10h38

«Merci de cet article!!»


@simone 19.04.2024 | 18h47

«Merci de votre excellent article. Je ne savais pas, jusqu'à ce jugement, que la Cour EDH était composée de théologiens du climat et de spécialistes du grand écart politique et non pas de juristes. Tempora mutantur.»


@Rigou 21.04.2024 | 18h58

«Place aux vrais scientifiques! https://www.youtube.com/watch?v=zmfRG8-RHEI&t=1s
»


@jeanmarcblanc 22.04.2024 | 12h10

«Excellent et édifiant !»


@Porquoi 23.04.2024 | 16h27

«Je crois que les aînés en question se préoccupent plus encore du droit à la vie pour leurs enfants et petits enfants que du leur. Il m'aurais paru intègre de répondre à cette préoccupation dans cet article .
Par ailleurs, dénigrer l'effet possible de la réduction des gaz à effet de serre d'un pays en se basant sur l'argument qu'à lui seul il ne changera pas la donne globale ne me paraît pas honnête intellectuellement. Chacun sait que l'enjeu se situe dans le cumul au niveau mondial et de ce fait ne peut ignorer l'importance qu'au moins les pays riches montrent l'exemple en agissant. »


@psycho 23.04.2024 | 18h26

«Je ne peux que reconnaître la réalité de vos arguments concernant la santé des Suissesses et que la mortalité des personnes âgées est plus importante en hiver lorsqu'il fait froid et que les aînées comme moi , vivons dan un tel confort que nous n'avons aucun risque de souffrir du manque de réaction de nos politiques face aux changements climatiques déjà perceptibles.
Par contre, notre planète souffre d'un réchauffement et d'un dérèglement du climat qui ont été constatés par de nombreux scientifiques, nous sommes donc bien, en tant qu'humains responsables de ces changements climatiques et il semble qu'il est très difficile de mobiliser la population suisse et les politiques suisses comme d'ailleurs le monde entier pour tirer les conséquences de nos comportements et décider de changer nos habitudes de consommation et d'agir pour inverser cette marche effrénée vers toujours plus de croissance, d'épuisement de nos ressources et de perte de biodiversité.
Les militantes du climat vivent comme moi dans le monde réel et ce monde réel actuellement est celui de cette marche effrénée décrite plus haut.
Je ne peux que m'ériger en faux contre vos affirmations consistant à dire que nous n'avons aucune responsabilité dans ce dérèglement climatique, nous en avons une comme tous les autres humains et peut-être davantage que d'autres car nous consommons et gaspillons grâce à notre niveau de vie bien plus qu'un Srilankais.
Je ne peux que m'ériger en faux également lorsque vous taxez les observations scientifiques du GIEC et leurs conclusions de croyances, de "climatisme" de "nouvelle religion" , leurs communications de "slogans inconsistants".
Oû est votre propre rigueur scientifique ?»


À lire aussi