Analyse / Les répétitions de l’Histoire
Pris en tenaille entre les velléités et nostalgies des Européens et des Russes, il est à craindre que le peuple kurde n'obtienne rien. Au regard de l’Histoire, Michel Moret se penche sur la relation entre l’Occident et le Levant.
Michel Moret est le fondateur et le directeur des Editions de l'Aire à Vevey.
Si l’Union européenne supporte mal les interventions et pressions de Trump et de Poutine, on peut dire la même chose des Orientaux qui doivent supporter les ingérences des Occidentaux, plus particulièrement de la France depuis le onzième siècle. Chaque grand pays a sa vision de l’Orient. Les Etats-Unis sont d’abord soucieux de la survie d’Israël et intéressés par les puits pétroliers de la région. A quelques nuances près, le Royaume-Uni partage les mêmes préoccupations. Mais la France a eu d’autres phantasmes.
Après la perte du Protectorat de la Syrie et sa débâcle aux Dardanelles, la France nourrit un sentiment vengeur envers la Turquie. Si elle a un comportement louable envers les Arméniens pourchassés et massacrés, sa politique orientale dans son ensemble reste ambigüe. En effet, en 2007, Sarkozy dormait presque sous la tente de Kadhafi installée dans les jardins de l’Hôtel de Marigny proche de l’Elysée et quelque temps après, il bombardait la Libye sous les applaudissements de certains intellectuels parisiens. L’année suivante, le même Sarko invite en grandes pompes Bachar el-Assad et on connaît la suite. Nous avons la sensation que l’histoire se répète.
Il y a une centaine d’années, la Russie a également réarmé la nouvelle Turquie d’Atatürk pour chasser les Occidentaux enclins à prendre leurs désirs pour la réalité. Un siècle plus tard, Poutine s’inspire de Lénine pour chasser les Occidentaux qui traînent leur spleen sur les terres du Levant. Là, au milieu de la tourmente, les Kurdes se manifestent avec une ardeur renouvelée afin d’obtenir l’Etat de leurs rêves. Les Français, oubliant qu’ils contrôlent d’une manière discutable la Corse, la Guyane, la Guadeloupe et la Nouvelle-Calédonie, soutiennent les Kurdes et leurs revendications d’autonomie.
Selon toute vraisemblance, la Turquie ne vas pas céder le Kurdistan pour les beaux yeux de l’Occident. Au moment de la proclamation de la nouvelle Turquie laïque, Atatürk avait beaucoup hésité entre une République centralisée à la française et un fédéralisme à la sauce helvétique. En héritier de la grandeur ottomane, Atatürk opta pour le modèle français avec tous les risques d’une sécession. Aujourd’hui, il est à craindre que les Kurdes se retrouvent victimes des agissements belliqueux turcs et grossissent les rangs des réfugiés en Europe occidentale et tout particulièrement en France. Dans tous les cas de figure, la Turquie, deuxième puissance de l’Otan, peut encore bénéficier du soutien russe et par conséquence reste difficilement atteignable.
Tout cela est tragique et démontre que par la force le peuple kurde n’obtiendra rien. Reste la voie de la paix, toujours porteuse d’espérance. Mais la paix inspire peu de monde. En tout cas certainement pas les marchands d’armes, eux qui trouvent toujours leur compte dans les conflits et qui ont le bonheur silencieux.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@stef 23.12.2019 | 22h58
«Belle analyse, merci »