Analyse / De quoi Lionel Messi est-il le nom?
La famille régnante du Qatar exulte. Avec l’acquisition de Lionel Messi au Paris-Saint-Germain, «son» club de football, elle a réussi un coup médiatique qui a même relégué – pour un bref moment – le Covid-19 au second plan. Pour reprendre la formule qu’avait lancée le philosophe Alain Badiou à propos de Sarkozy: de quoi Messi est-il le nom?
Il s’agit, de prime abord, d’une opération financière. Seuls les pétroprinces qataris peuvent aujourd’hui payer le salaire annuel net de Messi: 41 millions d’euros. L’ancien club du divin Léo, Barcelone, lui en versait 71 millions. Mais, accablé de dettes, le Barça ne pouvait plus assurer sa rémunération. Messi a donc dû en rabattre, un peu, en venant au PSG. Il n’est pas pour autant à la rue. Si l’on ajoute ses primes, il percevra plus de 120 millions € nets en deux ans.
Flavius Scorpus, super-Messi de l’Empire romain
D’aucuns s’étranglent devant cet étalage de liasses en les comparant avec les salaires des soignants ou des chercheurs qui luttent contre l’actuelle pandémie.
Pourtant, rien de nouveau sous le soleil. Pour amuser le bon peuple et lui faire supporter ce qui, souvent, devrait lui être insupportable, les puissants ont toujours puisé à pleines mains dans leurs trésors pour couvrir d’or les vedettes du sport.
Ainsi, quelque 2000 ans avant Lionel Messi, le conducteur de char Flavius Scorpus – qui roulait pour l’empereur romain Domitien – recevait-il 15 sacs d’or à chaque victoire. L’histoire ayant retenu qu’il en a remporté 2048, à côté de l’aurige Scorpus, le footeux Messi ferait presque gagne-petit!
Qatar-Saint-Germain vaut bien un Messi
Comme l’analyse fort bien cet article paru dans Slate, la famille régnante a investi des sommes colossale dans le sport – à commencer par le Paris Saint-Germain – pour promouvoir la marque «Qatar» afin de faire de cet Emirat un pôle d’affaires, de communications et de tourisme qui le sortirait de sa dépendance à la production de gaz et de pétrole.
Et pour promouvoir une marque, personne n’a trouvé mieux que le sport le plus répandu sur la planète. Qatar-Saint-Germain vaut bien un Messi.
Ringardiser les concurrents saoudiens
Sur le plan géopolitique aussi, l’acquisition de l’attaquant argentin est une bonne affaire pour l’Emirat. Le Qatar poursuit depuis plusieurs années un bras de fer sévère avec son puissant voisin, le Royaume d’Arabie Saoudite. Les deux pétromonarchies sont entrées en compétition acharnée pour occuper la position dominante dans le monde sunnite et au Proche-Orient. Face au Royaume saoudien, le Qatar veut ripoliner son image de puissance montante, séduisant la jeunesse arabe et amenant sur ses brûlants rivages les «jeunes pousses» de la nouvelle économie numérique. Dès lors, le «cirque Messi» fait partie de cette stratégie qatarie qui consiste à ringardiser le grand frère ennemi saoudien.
L’amorce d’une déception?
En fin de compte, c’est sur le plan directement footballistique que l’acquisition du nouveau numéro 30 qataro-parisien risque de se révéler décevante.
Si la famille régnante du Qatar maîtrise bien les codes de la société communicante, elle démontre la médiocrité de sa culture sportive.
Elle croit qu’en alignant les meilleurs footballeurs du monde le PSG emporterait ipso facto le trophée des trophées européens, à savoir la Ligue des champions. Or, jusqu’à maintenant la «C1» ne cesse de lui glisser des mains. Suprême injure: même le championnat de France 2020-2021 lui a échappé. C’est Lille qui l’a coiffé au poteau avec un budget 3,4 fois inférieur[1].
Chevilles enflées et bras cassés
Si avec Neymar, Mbappé, Messi, Verratti et Donnarumma [3] le PSG échoue une fois de plus, le Qatar subira une avalanche de sarcasmes qui nuirait fortement à cette image médiatique qui est le pivot de sa stratégie. Or, il est impossible d’écarter cette calamiteuse éventualité.
Il est symptomatique de constater que les deux clubs qui collectionnent le plus de vedettes, Paris-Saint-Germain et Real Madrid, ont échoué cette année en demi-finale de la Ligue des champions face à deux clubs anglais, Manchester City et Chelsea (vainqueur de la finale 1-0), qui comprenaient, certes, de grands joueurs mais moins de vedettes médiatiques que leurs deux «victimes».
Une concentration de grands noms n’a jamais formé une équipe. Tout d’abord, en additionnant les célébrités, on multiplie les rivalités entre égos surdimensionnés qui disposent, chacun, de leurs entourages particuliers qui ne cessent d’attiser les tensions et les jalousies.
Une abondance de chevilles enflées peut créer un ramassis de bras cassés!
L’équipe, ce «plus» impalpable
De plus, le niveau moyen des joueurs de toutes les équipes professionnelles s’est considérablement élevé, notamment en défense. Dès lors, même de grandes équipes, supérieures en théorie, peuvent échouer. Le remarquable parcours de l’équipe suisse lors du dernier championnat d’Europe des Nations en constitue un exemple parmi d’autres.
Une équipe, c’est une entité toujours supérieure à la somme de ses parties. Il y a ce «plus» impalpable qui fait que chaque joueur se trouve en résonnance avec tous ses coéquipiers. Il se forme ce que les auteurs en ésotérisme nomment un «égrégore», c’est-à-dire un être psychique qui se forme à partir d’un groupe et lui donne son esprit collectif.
Ce «plus» aussi impalpable qu’essentiel, aucun fonds pétrolier ne peut l’acheter, aucun Messi ne peut le remplacer.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@LEFV024 20.08.2021 | 19h53
«Ces salaires, c'est quand même la honte!»
@Widus 23.08.2021 | 17h48
«Pas plus (ni moins) que les salaires des PDG de certaines entreprises ...»