Analyse / Anonymes contre Identifiés: nouvelle lutte des classes
Les médias se font volontiers les défenseurs de l’égalité et les contempteurs de la discrimination. Tout en en créant de nouvelles. Notamment, celle entre les «anonymes», «gens de rien», et les «identifiés», «gens de bien». La médiacratie invente des catégories sociales pour son propre usage.
La médiacratie1 considère la masse des gens comme une nébuleuse indistincte qu’elle recouvre sous le terme d’«anonymes». Qui pleurent Johnny Hallyday et autres pipoles décédés? «La foule des anonymes». Ce ne sera jamais «La foule des Parisiens» (ou des Lyonnais ou des Pétrocoriens, voire des Réginaburgiens, sans oublier dans nos contrées les Staviacois ou les Octoduriens, entre autres). Ce serait donner aux individus qui la composent une forme d’identité, un embryon de statut, même réduits à l’appartenance municipale. Inconcevable pour les médiacrates! L’anonyme doit rester tel, sans autre visage que celui qui brouillarde dans le flou de la caméra.
Dès que vous lui concédez un statut personnel, l’anonyme n’en est plus un, comme vous le confirmerait La Palice, et de sujet, il risque de devenir citoyen. C’est l’écueil à éviter. La «foule des anonymes» ne saurait se muer en «peuple des citoyens». Trop périlleux pour tous les pouvoirs.
On leur vole même leur quart d’heure de célébrité!
Toutefois, les besoins de la narration radiophonique ou télévisuelle, exigent que l’on extirpe un ou deux spécimens de cette nébuleuse des «anonymes». Une séquence d’un téléjournal quelconque est-elle consacrée à la Toussaint? Aussitôt, une équipe investit le magasin d’une fleuriste pour l’interviewer. Mais vous ne connaîtrez jamais son nom de famille. Elle est uniquement présentée sous son prénom.
«Merci, Geneviève, de nous avoir apporté votre témoignage!» Et Geneviève rejoint bien vite l’anonymat, comme Paul le boucher, Kevin le serrurier, Octavine l’aide-soignante… Tous ces prénoms qui sont ainsi précipités dans le puits de l’oubli médiacrate. La médiacratie leur a même volé leur quart d’heure de célébrité puisque jamais leur nom de famille sera prononcé.
Les damnés de l’audiovisuel
Ce phénomène ne date pas d’hier mais il est devenu aujourd’hui systématique surtout dans les médias électroniques. Certes, les journalistes, notamment de l’écrit, recourent souvent à la formulation «nous l’appellerons Aline» (ou Mohamed ou Sergio ou Jean…) pour ne pas divulguer l’identité d’une source. Dans ce cas d’espèce, il s’agit de protéger une personne – un lanceur d’alerte par exemple – des risques sévères qu’elle court en divulguant une information ou en portant un témoignage.
Il ne s’agit pas du tout de cela dans l’anonymisation des «anonymes» produite par les gros médias.
Ces damnés de l’audiovisuel font partie de la classe médiatique inférieure qui n’a d’autres droits à l’antenne que d’être indifférenciée. Elle est formée par les «gens de rien» comme le dirait le Président Macron.
La médiacratie réserve donc le droit à la personnalité aux «gens de bien» qui forme la classe des «identifiés». Le passage du puits sans nom à la margelle baignée de sunlights peut-être illustré par quelques exemples glanés au fil des ondes et des images.
Le passage vers le nom de famille
A propos d’une fête locale, le micro se tend vers la bouche d’un conseiller municipal. Celui-ci n’aura droit qu’à son prénom, Laurent (ou autres). Sa commune n’est pas suffisamment importante pour que son nom de famille soit diffusé. Et puis, dans ce genre de mairie, les conseillers municipaux sont élus sur des listes villageoises qui, le plus souvent, ne sont pas liées à un parti politique d’envergure nationale. Raison de plus pour rester dans la classe des «anonymes».
En revanche, si vous êtes conseiller municipal d’un chef-lieu ou d’une ville importante ou mieux connue, vous aurez sans doute la chance de voir apparaître votre nom de famille en incrustation.
Le plus souvent, il sera écorché, votre patronyme. Faut pas pousser quand même! Vous n’êtes pas suffisamment important pour que l’on se donne la peine de vérifier sa bonne orthographe.
En revanche, lorsque vous aurez grandi en importance médiatique, cet impair vous sera évité. S’il devait tout de même survenir, cette faute vaudra à son auteur de se faire taper sur les doigts, voire plus si vous êtes ministre ou dirigeant d’un grand groupe. Vous ferez alors partie, sans réserve, des «identifiés».
Ces «anonymes» que l’on applaudissait…
Il en va ainsi dans tous les domaines de la politique, de l’économie et de la culture. Sous «les gens de bien dûment identifiés» – dont la médiacratie assure non seulement la promotion mais surtout l’existence sociale – grouille la masse des «gens de rien» coincés dans leur anonymat.
Constat qui ne doit rien au hasard: ces «gens de rien», ces «anonymes» ces laissés-pour-compte des gros médias sont ceux-là même que les balcons applaudissaient le soir venu, au temps des confinements. Aujourd’hui, les balcons demeurent muets.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Gamuret 18.11.2022 | 10h05
«Bonjour !
D'ailleurs "anonyme" veut dire : qui n'a pas de nom !!
Mes bonnes salutations !
Gamuret »
@Elissa 18.11.2022 | 15h24
«L'existence médiatique a-t-elle quelque chose à voir avec l'existence réelle? Et l'existence réelle a-t-elle vraiment quelque chose à envier à l'existence médiatique? ...
Dans leur quartier, les veilles dames connaissent peut-être mieux le nom de famille du boucher que les dernières frasques des people (mot imprononçable par ma grand-mère, paix à son âme). Il ne s'agit donc pas du tout de classes sociales, mais de degré de célébrité, ce qui est très relatif (à la génération, au lieu où l'on vit, etc.) et n'a rien à voir avec une quelconque place dans la chaîne du travail. Franchement, avouez-le, vous aviez oublié qu'il vous fallait un article pour le lendemain, avez ouvert votre ordi, la page d'accueil vous a jeté dans l'oeil les nouveautés people et votre nouveau sujet aussi...mais la prochaine fois, gratouillez un peu plus jusqu'à la substantifique moëlle, il y a tant à dire en ce moment!»