Actuel / Une Suisse la tête dans les nuages
La tourmente du monde? Elle chamboule les voisins mais n’émeut pas le Conseil fédéral dont le silence devient assourdissant. Comme si aucune conséquence directe ou indirecte ne pouvait se ressentir dans le pays. Cela à l’heure où c’est le grand vide du côté de la sécurité et du renseignement. Flegme ou aveuglement?
Pas la moindre prise de position du collège après cette rocambolesque conférence de presse où figuraient la ministre en partance et tous les responsables démissionnaires de son département. En compagnie d’un vice-chancelier lui aussi sur le départ! Le contre-espionnage, l’aviation, la défense aérienne sont dans la pagaille. Mais non, pas de souci… Un nouveau conseiller fédéral va être élu, donc tout rentrera dans l’ordre vite fait, n’est-ce pas?
Une décision toutefois: la Suisse s’est alignée illico presto sur les nouvelles sanctions anti-russes décrétées par la Commission européenne. Au moment même où les Etats-Unis lèvent les leurs! Bruxelles prévoit des restrictions supplémentaires sur les activités bancaires. Le gouvernement mesure-t-il les effets prévisibles? Non seulement la Russie mais d’autres évitent déjà la place financière suisse et le feront plus encore. Il y a tant d’autres possibilités, dans le Golfe, en Asie et maintenant en Amérique. On se tire une balle dans le pied.
Frénésie pré-guerrière
La plupart des Européens se préparent à engloutir des sommes colossales dans la défense. Ce qui réjouit les mastodontes de l’armement mais annonce des tracas budgétaires vertigineux. Madame von der Leyen, la star des va-t-en-guerre parle de 800 milliards à trouver. Le nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, qui avait fait campagne en promettant de rigoureuses économies publiques, annonce soudain qu’il lui faut 200 milliards de plus pour l’armée. Quant au magicien Macron, il veut aussi augmenter drastiquement de telles dépenses… sans hausse d’impôts, mais peut-être grâce à «l’épargne privée».
Alors qu’hier encore on pensait qu’il fallait un gros effort pour la recherche, l’innovation, l’industrie… Mais non. La concurrence chinoise dans ces domaines est oubliée. Une Chine qui forme huit millions d’ingénieurs par an, moins payés que chez nous et fort assidus. Qui peut penser que cela ne nous secouera pas dans maints domaines?
La Suisse va-t-elle s’engouffrer dans cette frénésie pré-guerrière? Il y a des freins heureusement. Reste qu’elle n’est pas du tout au clair sur le type de défense à prioriser. FA-35, quand tu nous tiens par la barbichette…
Quant à l’offensive de Trump à travers les droits de douane, elle touchera à des degrés divers tous les Européens. Membres ou non de l’UE. En Suisse, sur deux terrains sensibles: l’horlogerie et les pharmas. Ceux-ci sont dans le collimateur du ministre américain de la santé, Kennedy Jr, qui concocte toutes sortes de barrages. Les exportations suisses vers les USA représentent 60 % du total, dont 37 milliards pour la pharmacie et la chimie. En cas de surtaxe douanière, la branche souffrira. Les concurrents indiens et chinois, notamment, sont en embuscade.
La diplomatie suisse balbutie
Et que fait la diplomatie? Elle balbutie à tous les chapitres. Avec à sa tête un Ignazio Cassis désemparé qui fuit les journalistes, évite les parlementaires, préfère se taire. Aucun plaidoyer résolu en faveurs de la mise à jour des accords avec l’UE, indispensables au plan pratique, quoi que l’on pense des options géostratégiques de la Commission qui ne nous concernent pas. Pas un mot à l’endroit de la politique de Trump. Qu’est-il entrepris à cet égard? Mystère. Sur le Moyen-Orient, la seule consigne est de ne pas fâcher Israël. En septembre dernier, l’Assemblée générale de l’ONU demandait à Berne d’organiser une conférence sur le sort des Palestiniens dans les territoires occupés (par 124 voix pour, 14 contre, et 43 abstentions… dont la Suisse). Elle devait avoir lieu ce vendredi 7 mars. 196 pays invités à se faire représenter à Genève… et un jour de débats. Tout a été fait pour désamorcer la portée de l’évènement, ce qui a fortement fâché l’Autorité palestinienne représentée à l’ONU. La résolution concoctée par la Suisse était d’une absolue platitude. Au point qu’au dernier moment, au vu des tensions, devant l’opposition de plusieurs pays arabes et d’autres, la conférence a été tout simplement annulée! Au moins M. Cassis ne se brouillera pas avec Netanyahu et consorts. Ce qui lui donne probablement des maux de tête ces jours, c’est plutôt comment ne pas déplaire à la nouvelle administration américaine et aux membres de l’OTAN restés sur leurs positions. A ce propos, le chef du DFAE avait-il été informé de la proposition du chef de l’armée Süssli qui se montrait prêt à envoyer 200 soldats en Ukraine pour surveiller un éventuel cessez-le-feu? Pas un mot sur le sujet.
Enfin, pas le moindre signe non plus pour tenter de détendre un peu la relation avec Moscou. Adieu l’espoir de nous voir jouer un jour, même à la marge, notre rôle d’entremetteur de paix.
Des problèmes de communication au Conseil fédéral
Cela dit, le patron de notre diplomatie aime bien voyager. Après un tour en Amérique latine, il a cru bon de faire une visite officielle en Roumanie. Avec un curieux programme d’hommage à la langue romanche et en faveur de la diversité linguistique. Cela au moment où ce pays est en effervescence fiévreuse après l’annulation des élections présidentielles de décembre et en attente d’un nouveau scrutin. Ce voyage apportait de facto un soutien à un gouvernement largement discrédité. Peu opportun. Qu’en ont pensé ses collègues? Pour autant qu’ils aient accordé une brève attention à cette initiative.
Les chefs et cheffes du pouvoir fédéral communiquent manifestement peu entre eux. Ils ne cherchent pas ensemble à dégager une vision claire pour le pays. Pour cette barque plus chahutée qu’il n’y paraît, aujourd’hui sans cap ni boussole.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Foenix 07.03.2025 | 11h33
«Je ne peux qu'adhérer à ce constat manifeste d'un conseil fédéral en déroute mais j'ose espérer que ce commentaire est inutile car partagé déjà par tous. On a le droit de rêver !
En revanche j'ajouterai un autre constat : les Etats-Unis ont intérêt à ce que l'Europe s'enfonce seule dans la poursuite des hostilités, à payer seule la facture de la reconstruction puis de l'intégration de l'Ukraine dans le bloc européen. Cela fait un concurrent de moins. La priorité est la concurrence avec la Chine et de garder en respect (par intermédiaire) l'ennemi historique de la guerre froide, la Russie. L'Europe n'est qu'un instrument dans ce jeu.
Pour ce qui est de la Suisse, cela fait longtemps que les Etats-unis s'emploient à affaiblir son centre financier. Alors pourquoi pas aussi la pharma qui ne cherche que des prétextes pour se délocaliser. Pour mémoire, les pharma suisses font régulièrement pression sur la Confédération en menaçant de quitter la place. Ce n'est pas pour rien que nous payons cher nos médicaments et qu'il était vital d'accepter l'accord de l'OCDE sur la taxation des multinationales, accord que l'administration américaine s'empresse de quitter d'ailleurs.»
@Philippe37 08.03.2025 | 09h41
«La Suisse n’a jamais vraiment été du côté de la vérité mais plutôt des convenances, ces dernières années plus encore... Elle est dans ses petits souliers. Comme les pharma représentent la 3ème cause de mortalité, on ne peut qu’applaudir bien fort et soulagement à la ligne prise par le ministre Kennedy ! Effets domino garantis en Europe. Le temps est venu de passer à un ordre du monde autre que celui de politiciens menés par le bout...du nez par des mafias diverses.»
@von 08.03.2025 | 12h46
«Lorsqu'une révélation gênante est rendue publique, les gens incriminés sortent immédiatement le "tout va bien", le "nous aurions dû mieux communiquer" et tentent par tous les moyens de savoir qui a vendu la mèche. Et malheur à l'honnête lanceur d'alerte car c'est lui qui trinquera.
Je me pose cependant une question au sujet du Parlement. C'est tout de même lui qui doit avaliser les propositions du Conseil Fédéral. Y aurait-il des divergences propres à fausser la donne? Des divergences qui contraindraient certains hauts placés à démissionner faute de pouvoir suivre leur conscience? Qui les obligeraient à devoir, par exemple, acquérir des armes, des avions, des logiciels ou autres dont ils déploreraient l'achat?
Les F-35 américains , hors de prix, pas fait pour notre pays et toujours pas livrés? Les drones israéliens, qui ne supportent pas notre climat et notre espace aérien et qui ne sont toujours pas livrés? Le logiciel de conduite militaire qui semble incapable de conduire quoi que ce soit, ne serait-ce qu'un Vélosolex? Les systèmes de cryptage israéliens dont on pourrait soupçonner ne pas être étanches pour tout le monde?
Tous ces achats ont fait l'objet de critiques de la part de spécialistes et pourtant on les a achetés. Ce serait intéressant d'investiguer un peu. Peut-être y a-t-il un puissant lobby qui pousse à l'achat en douce. Peut-être que notre Parlement est sous influence. Franchement on peut se poser la question, car beaucoup de ces achats ne semblent pas judicieux.
Idem pour le cloud américain, le logiciel de bureautique américain, l'argent de notre AVS confié à une banque américaine, les logiciels de messagerie. Alors que nous avons en Suisse d'excellents informaticiens capables de nous concocter des solutions locales, sûres et surtout non soumises au Patriot Act américain qui impose à toutes les entreprises US, filiales à l'étranger comprises, à ouvrir leurs bases de données à la NSA.
Peu de gens le savent, mais c'est un système US qui régit les transactions interbancaires, le système SWIFT. C'est un système informatique très surveillé, dont les transactions sont cryptées et sécurisées, et qui devrait garantir le secret des échanges d'argent. Sauf que les Américains l'ont pénétré illégalement suite au 11 septembre et ont forcé les Européens à accepter cette surveillance en 2010. A quelle fin? Pour soi-disant surveiller le terrorisme. Ce n'est pas totalement faux, mais ce faisant, les USA se donnent un outil idéal pour espionner leurs concurrents. Vu sous cet aspect, il n'est pas étonnant que nos banques aient accepté de payer des amendes stratosphériques au gouvernement US sans discuter. Ce dernier savait probablement tout de leurs petits secrets internes!
Ce serait peut-être bien qu'un incorruptible investigue à fond au sujet des toutes les démissions récentes à la tête de l'armée, de l'Etat et de l'administration. Qu'il soulève le tapis en quelque sorte. Car, en démocratie, la confiance en ses élites est capitale pour son bon fonctionnement. Il faut donc de la transparence et corriger sans faiblir les abus qui pourraient être découverts.
Et, si je peux me permettre, rien ne vaut ce qui est produit en local, c'est la meilleure protection contre les incertitudes géopolitiques. D'une part on dispose alors de produits originaux, non soumis à la curiosité (ou au veto) d'une puissance étrangère, et ensuite on ne dépend de personne pour son approvisionnement. Et en plus, cela développerait notre économie... »