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Actuel / Un Allemand à la tête de l’Europe? Non merci!

Jacques Pilet

22 mai 2019

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Etrange : les Européens vont élire dimanche leur Parlement. Et personne, dans les débats, n’aborde une question sensible: qui prendra la tête de la Commission européenne? Le président qui succèdera à Jean-Claude Juncker sera pourtant élu par cette assemblée. Un candidat paraît favori si la droite classique (le PPE) reste le groupe le plus important: Manfred Weber (47 ans), un obscur député européen Bavarois, sans expérience de gouvernement, qui parle tout juste l’anglais, mais habile politicien local, tout en rondeur. Il est tête de liste de la CDU/CSU allemande. S’il est choisi, l’image d’une «Europe allemande» blessera la sensibilité de plusieurs peuples. A éviter!



Manfred Weber. © Wikimedia Commons

C’est un fait: l’Allemagne pèse lourd dans la marche de l’UE. Par sa force économique – bien que celle-ci semble s’essouffler –, par le déséquilibre des échanges en sa faveur. Et surtout par sa présence dans les rouages de la machine bruxelloise. Les fonctionnaires allemands y sont nombreux, efficaces, et occupent quelques-uns des postes-clés de l’administration. La présidence en plus? Ce serait bien trop. Quelques voix s’élèvent contre un tel choix en Pologne, en Italie, en Hongrie mais le débat ne s’impose pas. La décision relèvera pourtant de l’importance de chacun des grands groupes.

Michel Barnier. © Wikimedia Commons

L’usage veut que le président de la Commission soit la tête de liste du parti, au sein de sa famille européenne, ayant recueilli le plus de voix. En allemand: le Spitzenkandidat. Absurde. L’origine et la compétence devraient être les critères. Même la chancelière allemande qui soutient pourtant Weber a admis que là, quelque chose cloche. Mais rien n’est joué. Emmanuel Macron boude. Il cherche à placer un candidat non déclaré, le négociateur du Brexit, Michel Barnier, l’austère Savoyard qui connaît parfaitement la machine. Viktor Orban, que le Bavarois a pourtant tenté de courtiser, est vent debout contre cette nomination. Le gouvernement polonais aussi, pour des raisons historiques compréhensibles.

Frans Timmermans (à droite). © Wikimedia Commons

Alors qui d’autre? Le challenger le plus évident est Frans Timmermans (68 ans), le Néerlandais travailliste, l’actuel vice-président de la Commission, ex-diplomate, avec une longue carrière dans divers postes nationaux et européens. Mais le groupe social-démocrate risque bien de s’éroder, de ne pas avoir le poids nécessaire pour l’imposer.

Une femme pourrait – devrait – émerger. La Danoise Margrethe Vestager (51 ans), la dynamique commissaire européenne qui fait trembler les GAFA et a réussi à leur coller d’imposantes amendes pour leurs tentatives de dominer le marché. Energique et discrète, c’est en fait la personnalité la plus saillante de l’équipe actuelle. C’est une libérale, mais consciente des dégâts d’un libéralisme sauvage. Elle a annoncé que l’un de ses prochains objectifs serait de faire admettre un taux minimal d’imposition sur le bénéfice des sociétés. Tiens, tiens, un débat helvétique… En prime: c'est elle qui a inspiré le personnage de femme au pouvoir dans la série télévisée célèbre "Borgen". Autre atout: beaucoup de députés européens pensent que la présidence doit revenir à une personnalité d’un petit pays. Pour combattre l’image – justifiée à bien des égards – d’une Europe dominée par les grands.

Margrethe Vestager. © Wikimedia Commons

Certes, le pouvoir de la Commission est relatif. Celui du Conseil des chefs d'Etat est plus grand. Mais dans l'application des décisions, Bruxelles mène le bal. Et la figure du président est emblématique. Pour le meilleur et le pire. On a vu l'effet désastreux sur l'opinion des images d'un Jean-Claude Juncker titubant, toujours à tripoter ses interlocuteurs et surtout ses interlocutrices.

Qui tranchera? A voir. En tout cas pas les partis hyper-nationalistes dont les médias se plaisent à pronostiquer bruyamment la victoire: ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord entre eux sur cette question.

Si la Suisse faisait partie de l’UE, elle aurait de grandes chances de propulser quelqu’un à ce poste! On peut toujours rêver.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Lagom 23.05.2019 | 08h30

«ça serait une chance pour l'UE d'avoir à la tête de sa commission la danoise ! La dispute potentielle entre l'Allemagne et la France pourrait favoriser le bon choix.»


@Bournoud 28.05.2019 | 15h29

«Il est certes plus facile, maintenant que les résultats des élections sont connus pour prendre position. Mais je pense qu'au vu de ce que l'on sait, la nomination de Mme Vestager serait une excellente décision. Cette nomination donnerait une meilleure image de cette commission, tant décriée (à tors)! D'autre part, il me semble que cette dame fait partie d'un parti centriste, ce qui me paraît être un atout pour gérer les affaires dans un espace passablement polarisé.»


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