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Actuel / Semelles d’asile: en vadrouille avec des migrants

Yves Magat

7 août 2018

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Yves Magat a marché avec quelques «Européens, réfugiés, demandeurs d'asile, exilés, implantés» sur la frontière franco-italienne. Ambiance.



Modane, Haute-Maurienne, Savoie, France.

«Il n’y a pas de crise migratoire en Europe, il y a une crise des politiques européennes de migration». Ce Français de Haute-Maurienne (Savoie) s’occupe d’accueil de migrants dans sa région frontalière avec l’Italie. Il préfère rester anonyme car, dit-il, «je suis probablement sur table d’écoute des Renseignements généraux». En plus il participe discrètement à des arrangements avec les autorités locales lorsque des cas douloureux se présentent. Il participe à la 8e marche organisée par l’association franco-suisse «Semelles d’asile» (jeu de mots avec «se mêlent d’asile»…).

«Je suis probablement sur table d’écoute des Renseignements généraux» (un participant à la marche)

C’est un événement plus convivial que militant organisé en commémoration de la signature de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951. Une trentaine de participants français et suisses de tous âges accompagnent pendant trois jours sur des sentiers de montagne une douzaine de migrants: un Kurde irakien, deux Tadjiks afghans, un Libyen, deux Soudanais du Darfour, des ressortissants de Guinée-Conakry, Gambie, etc. Tous sont légalement déclarés en France et attendent une réponse à leur demande de séjour ou leur recours après un premier rejet.

Une trentaine de participants français et suisses accompagnent une douzaine de migrants. © Yves Magat / Bon pour la tête

Les paysages face au Parc national de la Vanoise prêtent à l’insouciance. Les plus jeunes marcheurs font régner une atmosphère de course d’école qui aide les migrants à oublier un moment la menace permanente de renvoi. Au départ deux gendarmes vérifient globalement que tout est en ordre et expliquent que les groupes identitaires ont décidé de ne pas intervenir… Apparemment ils sont aussi surveillés! Lola, jeune comédienne de Lausanne, aime rencontrer de cette manière «des gens dont la différence n’est pas le pays d’origine mais l’âge ou le métier». «On vit et on rigole ensemble. C’est le seul moyen de dépasser nos préjugés», explique Angèle, originaire d’Annecy. Le Gambien Wugeh a été surpris par «la forme des villages et des paysages». Le Guinéen Aliou explique qu’il a «beaucoup appris sur l’histoire de la région» et découvert des gens qu’il ne connaissait pas.

Hannibal, de Vinci et Napoléon

Un des responsables de cette marche, Xavier Bolze, est un ancien maire du village savoyard de Curienne. C’est un juriste réputé en France, spécialiste du droit de l’environnement. «Hannibal est passé par ces cols, explique-t-il, de même que Léonard de Vinci avec la Joconde sur son mulet et plus tard les troupes de Napoléon. La Savoie n’est française que depuis 1860. C’est une terre de migrations, d’échanges, de partage et de changements de frontières.» Lucide, il ne réclame pas une ouverture totale des frontières. Il préconise un assouplissement du droit d’asile et pour ceux qui ne l’obtiennent pas, la possibilité de bénéficier d’une petite formation ou d’un emploi temporaire afin de pouvoir «rentrer au pays la tête haute avec un petit pactole».   

«Je ne serais pas contre un système de quotas de travailleurs immigrés», ajoute-t-il.

«Et pourquoi pas introduire un système de travail temporaire qui permettrait à des migrants de revenir au pays pour investir ce qu’ils ont gagné en Europe», suggère aussi une marcheuse de Genève. Mais la plupart des participants ne veulent pas proposer de solution. «Ce n’est pas nous qui allons donner des réponses à ces questions», explique modestement l’ancien maire. Tous pourtant insistent sur l’importance de mieux respecter le processus de demande d’asile qui est à leurs yeux bâclé. Et ils condamnent fermement les accords de Dublin qui rejettent sur les pays du sud de l’Europe la gestion de la migration. Et surtout ils rejettent la notion d’une menace migratoire: «Le phénomène va certes augmenter en raison des problèmes climatiques et des déséquilibres économiques mais on est très loin de mouvements de population comme à la fin de la guerre du Vietnam par exemple», explique l’un d’eux.

Une trentaine de participants français et suisses accompagnent une douzaine de migrants. © Yves Magat / Bon pour la tête

Le maire délégué de Lanslevillard, Paul Chevallier accueille les marcheurs sur sa commune regroupée depuis peu pour former celle de Val-Cenis. «En Savoie, nous sommes dans un pays catholique, m’explique-t-il. Le pape a dit clairement ce qu’il pensait de l’accueil: c’est notre devoir d’aider les migrants. Et ils devraient être autorisés très rapidement à travailler car l’intégration passe par le travail.» Une idée reprise par un bénévole des centres d’accueil: «Je reçois de plus en plus de demandes de patrons d’entreprises qui aimeraient embaucher des migrants. Les politiciens n’ont pas conscience de cela.»

«On a tous une histoire de déracinés à Modane»

La Maurienne se trouve du côté nord des tunnels ferroviaire et routier du Fréjus venant d’Italie. La police française de l’air et des frontières (PAF) est vigilante. Selon le même bénévole, «elle opère illégalement du côté italien pour bloquer les migrants avant même d’avoir pu déposer une demande d’asile en France. Et ceux qui sont arrêtés dans le train sont amenés en France à Modane dans un centre de rétention où on ne leur donne qu’un accès à un téléphone sans autre appui juridique», précise-t-il. Le lieu commence à ressentir une pression migratoire croissante. Il pourrait devenir une alternative aux autres passages entre la France et l’Italie depuis que ceux de Vintimille et Briançon sont étroitement surveillés.

Les marcheurs des «Semelles d’asile» terminent la randonnée par une visite du «Musée de la frontière» de Modane. «On a tous une histoire de déracinés à Modane. Il ne faut pas oublier l’histoire», explique sa responsable Claudine Théolier. Ce très beau musée démontre comment cette petite ville était au XIXè siècle la porte de l’Amérique pour des milliers d’émigrants italiens et de nombreux Suisses. De là ils prenaient le train pour le port du Havre et les rêves du Nouveau Monde.



A chaque migrant son parcours

Zahi: ce Soudanais travaillait pour une ONG américaine au Darfour. Après avoir photographié des villageois massacrés et vu un de ses collègues assassinés par l’armée, il prend la fuite. Il passe par l’Éthiopie, puis rejoint en avion le Bangladesh où il demande l’asile à la France.


Gassim: Soudanais du Darfour. Il fuit les massacres et gagne le Maroc puis Dubaï et Moscou. Il obtient finalement le statut de réfugié en Estonie mais se sent mal à l’aise dans ce pays peu habitué à sa couleur de peau. Il passe alors en Allemagne puis en France où il espère pouvoir faire transférer son permis de séjour estonien. Il aimerait se former en électrotechnique à Bron où il est hébergé dans un foyer.


Tarek: Libyen de Tripoli. Licencié en droit il travaillait dans une compagnie pétrolière. Il ne supportait plus les affrontements entre clans politiques rivaux. Il traverse alors la Méditerranée sur un zodiac des maffias de passeurs puis est recueilli par un «grand bateau» qui l’amène en Italie. Sa quatrième tentative de passage en France par la frontière de Vintimille sera la bonne. Sa première demande d’asile a été rejetée. Il attend la réponse à son recours.


Aliou: originaire de Guinée Conakry. Pas très bavard sur son pays à part son manque de confiance dans le processus électoral. Très serviable auprès de tout le monde. Il a participé comme bénévole à des destructions de barbelés de la seconde guerre mondiale sur la ligne de l’ancienne frontière franco-italienne déplacée de quelques km en faveur de la France comme compensation des dommages de guerre. Tout un symbole!


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